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Acte équipollent à rupture : détermination de la volonté de rompre dans le chef d’un employeur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 octobre 2017, R.G. 2015/AB/658

Mis en ligne le vendredi 13 avril 2018


Cour du travail de Bruxelles, 4 octobre 2017, R.G. 2015/AB/658

Terra Laboris

Par arrêt du 4 octobre 2017, la Cour du travail de Bruxelles confirme un jugement rendu par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, faisant droit à une demande de reconnaissance d’acte équipollent à rupture dans le chef d’une société qui a multiplié les manquements à l’égard d’un travailleur, aboutissant ainsi à en créer les conditions aux torts de l’employeur.

Les faits

Un aide-soignant prestant en maison de repos est élu (suppléant C.P.P.T.) aux élections sociales de 2008.

Il entame en septembre 2011 une formation en art infirmier dans le cadre d’un projet spécifique mis en place au sein de la commission paritaire des établissements et des services de santé. Ce système prévoit notamment la prise en charge de la rémunération du remplaçant par un fonds intersectoriel, la situation n’entraînant pas de surcoût pour l’employeur.

L’inscription de l’intéressé auprès de la haute école devant dispenser la formation est cependant refusée. Malgré l’information donnée par son conseil quant au fait qu’il ne suivait pas les cours (et entendait introduire un recours contre la décision de refus d’inscription), l’intéressé est avisé par son employeur de son intention de mettre fin au contrat pour motif grave, en respectant la procédure spéciale applicable aux représentants du personnel, le motif étant qu’il aurait été rémunéré et serait resté absent de son lieu de travail pendant près d’un mois alors qu’il ne suivait pas les cours.

Son conseil réagit immédiatement, signalant qu’il conteste le motif grave. La procédure est cependant introduite par l’employeur, qui dépose une requête devant le tribunal du travail (10 octobre 2011). Le recours introduit par l’intéressé en ce qui concerne son inscription aboutit trois jours plus tard et l’avocat informe aussitôt la société. Le contrat de travail est suspendu par la présidente du tribunal dans son ordonnance rendue en début de procédure sur pied de l’article 5, § 3, dernier alinéa, de la loi du 19 mars 1991.

La société n’ayant pas délivré les formulaires permettant à l’aide-soignant de s’inscrire au chômage pendant la période de suspension (formulaire C.3.2), un échange de correspondance se poursuit. Par ailleurs, le complément d’indemnité n’est pas payé par la société, de telle sorte que divers rappels sont de nouveau adressés à celle-ci, qui reste par ailleurs en défaut de payer la rémunération, ainsi qu’elle y est obligée par le projet de formation sectorielle.

Restent ainsi dus des compléments d’indemnité pour deux mois, ainsi que le salaire et avantages (allocation de foyer/résidence et frais de déplacements) pour un mois. Le conseil du travailleur met alors l’employeur en demeure de régulariser ces points à bref délai. Ceci n’étant pas fait, il introduit une procédure devant le tribunal du travail, demandant la condamnation de l’employeur à délivrer sous astreinte les documents de chômage manquants et à effectuer le paiement de l’incontestablement dû.

Les élections sociales de 2012 approchant, l’intéressé constate par ailleurs (16 février 2012) que son nom n’est pas repris sur la liste électorale alors qu’il remplit les conditions d’électorat, dans la mesure où il est sous contrat de travail et a d’ailleurs une ancienneté supérieure à cinq ans.

La société fait état d’une erreur, qu’elle annonce corriger. Entre-temps, le tribunal du travail, statuant dans le cadre de la procédure « loi de 1991 », a déclaré la requête nulle (jugement du 27 décembre 2011). Cette décision est définitive, l’action introduite par la citation ultérieure étant déclarée irrecevable.

L’année scolaire se poursuit et, le 18 mai, l’aide-soignant prend les contacts utiles avec son employeur en vue de la reprise du travail à l’issue de celle-ci. Aucune suite n’est réservée par la société à son courrier. En fin de compte, l’intéressé dénonce la rupture du contrat aux torts de la société. Il fait état de nombreux manquements dont il est victime depuis plusieurs mois, du fait qu’il est resté sans revenus pendant longtemps malgré les démarches faites par son conseil. Il considère que l’ensemble de ces manquements traduit la volonté de l’employeur de ne plus respecter ses obligations et de ne plus poursuivre la collaboration.

Il rappelle avoir spécifiquement questionné l’employeur quant à ses intentions et ne jamais avoir reçu de réponse.

Une mise en demeure est ensuite adressée en délivrance du C4, celui-ci étant délivré trois mois après le rappel. Une procédure est ensuite introduite devant le tribunal du travail, portant notamment sur une indemnité de rupture, ainsi que sur les sommes dues à l’issue du contrat.

La décision de la cour

La cour constate que certaines sommes ont été versées (pécule de sortie) et statue, en conséquence, sur le droit de l’intéressé à une indemnité de protection ainsi qu’aux autres sommes réclamées (prime de fin d’année et d’attractivité 2011-2012, préjudice moral).

Les développements de la cour relatifs à l’indemnité de protection sont importants sur l’étendue du pouvoir d’appréciation du juge.

Il s’agit d’examiner s’il y a acte équipollent à rupture, l’employeur ayant à la fois modifié de manière importante un élément essentiel du contrat et – surtout - ayant commis de nombreux manquements prouvant sa volonté de ne plus poursuivre celui-ci (volonté ressortant notamment de son silence ainsi que du contexte du litige). La cour relève qu’au moment du constat de rupture, l’intéressé était encore protégé par la loi du 19 mars 1991. Elle reprend les principes applicables en matière d’acte équipollent à rupture, la Cour de cassation étant intervenue dans la définition des contours de cette rupture prétorienne, à diverses reprises.

Elle va conclure à l’existence d’un tel acte équipollent à rupture, essentiellement eu égard aux manquements répétés de la société, manquements qu’elle énumère. Ceux-ci visent les obligations essentielles du contrat de travail incombant à tout employeur, étant par ailleurs intervenus dans un contexte particulier, dans la mesure où l’employeur avait annoncé son intention de rompre pour motif grave, traduisant ainsi une perte de confiance. La cour relève encore l’omission de l’aide-soignant sur la liste électorale dans le cadre des élections sociales, ce qui atteste également de la volonté de la société de ne plus poursuivre l’exécution du contrat. La cour signale que la remise de celui-ci sur les listes n’est pas une réponse satisfaisante à cet égard.

Elle rappelle encore que la situation était particulièrement complexe et que cet état de chose est lié au comportement de la société, qui a notamment poursuivi sa demande de suspension du contrat, alors que l’aide-soignant suivait les cours vu l’aboutissement de son recours contre son refus d’inscription. La cour va jusqu’à considérer que l’employeur s’est « moqué » (sic) du travailleur, celui-ci ayant été contraint de multiplier les démarches, notamment judiciaires, pour obtenir le paiement de ce à quoi il avait droit.

La constatation de la rupture a dès lors été faite à bon droit.

En ce qui concerne le bénéfice de la protection légale, la cour souligne enfin que l’installation du nouveau Comité pour la Prévention et la Protection au Travail date du 16 juin 2012, étant ainsi postérieure au constat de rupture. Cette situation entraîne le maintien de la protection au moment où le contrat a été dénoncé, et ce conformément à l’article 2, § 2, de la loi du 19 mars 1991.

En ce qui concerne les autres chefs de demande, la cour y fait également droit, précisant, pour ce qui est du préjudice moral lié à la délivrance tardive du C4 (plus de quatre mois après le constat de rupture et une mise en demeure du conseil), qu’il y a un dommage à réparer, vu l’absence de ressources de l’intéressé, qui n’a, à l’époque, pu percevoir d’allocations de chômage et qui n’avait d’ailleurs pas perçu son pécule de sortie et a dû faire appel au C.P.A.S. Elle alloue 1.500 euros à ce titre.

Intérêt de la décision

L’appréciation de l’acte équipollent à rupture se fait – ainsi qu’il ressort de cet arrêt très documenté – au cas par cas, en tenant compte de tous les éléments de fait de nature à établir la volonté de l’employeur de ne plus poursuivre la relation de travail.

Il n’échappera pas en l’espèce que, pendant de très nombreux mois, la société a multiplié les fautes tant contractuelles que légales vis-à-vis du travailleur en cause et que ceci a d’ailleurs eu pour conséquence de lui causer un préjudice financier particulier, vu la situation dans laquelle il s’est trouvé.

Quant à l’acte équipollent à rupture lui-même, la cour a repris – avec le travailleur – l’ensemble des indices du comportement de l’employeur révélateurs de sa volonté de ne plus poursuivre la collaboration. En l’occurrence, la gravité de la situation dénoncée a d’ailleurs amené la cour à juger que la société s’est « moquée » de celui-ci et qu’elle a volontairement fait fi de ses obligations légales.

Il n’en demeure pas moins que la décision de dénoncer la rupture du contrat aux torts du co-contractant doit être pesée et mesurée, vu les risques que celle-ci entraîne au cas où la juridiction du travail n’admettrait pas la thèse de la partie qui a dénoncé la rupture.

L’on notera encore un point important de l’arrêt, tout différent, étant que le bénéfice de la protection légale (loi 1991) court jusqu’à l’installation de l’organe issu des nouvelles élections sociales.


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