Terralaboris asbl

Non-respect des conditions du contrat d’intérim : conséquences

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 10 janvier 2018, R.G. 16/1.336/A

Mis en ligne le lundi 14 mai 2018


Tribunal du travail de Liège, division Verviers, 10 janvier 2018, R.G. 16/1.336/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 10 janvier 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) met à charge du dernier utilisateur d’une travailleuse intérimaire l’indemnité compensatoire de préavis due à celle-ci à l’issue du dernier contrat, le tribunal constatant qu’aucune des exigences légales gouvernant ce type de contrat n’a été respectée.

Les faits

Une employée administrative preste dans le cadre de contrats de travail d’intérimaire pour un utilisateur (société spécialisée dans les armatures pour béton armé), le contrat d’intérim étant conclu en remplacement d’un contrat suspendu. Elle a ensuite été mise à disposition d’une autre société s’occupant de construction et de rénovation de bâtiments industriels publics et privés. Les deux utilisateurs ont des liens étroits (même direction, activités complémentaires, proximité des sièges sociaux, etc.). Les prestations ont débuté, pour la première société, en mai 2001. Il y a eu des périodes d’interruption régulières et des contrats hebdomadaires étant ensuite conclus à de nombreuses reprises, jusqu’en juin 2016. La société d’intérim a confirmé la date de fin du dernier contrat.

L’employée a contesté, ensuite, la succession abusive des contrats d’intérim, le recours illégal à cette forme de contrat alors qu’aucune cause ne la justifiait et, également, une discrimination tant vis-à-vis de l’agence que de l’utilisateur, dans la mesure où les contrats ont été interrompus (absence de conclusion) pendant les périodes d’incapacité.

L’employée a dès lors introduit une procédure devant le tribunal du travail, faisant valoir l’existence d’un contrat à durée indéterminée avec la société d’intérim, contrat dont elle demande que la nullité soit éventuellement constatée vu la mise à disposition illicite. Elle considère également qu’il y a eu un contrat à durée indéterminée avec la seconde des deux sociétés utilisatrices. Elle réclame une indemnité de rupture, ainsi que d’autres sommes (dont une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, une indemnisation du préjudice subi vu l’absence d’offre concrète de reclassement, des régularisations salariales et une indemnité de 6 mois pour discrimination sur la base de l’état de santé).

La société d’intérim a pour sa part appelé la société utilisatrice en garantie.

La décision du tribunal

Le tribunal se penche sur la qualification du contrat de travail de l’employée. Il y a lieu de prendre en compte la loi du 24 juillet 1987 sur le travail intérimaire et le tribunal relève à cet égard que cette forme de travail a fait l’objet de beaucoup d’attention du législateur aux fins d’encadrer cette pratique et de protéger tant le travailleur intérimaire que le travailleur permanent. Il reprend les exigences du formalisme légal (existence de deux écrits : une déclaration d’intention concernant le travail en intérim et le contrat lui-même). La déclaration d’intention ne semble pas exister, n’étant en tout cas produite par aucune des deux parties. En outre, les contrats ne sont pas produits, sauf un contrat d’une semaine pour la période du 21 au 25 mars 2016, contrat qui n’est d’ailleurs pas signé par la travailleuse. Le contrat doit dès lors être requalifié en contrat à durée indéterminée.

Le tribunal constate que la protection légale ne se limite cependant pas à ces aspects formels, le travail intérimaire n’étant autorisé en Belgique que pour exécuter un travail temporaire. Les hypothèses légales prévoient le remplacement d’un travailleur permanent, le surcroît temporaire de travail et l’exécution d’un travail exceptionnel, sans préjudice de l’intérim d’insertion autorisé depuis le 1er septembre 2013.

Des exigences sont également posées en ce qui concerne le motif de l’intérim et, en l’occurrence, le « remplacement pour suspension de contrat » ne permet pas – même au stade de la procédure judiciaire – de préciser quel travailleur était remplacé. En conséquence, dès lors que la société utilisatrice a mis fin à la relation de travail, il s’agit d’un congé. Le principe du droit à une indemnité de rupture est ainsi reconnu et – en l’absence de cause légitime d’intérim – la relation de travail avec la société d’intérim est nulle.

Le tribunal en vient, ensuite, à la détermination de l’ancienneté de l’employée. Il examine à cet égard également les liens entre les deux sociétés, qui – si elles sont distinctes – sont objectivement liées l’une à l’autre : même groupe économique, même direction, même administrateur-délégué, caractère complémentaire des activités, gestion conjointe et avec les mêmes outils de certains aspects de la GRH, etc. Des éléments de fait convergent, par ailleurs, pour la période allant jusque juin 2014, pour confirmer des prestations « des deux côtés », à savoir auprès des deux sociétés.

Il y a ainsi une apparence suffisante de mise à disposition de l’employée d’une société à l’autre, celles-ci pouvant, vu les éléments ci-dessus, constituer une seule unité d’exploitation.

Existent cependant des interruptions entre les contrats, et le tribunal constate ici ne pas être suffisamment informé. Il existe depuis le 1er janvier 2014 une nouvelle disposition dans la loi du 3 juillet 1978, étant l’article 37/4, qui prévoit la valorisation d’un travail en qualité de travailleur intérimaire pour un même employeur à concurrence d’une année maximum. Se pose cependant la question de l’application de cette disposition dans l’hypothèse d’interruptions à l’intérieur de cette période de référence. Le tribunal accorde en conséquence une indemnité compensatoire de préavis provisionnelle de 12 semaines.

Sur les autres postes, il y a également lieu d’attendre la décision finale, dans la mesure où la cause n’est pas à ce stade suffisamment instruite par les parties, le motif du licenciement ayant été donné par l’employeur (à savoir les nécessités de l’entreprise) et les parties n’ayant pas satisfait à leurs obligations sur le plan de la charge de la preuve de leurs affirmations. Le point est dès lors réservé.

En ce qui concerne la demande de garantie de la société d’intérim à l’égard de la société utilisatrice, le tribunal retient qu’aucune des conditions formelles de l’intérim n’a été respectée alors qu’il s’agit d’un professionnel du secteur et que la société utilisatrice est par ailleurs responsable de l’absence de cause légitime de celui-ci. Chaque partie ayant failli à ses obligations respectives et chaque faute ayant causé l’entièreté du dommage au point de vue de la demanderesse, en application de la théorie de l’équivalence des conditions le dommage doit être forfaitaire et la condamnation doit être prononcée in solidum, les deux sociétés devant être tenues pour moitié à la contribution à la dette, vu leurs fautes propres et concurrentes.

Egalement au motif de ces fautes concurrentes, les demandes complémentaires réciproques entre les sociétés sont déclarées non fondées.

Intérêt de la décision

L’espèce tranchée par le Tribunal du travail de Liège (division de Verviers) est particulièrement étonnante, s’agissant d’une très longue période d’occupation (plus de 15 ans) entrecoupée de très nombreuses périodes de suspension, mettant en présence une société d’intérim et deux sociétés utilisatrices très intimement liées. Aucune des règles relatives au contrat de travail intérimaire, tant de forme que de fond, n’a été respectée.

Le tribunal se penche sur les effets de cette situation quant au droit à l’indemnité de rupture, chose délicate, puisque de ce fait l’ancienneté ne remplira très vraisemblablement pas la condition de l’ancienneté de service, qui suppose une occupation continue.

L’on notera encore qu’il a écarté toute question de discrimination, la demanderesse estimant qu’elle aurait été davantage protégée lors de ses interruptions de travail pour cause de grossesse et de maladie avec un contrat à durée indéterminée. Le tribunal relève ici que la demanderesse a laissé la situation persister pendant une très longue période et qu’elle n’a pas, à l’époque, considéré qu’il y avait une discrimination quelconque, aucune preuve n’étant ainsi rapportée dans le débat judiciaire à cet égard.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be