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Infractions à la réglementation en matière de titres-services : absence de nature pénale

Commentaire de C. trav. Mons, 21 février 2018, R.G. 2016/AM/363

Mis en ligne le lundi 15 octobre 2018


Cour du travail de Mons, 21 février 2018, R.G. 2016/AM/363

Terra Laboris

Par arrêt du 21 février 2018, examinant longuement la réglementation en matière de titres-services, la Cour du travail de Mons retient que la sanction prévue en cas d’infraction constatée à l’arrêté royal du 12 décembre 2001 n’a pas une nature pénale. Le juge ne peut dès lors apprécier la proportion entre l’ampleur des manquements constatés et l’étendue de la récupération.

Les faits

Une travailleuse indépendante constitue une société de nettoyage industriel avec, pour objet, l’exercice de toutes activités de nature ménagère. Elle est gérante non statutaire et représentante permanente de la société. Ayant, par ailleurs, une activité de titres-services en personne physique, elle apporte celle-ci à la société un peu plus tard, avec son numéro d’agrément.

Une enquête est conduite par la cellule titres-services de l’administration centrale de l’ONEm et par les services du Contrôle des lois sociales. Diverses infractions sont constatées et un procès-verbal est dressé. L’intéressée perd, en conséquence, son agrément d’office. Les titres-services introduits ultérieurement sont refusés au paiement, au motif de la constatation de diverses infractions.

La révision de la décision est sollicitée et, suite à cette demande, non seulement l’ONEm la maintient, mais prend une décision de récupération de l’intervention fédérale et de la quote-part utilisateur pour une période de 18 mois, la somme avoisinant les 475.000 euros. Il s’agit d’un montant de plus de 22.000 titres-services, qui avait été remboursé par la société émettrice.

Le Tribunal du travail de Tournai a été saisi à la demande de l’intéressée et, parallèlement, début 2013, la faillite sur aveu de la société a été prononcée.

L’ONEm ayant par ailleurs une créance au profit de la société faillie, le Tribunal du travail du Hainaut (division de Tournai) a rendu un jugement le 16 septembre 2016, dans lequel il a confirmé la décision de récupération et fixé la créance de l’ONEm.

L’ONEm voit la décision prise, portant sur l’interdiction de paiement à la société émettrice, confirmée pour une période mais annulée ensuite. Il interjette appel du jugement.

La décision de la cour

Se pose un problème de recevabilité, dans la mesure où le curateur de la société faillie estime qu’au jour du dépôt de la requête d’appel, l’ONEm ne disposait plus du droit matériel l’autorisant à former le recours, puisque le transfert de compétence au profit du FOREm était devenu définitif à ce moment. Le curateur plaide également l’irrecevabilité de la demande formée par le FOREm lui-même en degré d’appel, excipant du fait que le Code judiciaire ne lui permettait pas d’interjeter appel car il n’était pas partie à la cause devant le premier juge.

Pour l’ONEm, le principe de continuité du service public lui commandait de faire le recours.

La cour ne suit pas la position de celui-ci, au motif que le FOREm est devenu compétent en matière de titres-services avec effet au 1er janvier 2016, suite à l’adoption de différents textes, et qu’il était à ce moment seul habilité à interjeter appel, l’ONEm n’ayant plus ce pouvoir.

La cour précise que le transfert de compétence intervenu n’a pas entraîné, au sens de l’article 815 du Code judiciaire, la dissolution de l’ONEm, son changement d’état ou la modification de sa qualité.

Ladite succession a donc eu lieu de plein droit par l’effet direct de la loi et dans les conditions que celle-ci détermine. Une reprise d’instance ne se justifie en conséquence pas, non plus qu’une quelconque action en intervention.

Les conclusions rédigées postérieurement à cette succession devaient dès lors être prises au nom du FOREm, cessionnaire des droits. L’appel de l’ONEm est par conséquent considéré irrecevable.

La cour analyse cependant l’acte de reprise d’instance du FOREm comme une intervention volontaire agressive destinée à obtenir pour la première fois en degré d’appel la condamnation du curateur. Celle-ci est irrecevable et la cour rappelle encore qu’une reprise d’instance ne permet pas de régulariser une instance qui a été introduite irrégulièrement.

Le curateur ayant cependant formé appel incident sur la décision de récupération, dont il postule l’annulation, faute de toute infraction reprochable, la cour examine celle-ci. Elle rappelle le fonctionnement du système des titres-services, étant que le client, utilisateur des services de nettoyage, achète des titres à la société émettrice. Celle-ci perçoit, outre l’encaissement du prix de ces titres, une subvention de l’Etat. Le prix des titres services et les subventions sont versés à la société agréée qui emploie les travailleurs. Quant au FOREm, la cour souligne qu’il est le « bras armé de l’Etat fédéral » dans le contrôle des aspects budgétaires et du respect des dispositions légales et réglementaires dans le secteur d’activité. Il peut notamment interdire le paiement et ordonner la récupération des deux interventions (intervention fédérale et quote-part utilisateur) en cas d’infraction. Il peut également procéder à la récupération lorsque les interventions ont été accordées indûment.

La cour examine ensuite les infractions constatées, étant qu’il n’y a pas d’enregistrement séparé des activités de titres-services, que les travailleurs effectuaient des prestations inférieures à trois heures par jour, que des titres-services avaient été remis pour des heures non entièrement accomplies, que des prestations avaient été effectuées sans contrat de travail par la responsable de l’entreprise elle-même, que certaines activités avaient été exercées (nettoyage de locaux commerciaux) alors qu’elles ne sont pas autorisées dans le cadre des titres-services, que des titres avaient été remis non complétés par l’utilisateur, et ce à la demande de l’entreprise agréée, et, enfin, que le nombre de titres-services remboursés ne correspondait pas au nombre d’heures prestées. Les infractions sont retenues par la cour.

Le curateur demandant à la cour de réduire la sanction à 50.000 euros en lieu et place des 470.000 réclamés, la cour considère que se pose la question de savoir si le FOREm dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans le cadre de la mission qui lui est dévolue par l’arrêté royal du 12 décembre 2001 ou s’il s’agit d’une compétence liée lui imposant de procéder obligatoirement à la récupération de l’intervention litigieuse.

Pour la cour, ni le principe de la séparation des pouvoirs ni le principe souverain de l’administration ne font obstacle à ce que les juridictions du travail procèdent à un contrôle des actes administratifs, pourvu qu’elles ne sortent pas de leur compétence. Elles doivent en effet contrôler tant la légalité externe que la légalité interne des actes administratifs, et ce pour autant qu’elles ne portent pas atteinte au pouvoir discrétionnaire des autorités.

Elle fait encore le rappel de la distinction entre un pouvoir discrétionnaire et une compétence liée et conclut, après le rappel des textes réglementaires, qu’il n’apparaît pas que le FOREm dispose d’une quelconque latitude dans sa décision de récupération. Celle-ci est une conséquence de l’absence de réunion des conditions d’octroi et il ne peut être conclu qu’il y aurait une sanction de nature pénale, pour laquelle les juridictions pourraient accorder une mesure de suspension du prononcé de la condamnation. Le jugement est dès lors confirmé en ce qu’il a fait droit à la décision de récupération prise par l’ONEm.

La cour abordera encore une question de compensation demandée par le FOREm, à laquelle elle ne fait pas droit. Elle réforme par conséquent le jugement sur la créance de la société faillie à l’égard du FOREm à concurrence de 91.000 euros, montant qui lui a été versé par la société émettrice.

Intérêt de la décision

Cet épais arrêt de la Cour du travail de Mons reprend en détail l’examen des diverses infractions constatées en l’espèce, infractions patentes au système de fonctionnement des titres-services. La première de celles-ci est l’absence d’enregistrement séparé des activités de titres-services dans l’ensemble des activités des deux sociétés dont l’intéressée était responsable.

En l’occurrence, des listings ont été présentés mais ne mentionnaient pas de manière systématique le nom des travailleurs, ils ne correspondaient pas à la réalité des prestations, le nombre des titres-services remis était plus élevé que le nombre d’heures prises sur ceux-ci, etc.

La cour a conclu que l’obligation d’enregistrement correct des activités distinctes n’était pas respectée, ce qui suffisait à établir la première infraction. Les autres sont plus factuelles, mais leur existence a été confirmée par la cour.

La cour reprend également, sur le plan des règles de droit judiciaire, les rôles respectifs de l’ONEm et du FOREm dans la procédure, étant que le transfert de compétence intervenu dans le courant de l’année 2016 a donné lieu à une succession, intervenant de plein droit par l’effet direct de la loi, de telle manière qu’aucune reprise d’instance ne se justifiait d’une part et que, au moment où l’ONEm a posé certains actes de procédure (même en première instance), il n’était plus habilité à ce faire.


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