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Motif grave et audition préalable d’un agent contractuel du secteur public

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 décembre 2017, R.G. 2015/AB/518

Mis en ligne le vendredi 15 juin 2018


Cour du travail de Bruxelles, 5 décembre 2017, R.G. 2015/AB/518

Terra Laboris

Par arrêt du 5 décembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’enseignement de la Cour constitutionnelle en la matière, dans son arrêt du 6 juillet 2017, étant que la différence objective entre la relation de travail statutaire et la relation de travail contractuelle ne peut justifier une différence de traitement dans l’exercice du droit garanti par le principe audi alteram partem.

Les faits

Une agence publique (wallonne) a engagé en 2009 un attaché économique et commercial. Il est convoqué en 2012 pour un entretien et, le même jour, une lettre recommandée lui est adressée, lui notifiant son licenciement pour motif grave. Les motifs sont précisés ultérieurement, dans une longue lettre où il est fait état de frais professionnels indus, d’absences injustifiées et de fraude (frais présentés à l’administration fiscale comme pris en charge par lui-même – ce qui n’était pas le cas). Une procédure est engagée par l’intéressé, après un courrier d’explications adressé par lui – mais infructueusement – afin de restaurer la confiance.

Parmi les chefs de demande, figure une indemnité de 10.000 euros pour violation des principes de bonne administration et des droits de défense.

Sur le motif grave, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a admis, dans un jugement du 13 février 2015, qu’il y avait un comportement fautif, mais que celui-ci ne présentait pas, dans les circonstances de l’espèce, un degré de gravité suffisant pour justifier le licenciement sans préavis ni indemnité. Le préavis a été fixé à 4 mois. Le tribunal a considéré, pour ce qui est de l’audition préalable, que l’employeur public avait satisfait à son obligation.

Appel est interjeté par celui-ci, qui conteste la décision du tribunal sur l’absence de motif grave. L’intimé forme une demande incidente sur la question de la violation des principes de bonne administration et des droits de la défense. Il conteste également la hauteur de l’indemnité compensatoire de préavis et forme également d’autres réclamations (frais de déménagement,…).

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu – et essentiellement – la question des dommages et intérêts réclamés en raison du non-respect du principe audi alteram partem.

L’intéressé fait en effet valoir qu’il a été mis au courant de la visite d’une mission venant de Bruxelles, mais ce la veille de celle-ci, en fin de journée, et sans avoir été informé du motif.

L’employé ne partage pas la conclusion du tribunal selon laquelle l’organisation d’une audition avec communication préalable du dossier, ceci dans un délai suffisant pour préparer utilement sa défense, etc., n’est pas compatible avec le délai de 3 jours de l’article 35 de la loi sur les contrats de travail, le tribunal ayant précisé que, dans la mesure où l’intéressé a pu s’expliquer sur les faits qui lui étaient reprochés, l’employeur a satisfait à son obligation.

La cour commence par rappeler l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 juillet 2017 (C. const., 6 juillet 2017, n° 86/2017), qui a jugé qu’existe une différence objective entre la relation de travail statutaire et la relation de travail contractuelle, mais que celle-ci ne peut justifier pour les agents de l’autorité publique une différence de traitement dans l’exercice du droit garanti par le principe de bonne administration audi alteram partem.

Tout en soulignant qu’une telle audition n’est pas incompatible avec les exigences de l’article 35 LCT, la cour souligne que, si une audition a eu lieu, celle-ci n’a pas permis à l’intéressé de préparer utilement sa défense, celui-ci ayant été pris au dépourvu et ayant dans ce contexte dû répondre à des questions relatives à des déplacements anciens parfois de 3 ans.

La cour estime qu’il y a lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts, ceux-ci devant réparer la perte d’une chance de garder l’emploi que l’employé aurait pu avoir s’il avait pu s’expliquer utilement. Un montant de 5.000 euros est alloué.

La cour examine ensuite la question du motif grave et rejoint le tribunal du travail, considérant que l’intéressé a peut-être eu une interprétation trop large de la flexibilité de ses prestations et, partant, des horaires, mais que l’employeur eut dû adopter un comportement prudent et raisonnable, à savoir lui donner un avertissement avant de recourir à la sanction suprême que constitue le licenciement pour motif grave. Cette perception erronée ne constitue même pas, pour la cour, pour autant nécessairement une faute.

Le tribunal n’ayant pas vidé sa saisine en ce qui concerne les montants, la cour tranche la question du montant de l’indemnité elle-même, la hauteur de celle-ci étant par ailleurs confirmée (4 mois).

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles s’appuie sur l’important arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 6 juillet 2017. Celle-ci avait été interrogée par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles à propos du licenciement d’un membre du personnel communal ayant le statut d’agent contractuel.

Sur le test de comparabilité des catégories, la Cour constitutionnelle avait considéré qu’il s’agit dans les deux cas (agent statutaire et agent contractuel) de déterminer les conditions dans lesquelles elles pouvaient être valablement privées de leur emploi. Si les agents statutaires ne sont en principe pas comparables aux agents contractuels – puisqu’ils se trouvent dans une situation juridique fondamentalement différente –, les règles juridiques distinctes qui régissent la relation de travail de l’une et de l’autre catégorie n’empêchent pas qu’ils se trouvent, par rapport à une question de droit posée par leur action devant un juge, dans une situation comparable (B.6.1).

Sur le principe général de bonne administration audi alteram partem, la Cour a précisé que celui-ci impose à l’autorité publique d’entendre préalablement la personne à l’égard de laquelle est envisagée une mesure grave pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement. L’autorité publique agit en effet nécessairement en tant que gardienne de l’intérêt général et elle doit statuer en pleine et entière connaissance de cause lorsqu’elle prend une mesure grave liée au comportement ou à la personne de son destinataire.

Elle avait dès lors conclu, dans cette affaire, sur les articles 32, 3°, et 37, § 1er, LCT, que, interprétés comme autorisant une autorité publique à licencier un agent contractuel pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement sans être tenue d’entendre celui-ci préalablement, ceux-ci ne sont pas compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution. En tant que ces mêmes dispositions n’empêchent pas l’autorité administrative de respecter ce principe général de bonne administration, il n’y a pas de différence de traitement et d’incompatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

La question a récemment ressurgi, puisque, dans un arrêt du 22 février 2018 (C. const., 22 février 2018, n° 22/2018), la Cour constitutionnelle, qui a été interrogée à propos de l’article 35, et ce par le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), a abouti à une conclusion identique : si cette disposition est interprétée comme faisant obstacle au droit d’un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement pour motif grave, il y a violation des articles 10 et 11 de la Constitution. Cette violation n’existe pas dès lors que cette même disposition est interprétée comme ne faisant pas obstacle à l’audition préalable.


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