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Maladies professionnelles hors liste : conditions pour la désignation de l’expert judiciaire

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 5 mars 2018, R.G. 2016/AL/502

Mis en ligne le jeudi 15 novembre 2018


Cour du travail de Liège (division Liège), 5 mars 2018, R.G. 2016/AL/502

Terra Laboris

Dans un arrêt très motivé du 5 mars 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) confirme une désignation d’expert décidée par le tribunal du travail, dans le cadre d’une demande de réparation d’une maladie hors liste : pour la désignation de l’expert en cause, la victime ne doit pas démontrer de manière irréfutable qu’elle souffre d’une maladie en lien causal, déterminant et direct avec l’exposition au risque, mais que cette hypothèse est suffisamment vraisemblable.

Les faits

Un travailleur manuel, sans grande formation, ayant exercé essentiellement la profession de maçon (qualifiée de travail lourd en l’espèce) au sein d’une entreprise de construction, introduit une demande de reconnaissance de maladie professionnelle en décembre 2013. Il s’agit d’une lombo-discarthrose d’origine professionnelle (demande introduite dans le système ouvert). La demande est refusée, d’une part parce qu’elle n’est pas dans la liste des maladies professionnelles reconnues et, d’autre part, parce qu’il est impossible de prouver que celle-ci est la conséquence directe et déterminante de l’exercice de la profession.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège, demandant la reconnaissance de celle-ci et sa réparation dans le cadre de l’incapacité permanente, à partir du 1er septembre 2008, à savoir la reconnaissance d’un taux d’incapacité de 15% pour les facteurs physiques, à majorer des facteurs socio-économiques.

Un expert a été désigné par le tribunal, afin de déterminer l’existence d’un risque professionnel, ainsi que la cause directe et déterminante entre l’exposition et la pathologie.

Appel a été interjeté immédiatement par FEDRIS, l’expertise n’étant ainsi pas mise en mouvement.

Position des parties devant la cour

Pour FEDRIS, sur le fond, la théorie de l’individualisation du risque professionnel à laquelle s’est référé le premier juge est contra legem. En outre, elle estime que l’exposition au risque n’est pas démontrée, de même que le lien causal déterminant et direct. Elle développe une argumentation subsidiaire sur la mission d’expertise au cas où celle-ci serait confirmée.

Quant à l’intéressé, il demande la confirmation du jugement en ce qu’il a désigné un expert.

La décision de la cour

La cour tranche en premier lieu une question de recevabilité, s’agissant d’un appel contre un jugement avant dire droit. L’article 1050 du Code judiciaire a en effet été modifié par la loi du 19 octobre 2015 et par celle du 6 juillet 2017, limitant les possibilités d’appel contre une décision avant dire droit. Elle est d’application pour les jugements prononcés à partir du 1er novembre 2015.

L’appel est cependant possible dans le cas de décision mixte. Le tribunal a tranché deux points définitivement, étant la recevabilité et la notion d’exposition. Pour la cour, le fait d’ordonner une expertise implique la reconnaissance de la recevabilité du recours introduit, mais ceci ne suffit pas à faire de la décision une décision mixte. La cour rappelle la discussion actuelle sur la question, prenant position sur celle-ci. Elle confirme suivre la doctrine et la jurisprudence qui considèrent que la déclaration de recevabilité ne constitue une décision définitive qu’en présence d’une contestation portant sur celle-ci. Par contre, la notion d’exposition a fait l’objet d’un débat entre les parties et ceci fait que le jugement rendu a effectivement le caractère de décision mixte.

La cour en vient ainsi à l’examen du fond. Sur la pathologie, elle est avérée et c’est à bon droit que le juge a demandé à l’expert de la décrire.

Sur l’exposition au risque elle-même, elle procède à des développements importants, tant sur la réalité de l’exposition que sur le lien causal. Vu l’absence de tout critère légal pour définir l’exposition, FEDRIS a établi des lignes de conduite internes, mais celles-ci ne lient pas les cours et tribunaux.

La cour constate que, dans la mesure où l’assuré social est demandeur et que sa demande est la confirmation de la désignation de l’expert, il doit apporter des indices suffisants pour que la mesure puisse être ordonnée. Il ne doit cependant pas établir les éléments constitutifs de la maladie professionnelle en tant que tels. Ce qui est requis, ce n’est pas de démontrer de manière irréfutable qu’il souffre d’une maladie en lien causal, déterminant et direct avec l’exposition au risque, mais que cette hypothèse est suffisamment vraisemblable pour qu’il y ait désignation d’un expert.

En l’occurrence, elle estime que cette preuve est apportée, même si l’intéressé ne dépose pas une étude épidémiologique indiscutable dont il ressortirait que l’exposition est en rapport avec la pathologie constatée.

Relevant « l’asymétrie dans les savoirs et dans les ressources entre FEDRIS et les assurés sociaux », la cour précise que ceci justifie particulièrement dans la matière des maladies professionnelles le recours à l’expertise, qui est un mode de preuve particulièrement adapté chaque fois qu’une contestation raisonnable est portée devant le juge.

Elle souligne d’ores et déjà ne pas voir comment un maçon qui a plus de vingt années de carrière n’appartient pas à un groupe nettement plus soumis que la population en général au port de charges lourdes, ainsi qu’à des postures de travail pénibles ou à des vibrations lors de l’utilisation de machines. Ceci, à savoir l’appartenance au groupe professionnel des maçons avec plus de vingt ans de carrière, suffit à lui seul à justifier l’expertise, sans même besoin, selon la cour, « de s’aventurer sur le terrain de l’individualisation ».

Pour ce qui est du lien causal, elle renvoie à l’important arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 2 février 1998 (Cass., 2 février 1998, n° S.97.0109.N), qui a posé le double principe, d’une part, que l’article 30bis n’impose pas que le risque professionnel soit la cause exclusive ou principale de la maladie et, d’autre part, que le lien de causalité ne requiert pas que l’exercice de la profession en soit la cause exclusive : cet article n’exclut pas une prédisposition et il n’impose pas davantage à l’ayant-droit d’établir l’importance de l’influence exercée par celle-ci.

A supposer que puisse être retenu – ce qui est plaidé par FEDRIS, mais non établi à ce stade – qu’existent d’autres facteurs étiologiques, ceux-ci ne pourront jamais gommer l’impact de l’exposition au risque, fût-il modeste, sur l’apparition et/ou le développement de la maladie.

La désignation de l’expert est dès lors confirmée, mais la cour émende quelque peu la mission, la mesure d’instruction ordonnée par le tribunal étant cependant très largement maintenue.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt du 5 mars 2018, la Cour du travail de Liège poursuit son travail d’analyse particulièrement innovant et constructif sur la question de la réparation des maladies professionnelles hors liste.

L’on notera, particulièrement, les conditions qui sont mises à la désignation d’un expert, étant que, même si l’assuré social a la charge de la preuve d’indices suffisants, ceux-ci doivent permettre de procéder à la désignation de l’expert, mais il ne s’agit pas de la charge des éléments constitutifs de la maladie en tant que telle. Ce que la victime doit dès lors prouver, c’est que l’hypothèse d’une maladie d’origine professionnelle est suffisamment vraisemblable. Le rapport d’expertise constituera un élément de preuve important.

Par ailleurs, dans le débat relatif à l’exposition plus grande que la population en général, et ce vu la modification législative intervenue en 2006, la cour retient que l’intéressé, qui a travaillé comme maçon avec plus de vingt ans de carrière, fait ainsi partie d’un groupe nettement plus soumis que celle-ci au port de charges lourdes, à des postures de travail pénibles ou à des vibrations lors de l’utilisation de machines. Le groupe ainsi constitué est le « groupe professionnel des maçons avec plus de vingt ans de carrière ». Il n’est dès lors pas nécessaire de recourir à l’individualisation.


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