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Non-paiement de rémunération : octroi de la réparation en nature

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 avril 2018, R.G. 2015/AB/857

Mis en ligne le vendredi 3 août 2018


Cour du travail de Bruxelles, 9 avril 2018, R.G. 2015/AB/857

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 avril 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, s’agissant d’une demande de réparation du préjudice causé suite au non-paiement de la rémunération (en tant qu’infraction), que le mode normal, à privilégier, est la réparation en nature. Celle-ci contiendra la majoration à l’équivalent des intérêts légaux.

Les faits et rétroactes

Une domestique privée au service d’une famille de diplomates en poste à Bruxelles était entrée en litige avec ses employeurs, les ayant quittés et ayant déposé plainte auprès de l’Inspection sociale au vu des conditions de travail exécrables.

Les juridictions du travail ont ensuite été saisies par elle en vue de condamnation des intéressés au paiement de sommes, la travailleuse demandant en outre à bénéficier du statut de victime de la traite des êtres humains.

Les personnes concernées ayant entre-temps quitté la Belgique, la procédure a néanmoins été poursuivie et, par jugement du 18 juin 2015, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a condamné solidairement les deux membres du couple au paiement de dommages et intérêts. La réouverture des débats a cependant été ordonnée pour le calcul d’arriérés de rémunération.

Appel a été interjeté devant la cour du travail et celle-ci a rendu un premier arrêt le 4 septembre 2017 (C. trav. Bruxelles, 4 septembre 2017, R.G. 2015/AB/857 – commenté pour SocialEye), arrêt important à la fois sur la question de l’immunité de juridiction et sur la notion de traite des êtres humains.

La cour a ordonné la réouverture des débats – comme l’avait fait le tribunal – sur la question de la rémunération.

La travailleuse faisait valoir une infraction de non-paiement de la rémunération, correspondant à la différence entre la rémunération due et celle qu’elle avait effectivement perçue. Le fondement de cette demande était le nombre d’heures de travail accomplies par la domestique au service du couple, à savoir des prestations variant entre 86 heures et 98 heures par semaine.

La cour avait relevé qu’il s’agissait de plus du double pour un temps plein et que l’intéressée percevait un salaire de 150 euros. Le premier arrêt rendu avait déjà fixé la règle que la rémunération due devait être déterminée par les barèmes établis par les conventions collectives rendues au sein de la commission paritaire pour la gestion d’immeubles et les travailleurs domestiques. Un décompte d’arriérés a, en conséquence, été effectué et le total avoisinait le montant de 100.000 euros bruts (dont à déduire 4.800 euros nets).

La décision de la cour

Dans son arrêt du 9 avril 2018, la cour, après avoir examiné ce décompte, en confirme l’exactitude. Se pose à ce stade la question de la réparation en nature du préjudice.

Les parties appelantes considèrent en effet que, dans la mesure où la travailleuse postule devant la cour le paiement d’une somme au titre de réparation en nature de l’infraction (donc au titre d’arriérés de rémunération), il s’agit d’une demande nouvelle et que celle-ci est irrecevable dans la mesure où elle excéderait le cadre de la réouverture des débats.

La cour rejette cet argument, relevant que, dès la citation introductive d’instance, il a été fait état de paiement d’arriérés de rémunération.

Tout en relevant certes la modification du libellé de l’objet de la demande à divers stades de la procédure, la cour conclut que la réparation ait lieu en nature (condamnation de l’employeur au paiement d’arriérés de rémunération) ou par équivalent (condamnation à payer une somme d’argent en lieu et place de la rémunération), ceci ne modifie pas l’objet de la demande. Renvoi est fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2017 (Cass., 3 avril 2017, n° S.16.0039.N). L’employeur avait, dans le cadre d’une action opposant le travailleur à lui-même et portant sur des dommages et intérêts devant réparer le non-paiement à l’O.N.S.S. de cotisations sociales, proposé de réparer le préjudice en nature en payant les cotisations elles-mêmes. Ceci ayant été refusé par la cour du travail, la Cour de cassation censura la décision de la cour, rappelant que la réparation en nature est le mode normal d’indemnisation du dommage. Pour qu’il soit admis, ce mode de réparation doit être possible et ne pas constituer un abus de droit.

Renvoyant également à un arrêt du 22 janvier 2007 (Cass., 22 janvier 2007, n° S.05.0095.N), la cour du travail reprend la jurisprudence selon laquelle il est admis que la condamnation de l’employeur au paiement des arriérés bruts (soumis aux retenues sociales et fiscales) constitue la réparation en nature et que celle-ci permet de replacer le travailleur dans la situation où il se serait trouvé si l’infraction n’avait pas été commise.

Elle fait dès lors droit à la demande quant à son principe et dans son montant.

Se pose encore la question de savoir s’il y a lieu d’appliquer à la cause des intérêts aux taux légaux sur le montant brut à dater de l’exigibilité de chaque période de paie, ce que la demanderesse originaire postule. Pour la cour, dans la mesure où l’article 10 de la loi sur la protection de la rémunération (qui dispose que la rémunération porte intérêt de plein droit à dater de son exigibilité) n’est pas applicable à la rémunération allouée au titre de réparation en nature, le préjudice doit être réparé intégralement et elle alloue, dans le quantum de celle-ci, un montant équivalent à celui des intérêts qui seraient calculés sur la base de l’article 2, § 1er, de la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à l’intérêt, si cette disposition était applicable. La base est le brut de chaque paie mensuelle, à savoir que les intérêts (plus exactement le montant correspondant) sont dus à partir de la date d’exigibilité, et ce jusqu’au parfait paiement.

Les dépens sont mis à charge des deux parties appelantes.

Intérêt de la décision

Les questions spécifiques à la situation en cause avaient été réglées par un arrêt précédent, étant d’une part celles liées à l’immunité dont bénéficiaient le diplomate et son épouse, ainsi que le volet du dossier relatif à la demande de reconnaissance en tant que victime de la traite d’êtres humains.

Les faits étaient en effet particulièrement graves et la cour avait retenu qu’en la matière, l’élément constitutif est la mise au travail d’une personne s’inscrivant dans des conditions contraires à la dignité humaine. Les conditions de travail doivent être humainement indignes et représenter une exploitation économique. La situation avait été admise en l’espèce.

Dans ce dernier arrêt, la cour fait une stricte application des principes en matière de réclamation de paiement d’arriérés de rémunération en tant que mode de réparation en nature d’un dommage subi suite au non-paiement de la rémunération elle-même, et ce dans le cadre du délai de prescription prévu en cas d’infraction.

La cour a rappelé que la réparation en nature est le mode qui permet de replacer le travailleur dans la situation dans laquelle il se serait trouvé si l’infraction de non-paiement de la rémunération n’avait pas été commise.


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