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Règlement de coordination n° 883/2004 et droit à des prestations familiales garanties à titre provisoire

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 8 mars 2018, R.G. 15/1.692/A

Mis en ligne le vendredi 28 septembre 2018


Tribunal du travail du Hainaut, division La Louvière, 8 mars 2018, R.G. 15/1.692/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 mars 2018, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) rappelle qu’existe, dans le cadre de la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties, le droit à des prestations provisoires, dès lors que les droits de l’enfant ne sont pas définitivement déterminés. En l’occurrence, il s’agit de solliciter l’intervention de FAMIFED dans l’attente du paiement des allocations familiales par une institution française.

Les faits

Une mère de famille sollicite en octobre 2014 l’octroi de prestations familiales garanties pour ses deux enfants. FAMIFED refuse au motif qu’il existerait un droit prioritaire dans le chef du père, qui est en France.

Un recours est introduit devant le tribunal. Celui-ci étant formé en juin 2015 pour une demande introduite en octobre 2014, le tribunal retient que FAMIFED ne prendra sa décision qu’en novembre 2016, ceci signifiant qu’au moment où la requête a été introduite, il y avait carence dans son chef, vu les délais des articles 23 et 10 de la Charte de l’assuré social (ce dernier fixant un délai de 4 mois maximum à partir de la réception de la demande).

Le tribunal est ainsi saisi du bien-fondé du refus de FAMIFED, qui estime qu’il s’agit d’un droit résiduaire, celui-ci ne pouvant être accordé que si l’enfant n’est pas bénéficiaire de prestations familiales en vertu d’un autre régime belge ou étranger.

La décision du tribunal

Le tribunal examine, après le rappel du droit interne, à savoir les dispositions pertinentes de la loi du 20 juillet 1971, les règles du Règlement européen n° 883/2004 de coordination et de son Règlement d’application n° 987/2009.

S’agissant de son champ d’application personnel, la demanderesse est couverte et le tribunal relève également que, sur le plan du champ d’application matériel, les prestations familiales figurent à l’article 3.

Le droit européen fixe comme principe l’unicité de la législation applicable, de telle sorte que la jurisprudence de la Cour de Justice est formelle sur la question : l’article 11 du Règlement s’oppose à ce qu’un Etat membre soit considéré comme l’Etat compétent pour octroyer une prestation familiale à une personne du seul fait que cette dernière a un domicile enregistré sur le territoire de cet Etat membre sans que celle-ci et les membres de sa famille travaillent ou résident habituellement dans ledit Etat membre.

En vertu de l’article 67 du même texte, une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l’Etat membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre Etat membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier Etat. Il y a un ordre de priorité, fixé à l’article 68, dont le texte dispose qu’il est le suivant : en premier lieu, les droits ouverts au titre d’une activité salariée ou non salariée, ensuite les droits ouverts au titre de la perception d’une pension, et enfin les droits ouverts au titre de la résidence.

Dès lors qu’une demande est introduite sans respecter l’ordre de priorité fixé par le Règlement, l’institution est tenue de transmettre sans délai la demande à l’institution compétente de l’Etat membre dont la législation est applicable en priorité et elle doit prendre cette demande en considération comme si elle lui avait été soumise directement.

Par ailleurs, ceci intervient sans préjudice des dispositions du Règlement d’application concernant la liquidation provisoire des prestations, étant que ces prestations provisoires peuvent être récupérées à charge de l’institution compétente. A défaut d’accord entre les institutions sur l’identification de l’institution compétente, la Commission administrative peut toujours être saisie et la désignation de l’institution compétente interviendra avec effet rétroactif.

Le tribunal rappelle encore la procédure, longuement exposée à l’article 6 du Règlement d’application, selon laquelle, en cas de contestation, il faut de toute façon appliquer l’ordre de priorité en cause, c’est-à-dire que sera applicable la législation de l’Etat membre où la personne a une activité salariée.

Il s’agit d’un système de subrogation permettant à l’Etat du lieu de résidence de considérer qu’il a payé les prestations en espèces pour compte de l’Etat qui sera retenu comme étant compétent.

Il en découle que l’institution de l’Etat de résidence pourra saisir la Commission administrative pour récupérer, éventuellement auprès des autorités étrangères, les prestations familiales qu’elle a payées provisoirement.

Le tribunal souligne que, vu les principes européens contenus dans les règlements de coordination (unicité de la législation applicable, règlement entre Etats et institutions des conflits de compétence et principe de subrogation), un citoyen couvert par le Règlement ne peut être privé de prestations aussi essentielles que les prestations familiales, uniquement en raison du fait qu’un autre Etat serait compétent.

En l’espèce, reprenant tous les éléments du dossier, le tribunal retient que la mère vit en Belgique avec ses enfants alors que le père vit en France, où il exerce une activité salariée. En vertu des règles de priorité, l’institution compétente est l’institution française, à savoir la CAF française de Valence, lieu de résidence du père. Rien ne s’oppose, dès lors, à ce que l’organisme français paie les allocations familiales.

Dans l’attente, le tribunal examine la situation de la mère, qui sollicite le bénéfice des prestations en cause depuis le 1er octobre 2014. En vertu de l’article 3bis de la loi du 20 juillet 1971, existe un droit aux prestations familiales garanties provisoires au profit des enfants dont les droits définitifs n’ont pu être déterminés. L’objectif du législateur est, comme le rappelle le tribunal, de ne pas laisser un enfant sans prestations familiales dans l’attente de la détermination de l’organisme compétent. Le droit aux prestations familiales garanties a, dès lors, un double fondement, étant d’abord le Règlement européen et, ensuite, la loi du 20 juillet 1971 elle-même.

Le tribunal conclut que, en ce qui concerne FAMIFED, il y avait lieu de transmettre sans délai la demande à l’institution compétente, et ce vu les articles 67 et 68 du Règlement de coordination. Ceci n’est intervenu qu’en février 2015 et, à l’heure où le tribunal statue, il n’y a pas eu de suite dont il peut tenir compte. En conséquence, il estime ne pas devoir limiter dans le temps la condamnation aux allocations provisoires.

Intérêt de la décision

Le jugement du Tribunal du travail du Hainaut renvoie notamment à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 19 mai 2014 (C.J.U.E., 19 mai 2014, Aff. n° C-394/13, MINISTERSTVO PRÁCE A SOCIÁLNÍCH VĚCÍ c/ B.), qui a donné la règle d’interprétation des dispositions des deux règlements relatives à la détermination de l’Etat membre compétent pour octroyer une prestation familiale eu égard à la condition de résidence habituelle. Cet arrêt a été précédemment commenté.

La Cour y a rappelé que la notion de résidence au sens du droit européen est le lieu où la personne réside habituellement. La résidence est assimilée au centre d’intérêts de la personne concernée. Un Etat membre ne pourra dès lors être considéré comme Etat compétent pour l’octroi d’une prestation familiale du seul fait qu’une personne ait un domicile enregistré sur le territoire sans qu’elle-même ou les membres de sa famille y travaillent ou y résident habituellement.

L’on rappellera encore, sur cette question, le Guide publié par la Commission européenne en novembre 2013 sur la notion de résidence habituelle en matière de sécurité sociale.


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