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Titres-services : contrôle par le juge des référés du fondement a priori d’une décision de l’ONEm

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 mai 2013, R.G. 2013/CB/6

Mis en ligne le lundi 8 octobre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 2 mai 2013, R.G. n° 2013/CB/6

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 2 mai 2013, la Cour du travail de Bruxelles examine, dans le cadre de la compétence du juge en référés, l’existence d’infractions graves au sens de la réglementation sur les titres-services.

Les faits

Une entreprise agréée de titres-services fait l’objet d’une enquête par les services de l’Inspection de l’ONEm. Il s’avère notamment que son objet social dépasse l’organisation d’activités de titres-services, s’étendant à la prestation de services de toute nature pour entreprises et particuliers (nettoyage et HORECA). Lors de l’inspection, il est constaté que le gérant est absent de Belgique depuis plus de 6 mois, restant joignable par un employé administratif par internet.

L’ONEm décide, suite à cette inspection, de demander à la société émettrice de titres-services de lui verser le montant total des titres à introduire par la société pour l’avenir. La décision se fonde sur l’article 10bis, § 3 de l’arrêté royal du 12 décembre 2001 concernant les titres-services.

Elle relève des éléments qu’elle qualifie d’infractionnels (représentation des utilisateurs pour la commande et l’utilisation des titres, non-respect de la réglementation en ce qui concerne l’enregistrement des prestations, rémunération des travailleurs sur la base des titres-services remis pour remboursement et non conformément au contrat de travail,…).

Pour l’ONEm, certaines de ces infractions sont des infractions graves au sens de la réglementation. Il invite la société à présenter ses moyens de défense et à consulter son dossier d’enquête. Il informe également celle-ci de la possibilité de revoir la décision en fonction des éléments qui seraient exposés.

Un courrier est alors adressé par l’avocat de la société, faisant valoir, pour l’achat de titres-services pour les clients au départ du compte personnel du gérant, qu’il s’agit d’un service proposé pour faciliter la tâche des utilisateurs, chose par ailleurs non répréhensible. D’autres explications sont données, dans lesquelles il est mis l’accent sur le caractère purement formel ou administratif des griefs, ainsi que sur la possibilité qui eut existé de donner une sanction plus adéquate (avertissement).

Suite à ce courrier, l’ONEm répond qu’il maintient sa décision. Un pro justitia est dressé à l’encontre du gérant, ainsi que de la société elle-même. Des infractions sont constatées, relatives à (i) l’enregistrement des activités titres-services, (ii) la transmission à la société émettrice aux fins de remboursement de plus de titres-services que d’heures déclarées à l’O.N.S.S. et (iii) la représentation de l’utilisateur pour commander les titres et les signer.

Une citation est alors formée devant la Présidente du Tribunal du travail de Bruxelles, en référé, demandant l’annulation de la décision de l’ONEm et une injonction de mainlevée de la retenue notifiée à la société émettrice.

La société est déboutée par ordonnance du 14 mars 2013 et interjette appel.

L’arrêt de la cour

La cour statue en premier lieu sur sa compétence, sur la base de l’article 582, 14° du Code judiciaire, qui permet aux juridictions du travail de connaître des contestations relatives à la loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d’emplois de proximité (à l’exception des conditions relatives à l’octroi, au refus et au retrait d’agrément).

La cour reconnaît également l’urgence, dont elle rappelle qu’elle est une condition de fond et non une condition de recevabilité. Sur cette question d’urgence, la cour constate qu’elle est saisie près de 3 mois après la décision administrative et que la société n’a toujours pas introduit d’action au fond, ce qui est d’ailleurs vivement reproché par l’ONEm, qui expose qu’elle aurait pu, dans le cadre de l’article 19, alinéa 2 du Code judiciaire, demander des mesures provisoires au juge du fond. La cour constate que, si ceci est exact, l’urgence est néanmoins rencontrée en l’espèce, vu la situation dans laquelle la société se dit plongée du fait de l’interdiction faite à la société émettrice de rembourser les titres-services, la survie de l’entreprise étant menacée et, notamment, un plan d’apurement de l’ordre de 240.000 € négocié avec l’O.N.S.S. ne pouvant être respecté.

La cour en vient alors à l’examen du provisoire, l’ONEm contestant que la demande reste dans les limites de celui-ci. Elle constate ici que l’absence d’introduction d’une affaire au fond pourrait avoir comme conséquence que, s’il était fait droit à la mesure sollicitée, à savoir la suspension de la décision de l’ONEm, celle-ci aurait de facto un caractère définitif, en tout cas jusqu’à ce que l’ONEm prenne une nouvelle décision, puisque plus aucun recours judiciaire ne serait possible pour l’Office et que la société pouvait rester sans introduire elle-même la procédure.

Elle aborde ensuite le fondement de la demande proprement dit, afin de rencontrer de manière circonstanciée les objections de la société. Celles-ci sont essentiellement liées en premier lieu à un défaut de motivation de la décision administrative, argument que la cour rejette, constatant une motivation suffisante en fait et en droit. La société soutenant que le caractère grave de l’infraction ne serait pas établi (les fautes qui lui sont reprochées ne figurant pas dans l’article 10bis, § 3 de l’arrêté royal du 12 décembre 2001 concernant les titres-services), la cour balaye également cet argument, rappelant que la disposition, qui donne une énumération de comportements fautifs constitutifs d’infractions graves, n’est pas limitative, utilisant d’ailleurs expressément le terme « notamment ».

La cour va dès lors se lancer dans un examen prima facie des éléments de droit et de fait qui lui sont soumis et constater, d’après les déclarations faites et figurant au dossier, que l’ONEm apporte a priori la preuve qui lui incombe, les manquements constituant a priori des fautes, voire, pour certains, des fraudes manifestes. La cour constate également qu’un procès-verbal a été établi, relatif à une infraction (punissable de sanction de niveau 4), tel que prévu par l’article 177/1, § 1er du Code pénal social.

Elle conclut dès lors, tout en rappelant encore les possibilités données à la société de s’expliquer et de consulter son dossier – ce qu’elle n’a pas fait –, que l’ONEm n’a commis, dans le cadre de l’examen prima facie qu’elle fait du dossier, aucune faute. Elle confirme dès lors l’ordonnance attaquée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, rendu dans le cadre des référés, est une illustration des pouvoirs du juge des référés dans ce type d’affaires où les juridictions constatent que leur compétence est fondée, qu’il y a (dans l’affaire jugée) urgence et que se pose la question du provisoire à défaut de procédure introduite au fond. Examinant le fondement de la demande elle-même, la cour se livre, dans le cadre des référés, à un examen prima facie du dossier, pour prendre une décision qui ne portera pas préjudice au fond.


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