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Secteur HORECA : classification professionnelle et heures supplémentaires

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 9 novembre 2017, R.G. 16/7.183/A

Mis en ligne le vendredi 30 mars 2018


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 9 novembre 2017, R.G. 16/7.183/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 novembre 2017, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles examine diverses questions fréquentes dans le secteur HORECA, étant d’une part la détermination de la catégorie professionnelle du personnel (s’agissant en l’espèce de personnel de cuisine) ainsi que, d’autre part, le cadre légal en matière de temps de travail.

Les faits

Un litige oppose un commis de cuisine à son ex-employeur, qui exploite plusieurs restaurants.

Parmi les chefs de demande, figurent une réclamation relative à la classification des fonctions et une autre portant sur de nombreuses heures supplémentaires.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail reprend des principes importants sur les deux questions.

Le secteur HORECA a en effet procédé à une classification des fonctions en son sein et, pour ce qui est du département cuisine, celles-ci sont au nombre de cinq (chef de partie cuisine froide ou chaude, aide-cuisinier travaillant seul, cuisinier travaillant seul, sous-chef et chef de cuisine). Le tribunal énumère les tâches et responsabilités de chacune d’entre elles et constate que, en l’espèce, une structure du personnel est présentée, dans laquelle l’intéressé avait travaillé par le passé sous les ordres d’un chef de cuisine et qu’il ne prouve cependant pas qu’il a été amené à exercer cette fonction à un moment de l’exécution du contrat.

Le tribunal souligne qu’il n’est pas possible, selon la convention collective, de faire travailler un ouvrier à deux fonctions, simultanément ou alternativement. Par ailleurs, pour être classé dans une catégorie – ici, en l’occurrence, celle de responsable de cuisine –, l’intéressé doit démontrer qu’il accomplissait tout ou partie des tâches principales décrites pour la fonction. Le tribunal invite dès lors le demandeur à apporter une description précise de ses tâches principales en lien avec les fonctions possibles.

Pour ce qui est des heures supplémentaires, l’intéressé évalue son temps de travail à 55 heures par semaine au lieu des 38 heures déclarées, ce que conteste vivement la société.

Le tribunal rappelle, en conséquence, les règles en la matière, étant que le commencement et la fin de la journée de travail régulière, ainsi que le moment et la durée des intervalles de repos et les jours d’arrêt réguliers du travail doivent figurer dans le règlement de travail, en vertu de l’article 6, 1°, de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail.

Par ailleurs, la loi du 16 mars 1971 sur le travail comprend des dispositions importantes sur la question, étant qu’il est interdit de faire ou de laisser travailler en dehors du temps de travail fixé dans le règlement de travail (ou dans l’avis prévu à l’article 14, 1°, de la loi). La question de savoir si des travailleurs à temps plein peuvent être amenés à prester sur la base d’horaires variables avec le même niveau de flexibilité est débattue, puisque seule la législation relative au travail à temps partiel fait allusion au système d’horaire variable (visé à l’article 11bis L.C.T.) et qu’il n’y a pas d’encadrement pour les travailleurs à temps plein.

Le tribunal rappelle la doctrine à cet égard (J.-M. SOUVERYNS et D. DELATOUR, « Les obligations liées au mesurage et au contrôle du temps de travail », La loi sur le travail. 40 ans d’applications de la loi du 16 mars 1971, Anthémis, 2011, p. 240). La question se pose de préserver les droits des travailleurs, le risque de fraude étant élevé et aucune mesure contraignante n’étant prévue pour en limiter l’impact.

Sur le plan de la preuve, c’est le travailleur qui doit établir l’existence et le volume des heures supplémentaires qu’il réclame, et ce en vertu des règles générales en la matière (articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire).

La question se pose de la solution à retenir lorsque la réalité d’heures supplémentaires est judiciairement établie mais que l’évaluation ne peut intervenir qu’en équité ou par extrapolation. Le tribunal rappelle que cette méthode n’est pas interdite en cas d’impossibilité d’évaluation plus précise.

Les positions en jurisprudence et doctrine sont divergentes quant aux effets de l’absence de réclamation du travailleur d’une part et, également, quant à la force probante d’un relevé précis qu’il aurait tenu des heures supplémentaires prestées.

En l’espèce, l’horaire de travail prévu contractuellement était un horaire fixe, mais le travailleur, dans ses explications quant aux heures prestées, soutient avoir « allongé » la fin de son service à la fois le midi et le soir.

En tout état de cause, le tribunal retient un manquement de l’employeur à l’article 6, 1°, de la loi du 8 avril 1965, constatant que, du fait du comportement fautif de l’employeur, il est impossible d’établir quand les prestations commençaient effectivement et quand elles s’achevaient.

Dans l’état actuel du dossier, le travailleur reste dès lors en défaut de prouver ce qu’il réclame, et à ceci s’ajoute le fait qu’il n’a pas protesté pendant son occupation alors qu’il a travaillé pour la société pendant plusieurs mois. Il échoue dès lors dans la charge de la preuve.

Le tribunal souligne cependant que, dans la mesure où il ne demande pas le paiement de dommages et intérêts, il n’y a pas lieu de poursuivre plus longuement la vérification du respect par l’employeur de la réglementation sur la durée du travail propre au secteur.

Intérêt de la décision

Ce jugement n’est pas définitif, dans la mesure où il ordonne une réouverture des débats et, notamment, sur une troisième question de transfert d’entreprise (application de la C.C.T. 32bis), question qui amène également le tribunal à réserver une dernier chef de demande tiré de la C.C.T. 109, étant le caractère manifestement déraisonnable du licenciement.

Sur les deux questions commentées ci-dessus, l’on notera les principes retenus sur la classification des fonctions dans le secteur, étant qu’un ouvrier ne peut prester ni alternativement ni simultanément dans deux fonctions différentes et que, s’il revendique d’appartenir à une catégorie supérieure, il doit établir avec toutes les exigences généralement requises en droit commun qu’il a exercé les tâches principales relatives à la fonction visée. Ce n’est dès lors pas l’accomplissement occasionnel de fonctions relevant d’une autre catégorie qui serait suffisant pour que celle-ci soit rendue applicable.

Par ailleurs, la question des heures supplémentaires, qui pose très souvent question, est abordée dans le jugement à partir de la loi sur les règlements de travail, le tribunal ayant constaté qu’aucune réglementation autre ne vient déterminer les questions d’heure de départ et d’heure de fin de la prestation de travail.

Ici encore, il appartient au travailleur de prouver ce qu’il réclame, et force a été de constater que les éléments de preuve sont insuffisants pour emporter la conviction du juge que les heures réclamées étaient réelles. Le tribunal fait encore la distinction sur les deux éléments de la réparation, étant que l’existence d’heures supplémentaires doit être avérée et que, ensuite, leur volume doit être évalué, procédure dans laquelle il n’est pas interdit de recourir à l’équité, à défaut d’autres paramètres plus crédibles.

Enfin, le seul fondement légal admissible étant la loi du 8 avril 1965, le tribunal semble regretter que le demandeur n’ait pas, s’appuyant sur ce texte, introduit de demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur aux obligations d’ordre public qu’elle contient.

A bon entendeur,…


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