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Transfert d’entreprise et refus du cessionnaire de permettre l’exécution normale du contrat de travail : compétence du juge des référés

Commentaire de Prés. Trib. trav. fr. Bruxelles (réf.), 7 décembre 2017, R.G. 17/38/C

Mis en ligne le vendredi 30 mars 2018


Prés. Trib. trav. fr. Bruxelles (réf.), 7 décembre 2017, R.G. 17/38/C

Terra Laboris

Dans une ordonnance du 7 décembre 2017, la Présidente du Tribunal du travail francophone de Bruxelles, statuant en référé, ordonne, dans le cadre d’un transfert d’entreprise, que l’employeur cessionnaire prenne toutes les dispositions concrètes permettant à une employée comptable de poursuivre l’exécution de sa fonction.

Les faits

Suite à la cession de l’entreprise où elle est occupée, une employée saisit la Présidente du Tribunal du travail francophone de Bruxelles, aux fins de demander des mesures provisoires, sous le bénéfice de l’urgence.

Elle considère qu’il y a une voie de fait, de la part de l’employeur, qui aurait modifié unilatéralement sa fonction (comptable). Elle demande à être réintégrée dans celle-ci et qu’il lui soit permis notamment d’accéder de manière quotidienne aux extraits, de récupérer les documents comptables, d’effectuer les rappels aux clients, d’avoir accès au logiciel, etc.

La demande est limitée dans le temps, étant que la demanderesse sollicite que l’ordonnance vaille jusqu’à ce que les parties soient arrivées à un accord sur l’exécution du contrat ou qu’il y ait résiliation de celui-ci (commun accord ou décision judiciaire définitive ou encore résiliation unilatérale).

La demanderesse expose qu’elle est au service de la société depuis mars 2006. Elle produit la promesse d’engagement, qui définit les tâches à accomplir, dans le cadre de fonctions de comptabilité de trois sociétés.

A la mi-2017, il y a eu cession de l’activité, le fonds de commerce étant vendu à une société qui a son siège au Grand-Duché de Luxembourg.

Le bail commercial est résilié avec effet immédiat et un nouveau bail est conclu avec la société luxembourgeoise.

Certains travailleurs reçoivent parallèlement un courrier du cédant, les informant de l’intention de céder le fonds de commerce et renvoyant aux règles de la C.C.T. 32bis en ce qui concerne le transfert des contrats au cessionnaire. Il est annoncé par le cédant que des avenants seront établis à bref délai et soumis à la signature du personnel, et ce au plus tard à la réouverture officielle du commerce (restaurant).

Un litige survient, dans un premier temps, avec les organisations syndicales, une première procédure en référé étant lancée vu le refus de communication de la convention de cession du fonds de commerce au C.P.P.T. Est demandé, dans le cadre de cette procédure, que tout transfert de personnel soit suspendu tant que le C.P.P.T. n’aura pu remplir son obligation légale d’information du personnel sur le projet de cession d’entreprise. Une ordonnance est ainsi rendue le 12 septembre 2017, par laquelle il est fait interdiction aux sociétés de procéder à des licenciements ainsi que de poser tout acte complémentaire relatif aux éléments du fonds de commerce.

Appel a été interjeté de cette décision.

Dans le même temps, la comptable constate l’impossibilité d’effectuer son travail, ce qui justifie l’intervention de son syndicat à la mi-septembre. Une citation est dès lors lancée le 25 septembre contre le cédant, demandant qu’il soit mis fin à la voie de fait constituée par la modification de la fonction et que l’employeur soit également condamné à réintégrer l’intéressée dans celle-ci.

Les parties ont cherché une solution amiable en cours de procédure et le cessionnaire est intervenu volontairement à la cause. Vu l’absence d’accord, le tribunal est amené à statuer.

La décision de la Présidente du tribunal

Après avoir abordé successivement les questions de compétence et de recevabilité de la demande, l’ordonnance constate que les conditions d’intervention du juge des référés sont remplies, de même que l’apparence de droit.

En ce qui concerne la société cédante, celle-ci n’est plus l’employeur de l’intéressée au jour du prononcé et la demande est déclarée non fondée à son égard.

La question est dès lors examinée vis-à-vis de la société cessionnaire uniquement. Il est constaté que l’intéressée est sans réel travail de comptable et qu’elle est restée dans cette situation pendant plusieurs mois.

Les explications de l’employeur sont notamment qu’il a eu des difficultés à « s’implémenter dans le carcan légal belge », chose qui peut, pour le juge, entraîner un certain flottement provisoire mais ne peut geler les obligations d’un employeur à l’égard d’un travailleur.

Après avoir constaté les éléments de fait qui confirment l’impossibilité pour l’intéressée d’exécuter normalement son travail, notamment qu’elle n’a pas de code d’accès sur le payroll du secrétariat social – chose qui rend impossible l’administration salariale –, le juge constate l’absence de mise à disposition de l’ensemble des pièces permettant l’exécution normale du contrat. Les droits de la demanderesse à exercer sa fonction sont ainsi apparemment mis en péril. Il est urgent de faire cesser cette voie de fait et de clarifier l’activité professionnelle de l’intéressée au sein de la nouvelle société. Celle-ci ayant finalement été en incapacité de travail, l’ordonnance relève qu’il est urgent de ne plus laisser la situation se dégrader sur le plan professionnel, non plus d’ailleurs que sur le plan du bien-être de l’intéressée.

La société est condamnée à mettre à sa disposition, dans les 48 heures de la notification de l’ordonnance, les documents repris au dispositif, documents qui sont dûment listés. Elle est ainsi tenue de permettre l’exécution normale du contrat par la comptable, devant veiller à mettre à sa disposition un logiciel comptable efficient dans un délai bref (5 jours) afin qu’elle puisse effectuer l’ensemble des tâches de sa fonction. Est également prévu, dans le dispositif de l’ordonnance, que, si l’intéressée l’estime nécessaire, un huissier pourra constater la parfaite mise à disposition des documents et accès, les frais du constat devant être pris en charge pour moitié par chacune des parties.

Quant à la limitation dans le temps, il est également fait droit à la demande sur ce point, étant que l’ordonnance sortira ses effets jusqu’à ce que les parties aient trouvé un accord ou qu’il soit mis fin au contrat.

Intérêt de la décision

Les difficultés survenant en cas de transfert d’entreprise sont fréquentes, la C.C.T. 32bis contenant peu de mesures de protection immédiate des droits des travailleurs en cas de refus (direct ou larvé) de l’employeur cessionnaire d’exécuter ses obligations légales.

Dans l’affaire faisant l’objet de la décision commentée, la travailleuse a – après avoir dûment réuni l’ensemble des éléments permettant de constater le non-respect par l’employeur de ses obligations – saisi la Présidente du tribunal en référé.

L’ordonnance reprend, sur le plan théorique, la limite de l’intervention du juge des référés, celle-ci permettant cependant, comme le dispositif de l’ordonnance le prévoit, de contraindre l’employeur cessionnaire à permettre l’exécution normale du contrat par la mise à disposition des éléments, pièces, informations et outils de travail (logiciel) nécessaires.

Un point important dans ce genre de situation est que la mesure doit être limitée dans le temps, vu que le juge des référés ne peut trancher le fond.


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