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Liberté de circulation et indemnité de maternité

Commentaire de C.J.U.E., 7 mars 2018, Aff. n° C-651/16 (DW c/ VALSTS SOCIĀLĀS APDROŠINĀŠANAS AĢENTŪRA)

Mis en ligne le lundi 16 juillet 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 7 mars 2018, Aff. n° C-651/16 (DW c/ VALSTS SOCIĀLĀS APDROŠINĀŠANAS AĢENTŪRA)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 mars 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle que l’exercice du droit à la libre circulation par un ressortissant de l’Union ne peut lui causer préjudice sur le plan des prestations sociales auxquelles il peut prétendre en vertu de son droit national.

Les faits

Un litige oppose une assurée sociale à l’Agence nationale de sécurité sociale lettonne au sujet du montant de l’allocation de maternité à lui octroyer.

Elle a sollicité une allocation de maternité pour la durée de son congé de grossesse le 2 janvier 2014 et également pour la durée de son congé de maternité le 2 avril. Se pose une question quant au montant de cette allocation. L’Agence nationale la calcule à concurrence de 80% de la base moyenne des cotisations calculée par jour civil, tenant compte des revenus perçus au cours des 12 mois civils de la période de référence ainsi que du nombre de jours dans celle-ci. Or, l’intéressée a travaillé pendant 11 mois pour une institution de l’Union européenne, de telle sorte qu’elle n’a pas eu la qualité de travailleuse salariée en Lettonie pendant cette période. Pour cette occupation, c’est un chiffre de 70% de la base moyenne qui a été retenu (correspondant à une période de non-emploi), le taux complet ayant cependant été pris en compte pour le mois où elle a cotisé en Lettonie.

Le tribunal administratif de district est saisi par l’intéressée, afin qu’il soit procédé à un nouveau calcul du montant de son allocation. Il y fait droit en application du Règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004, ainsi que sur la base du T.F.U.E.

Suite à l’appel interjeté par l’Agence nationale, la décision est réformée par la cour administrative régionale, qui estime que le Règlement, qui préconise la totalisation des périodes accomplies pour l’acquisition d’un droit, n’est pas applicable dans le cas d’espèce, dès lors que le droit national n’exige, pour l’octroi de l’allocation en cause, aucune période préalable d’affiliation à la sécurité sociale lettone.

Un pourvoi est introduit devant la Cour suprême, l’intéressée faisant valoir qu’il y a contrariété aux articles 45 à 48 T.F.U.E. et à la jurisprudence de la Cour de Justice. Elle demande qu’il ne soit pas tenu compte des périodes d’assurance effectuées au sein des institutions de l’Union, mais que soit ajouté le montant de la prestation à celui qu’elle aurait perçu si elle avait travaillé en Lettonie.

La juridiction de renvoi constate que l’intéressée se trouve désavantagée, car elle a exercé sa liberté de circulation et que la base retenue est bien inférieure à celle prise en compte pour le mois de travail effectif dans le pays. Cette méthode de calcul aboutit, en fin de compte, à faire dépendre le montant de l’allocation de la durée de la période d’activité du travailleur en Lettonie.

Or, ceci peut constituer une restriction à la liberté de circulation des travailleurs et donc être contraire à l’article 45 T.F.U.E.

La Cour de Justice est dès lors interrogée.

La question préjudicielle

La question posée est de savoir si l’article 4, § 3, T.U.E et l’article 45, T.F.U.E. s’opposent à une telle réglementation, qui, pour déterminer la base moyenne de cotisations d’assurance pour le calcul de l’allocation de maternité, assimile les mois de la période de référence pendant lesquels il y a eu des prestations pour une institution de l’Union et où l’intéressée n’a pas été affiliée au régime national à une période de non-emploi et leur applique la base moyenne de cotisations fixée dans ce pays, ce qui a pour objet de réduire substantiellement le montant de l’allocation.

La décision de la Cour

La Cour doit vérifier si la réglementation nationale constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs et, dans l’affirmative, si celle-ci est susceptible d’être objectivement justifiée.

Elle aborde en premier lieu la question du champ d’application personnel de l’article 45 T.F.U.E., qui inclut les ressortissants de l’Union indépendamment de leur lieu de résidence et de leur nationalité, qui ont fait usage du droit à la libre circulation et ont exercé une activité professionnelle dans un Etat membre autre que celui dont ils sont originaires. La disposition s’applique également aux travailleurs qui ont accepté un emploi dans une organisation internationale. Le fait d’accepter un tel emploi ne leur fait donc pas perdre leur qualité de travailleur au sens de l’article 45 du Traité.

La Cour reprend ensuite, au travers d’importants arrêts rendus (ROCKLER, ÖBERG, GOUVERNEMENT DE LA COMMUNAUTE FRANÇAISE ET GOUVERNEMENT WALLON, ainsi que COMMISSION c/ CHYPRE), les principes, selon lesquels les dispositions qui empêchent ou dissuadent les ressortissants d’un Etat de l’Union de quitter leur Etat pour exercer leur droit à la libre circulation constituent des entraves à celle-ci, et ce même si elles s’appliquent indépendamment de leur nationalité.

Elle constate que la législation lettonne ne soumet pas en tant que tel l’octroi du droit à l’allocation à la condition pour l’intéressée d’avoir été affiliée à la sécurité sociale, mais que, en fin de compte, vu la base de calcul, le montant de la prestation est substantiellement inférieur à celui auquel elle aurait pu prétendre si elle avait continué à cotiser en Lettonie.

Le problème s’est déjà posé à propos de prestations familiales (et la Cour rappelle ici les arrêts ROCKLER et ÖBERG). Une législation susceptible d’entraver et donc de décourager l’exercice d’une activité professionnelle en dehors de l’Etat membre – et ce que ce soit dans un autre Etat ou au sein d’une institution ou même d’une autre organisation internationale – constitue une entrave interdite.

La Cour se livre ensuite à l’examen de l’existence d’une justification éventuelle à cette entrave. Une mesure restrictive des libertés fondamentales garanties par le Traité ne peut, comme elle le rappelle, être justifiée que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec celui-ci et qu’elle respecte le principe de proportionnalité. La Cour de Justice rejette les explications du Gouvernement letton, qui sont d’ordre principalement économique. Ceci ne peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général autorisant la restriction en cause.

La Cour déplore encore qu’elle n’ait eu du Gouvernement letton que des affirmations « tout à fait générales », ne permettant pas de pousser plus loin l’analyse, alors que, selon sa jurisprudence constante, les autorités nationales peuvent, lorsqu’elles adoptent une mesure dérogatoire à un principe du droit de l’Union, établir qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. Les explications manquent, en l’espèce, et la Cour conclut dès lors à l’absence de justification de la mesure.

Sa conclusion est que l’article 45 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une telle réglementation, qui assimile la période où une travailleuse a presté pour le compte d’une institution de l’Union européenne à une période de non-emploi et applique, en conséquence, une base moyenne de cotisations correspondante ayant pour effet de réduire substantiellement le montant de l’allocation de maternité.

Intérêt de la décision

La Cour a confirmé à de nombreuses reprises sa jurisprudence dans l’hypothèse où des travailleurs d’un Etat membre avaient subi un préjudice sur le plan des prestations de sécurité sociale auxquelles ils pouvaient prétendre, et ce du fait de leur période d’occupation antérieure au bénéfice d’une institution européenne.

L’on peut utilement rappeler l’arrêt rendu le 21 janvier 2016 (C.J.U.E., 21 janvier 2016, Aff. n° C-515/14, COMMISSION EUROPEENNE c/ REPUBLIQUE DE CHYPRE), où elle a fait droit à un recours en manquement de la Commission européenne introduit contre la République de Chypre. Il s’agissait de prestations en matière de pension de retraite, l’intéressé ayant démissionné aux fins d’accepter une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union. Pour la Cour de Justice, la perte du bénéfice des prestations nationales est contraire à l’article 45 T.F.U.E. (cet arrêt de la Cour de Justice du 21 janvier 2016 a été commenté sur SocialEye).

Sont également déterminantes deux affaires belges, étant l’arrêt WOJCIECHOWSKI (C.J.U.E., 10 septembre 2015, Aff. n° C-408/14) et l’arrêt MELCHIOR (C.J.U.E., 4 février 2015, Aff. n° C-647/13).


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