Terralaboris asbl

Maladie professionnelle et autorité de la chose décidée

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 5 mars 2018, R.G. 2017/AL/76

Mis en ligne le lundi 15 octobre 2018


Cour du travail de Liège (division Liège), 5 mars 2018, R.G. 2017/AL/76

Terra Laboris

Par arrêt du 5 mars 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) décide que l’existence d’une maladie professionnelle peut être révélée via une expertise judiciaire et que, si une demande avait été formée et rejetée (en l’occurrence 20 ans auparavant), cet élément nouveau doit être pris en considération, dans la mesure où le travailleur était exposé au risque avant l’apparition de l’affection, le temps de latence – en l’occurrence particulièrement long – pouvant s’expliquer médicalement.

Les faits

Un ouvrier fondeur ayant fait 31 ans de carrière dans les hauts-fourneaux de Cockerill a bénéficié d’une prépension et a ensuite été pensionné en 1999. Est retenue une exposition à l’amiante et au cadmium pendant toute la durée d’occupation ainsi qu’à la silice pendant 20 ans.

Une première demande d’indemnisation avait été introduite pour asbestose en novembre 1995. Elle fut rejetée en 1996 au motif que l’intéressé n’était pas atteint de cette maladie professionnelle. Deux demandes ont également été faites pour la silicose, également rejetées en 1993 et 2000. Une nouvelle demande pour asbestose a été introduite en 2012 et a de nouveau été rejetée au motif que l’intéressé n’était pas atteint de la maladie en question.

Aucun recours n’ayant été formé contre les décisions précédentes, l’intéressé conteste cependant cette dernière et demande la reconnaissance d’une incapacité permanente de 15% pour l’incapacité physique, à majorer des facteurs économiques et sociaux.

Le tribunal a considéré, dans un jugement du 17 mars 2016, que l’intéressé n’établissait pas l’existence d’éléments nouveaux permettant de faire une analyse différente de la situation exposée en 1996 et a conclu au non-fondement de la demande.

L’intéressé interjette appel.

Moyens des parties devant la cour

L’appelant reprend l’exposition au risque, attirant l’attention sur plusieurs hospitalisations récentes vu l’exacerbation de sa pathologie. Il dépose un dossier médical.

Quant à FEDRIS, elle demande la confirmation du jugement et, à titre subsidiaire, sollicite la désignation d’un expert avec la mission d’examiner si le code invoqué (1.301.21) peut être appliqué. FEDRIS fait également valoir que la décision du 12 juillet 1996 bénéficie de l’autorité de la chose décidée et que l’intéressé doit dès lors prouver des éléments nouveaux.

La décision de la cour

Après un rappel du cadre général, la cour pose la question de savoir si l’autorité de chose décidée fait obstacle à une reconnaissance.

Elle fait le détour par la Charte de l’assuré social, dont elle relève que l’article 19 ne fait en rien obstacle à l’introduction d’une nouvelle demande ou à une nouvelle décision plus favorable, mais qu’il ne permet pas qu’une demande rejetée soit soudainement déclarée fondée en l’absence d’éléments de preuve nouveaux ou de modifications légales ou réglementaires.

Pour la cour, l’exigence d’un tel élément de preuve nouveau ne se rattache pas à la recevabilité mais au fondement de la demande. Cet élément peut ressortir d’une expertise et, si celle-ci aboutit à la conclusion que l’intéressé souffre d’asbestose en raison de son exposition au risque dans les hauts-fourneaux et qu’il était exposé à celui-ci avant l’apparition de l’affection, il s’agira d’un élément de preuve nouveau. Celui-ci devra être pris en considération et permettra éventuellement à la demande d’aboutir.

Sur le plan de l’exposition au risque, elle renvoie à l’article 32, alinéas 1 et 2, des lois coordonnées du 3 juin 1970 et à la modification législative intervenue en 2006. Celle-ci a redéfini l’exposition au risque, insistant sur le caractère collectif de celle-ci, le projet de loi (Exposé des motifs, Doc. Parl., Ch. s.o., 2003-2004, n° 51-1334/1, p. 16) précisant que, pour pouvoir parler d’une maladie professionnelle, il faut au moins que, dans des groupes de personnes exposées à une influence nocive déterminée, la maladie soit plus fréquente que dans la population générale. Le caractère professionnel de la maladie s’établit au niveau du groupe et non au niveau de l’individu. Il est exigé que l’exposition à l’influence nocive, au niveau des populations exposées, constitue la cause prépondérante de la maladie (idem, p. 17).

Au sein du groupe lui-même, étant le groupe nettement plus exposé au risque que la population générale, le risque de contracter la maladie du fait de l’exposition à des agents ou à des conditions de travail bien définis doit s’apprécier, selon la doctrine, en fonction des caractéristiques propres de chaque agent (la cour renvoyant à S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013, p. 493). Doivent être prises en compte d’éventuelles prédispositions pathologiques. Pour la cour, rien ne permet en effet d’affirmer que le législateur aurait en 2006 entendu se départir de cette individualisation au sein du groupe exposé au risque.

Existent des lignes de conduite internes à FEDRIS, mais, vu l’absence de tout critère légal destiné à définir l’exposition au risque, ces lignes de conduite ne lient pas les juridictions du travail.

Est encore relevé qu’en l’espèce, l’exposition à l’amiante et aux autres agents pathogènes n’est pas contestée par FEDRIS mais que celle-ci soutient que, à supposer la pathologie établie, elle n’est pas imputable à cette exposition. L’Agence fait valoir d’une part le délai de latence entre la fin de l’exposition et l’apparition de la maladie et, d’autre part, l’existence d’autres facteurs de risque (dont le tabagisme).

L’élément matériel, à savoir que l’exposition à l’influence nocive inhérente à l’exercice de la profession est nettement plus grande que celle subie par la population en général, est admis par l’Agence, mais non l’imputabilité, étant l’élément causal, qui suppose que l’exposition constitue dans les groupes de personnes exposées, selon les connaissances médicales généralement admises, la cause prépondérante de la maladie.

Il faut dès lors un avis médical.

Si l’asbestose devait être établie, la cour demande à l’expert de se prononcer sur la date d’apparition de celle-ci. Elle retient encore que, le risque étant une potentialité, il n’implique en lui-même aucune certitude quant à la cause exacte de la maladie. Celle-ci peut trouver son origine ailleurs, notamment dans un travail effectué en dehors des emplois donnant lieu à couverture ou encore dans l’organisme interne de la victime, la cour renvoyant à la même doctrine (idem, p. 463). D’autres causes peuvent encore expliquer un temps de latence plus long.

Il faut dès lors savoir si l’asbestose est prouvée et, dans ce cas, déterminer la date de début, l’imputabilité de la maladie au risque professionnel de celle-ci, l’existence d’une incapacité de travail qui serait la conséquence de cette maladie et le taux d’incapacité pouvant être reconnu depuis l’apparition des lésions, le tout sans préjudice de facteurs sociaux et économiques.

Intérêt de la décision

La décision de la Cour du travail de Liège procède à l’examen de la cause à partir de l’article 19 de la Charte de l’assuré social.

Cette disposition prévoit que, après une décision administrative ou judiciaire ayant force de chose jugée concernant une demande d’octroi d’une prestation sociale, une nouvelle demande peut être introduite. Celle-ci ne peut être déclarée fondée qu’au vu d’éléments de preuve nouveaux qui n’avaient pas été soumis antérieurement à l’autorité administrative ou à la juridiction compétente, ou encore en raison d’une modification d’une disposition légale ou réglementaire.

En l’espèce, était invoquée non l’autorité de la chose jugée mais l’autorité de la chose décidée, et ce… en 1996.

Le débat autour de la notion de « chose décidée » n’est pas rappelé dans cet arrêt. L’on notera, à propos de la notion, un arrêt de la Cour du travail de Mons du 8 novembre 2012 (R.G. 2012/AM/1), ainsi qu’un plus récent de la Cour du travail de Bruxelles du 6 mars 2017 (R.G. 2016/AB/910 – précédemment commenté), qui a rappelé que la portée de l’autorité d’une décision administrative est liée à ce qui fait l’objet de cette décision. Si une seconde demande d’indemnisation de maladie professionnelle s’avère fondée, il y a lieu de lui conférer tous les effets prévus par la loi, dont la possibilité de prétendre à l’indemnisation d’une période d’incapacité temporaire totale remontant à moins de 365 jours avant la date de la demande.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be