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Responsabilité solidaire pour les dettes d’un co-contractant : à quelle date faut-il se placer pour calculer la dette sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 juin 2017, R.G. 2016/AB/232

Mis en ligne le lundi 26 février 2018


Cour du travail de Bruxelles, 28 juin 2017, R.G. 2016/AB/232

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 juin 2017, la Cour du travail de Bruxelles statue sur un point peu souvent rencontré à propos de l’application du mécanisme de l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969, étant le moment auquel il faut se placer pour apprécier le montant de la dette sociale, en cotisations, majorations et intérêts.

Les faits

Une S.P.R.L. exploitant une activité de supermarché fait procéder à des travaux dans ses locaux. Elle fait appel à une autre société. Les travaux sont exécutés en une période de quatre mois. La dernière facture est payée aussitôt.

Dix mois plus tard, la société entrepreneur (co-contractant) est déclarée en faillite.

La dette vis-à-vis de l’O.N.S.S. est de l’ordre de 30.000 euros. Il s’agit de cotisations de sécurité sociale couvrant une période de cinq trimestres, dans laquelle se situe l’exécution du chantier en cause.

Pour l’O.N.S.S., en application de l’article 30bis, § 3, de la loi du 27 juin 1999 relative à la sécurité sociale des travailleurs, il y a responsabilité solidaire, dans la mesure où la société de travaux avait, au moment de la conclusion du contrat et du paiement des factures, des dettes sociales. En outre, le commettant n’a pas retenu les 35% du montant dont il était redevable, destinés à l’O.N.S.S.

Est dès lors réclamé un montant de l’ordre de 25.000 euros, les cotisations étant arrêtées au trimestre suivant la fin des travaux (la facture ayant été payée au cours de celui-ci).

Suite à l’action introduite par l’O.N.S.S., le tribunal du travail condamne la société à une partie des montants réclamés.

L’O.N.S.S. interjette appel. Il demande la condamnation à la totalité de la somme (et accessoires).

La décision de la cour

La cour procède en premier lieu au rappel du mécanisme de l’article 30bis de la loi du 27 juin 1961. Celui-ci fixe le principe de la solidarité en ce qui concerne le paiement des dettes sociales entre le commettant et l’entrepreneur, dès lors que celui-ci a des dettes sociales au moment de la conclusion du contrat (ceci valant pour l’ensemble des travaux visés à la même disposition). Il y a une limite à la responsabilité solidaire, étant le prix total des travaux concédés à l’entrepreneur, hors TVA.

Ceci vaut également pour les dettes sociales qui naissent en cours d’exécution de la convention.

Dès lors que l’entrepreneur a des dettes sociales, le commettant doit retenir 35% du montant dont il est redevable (hors TVA) et les verser à l’O.N.S.S. La disposition poursuit que, « le cas échéant », les retenues et versements sont limités au montant des dettes de l’entrepreneur (ou du sous-traitant) au moment du paiement. Est également prévue la possibilité pour le commettant d’inviter le contractant à produire une attestation établissant le montant total de sa dette dès lors qu’il a pu constater, sur la banque de données créée à cette fin par l’O.N.S.S., que ces dettes existent.

Dès lors que le commettant n’a pas respecté ses obligations ci-dessus (versement à l’O.N.S.S.), il est redevable, outre du montant à verser, d’une majoration équivalente.

En vertu de ces règles, la cour du travail reprend le mécanisme comme suit : (i) solidarité responsable des dettes sociales de l’entrepreneur à concurrence du montant des travaux, (ii) obligation d’effectuer une retenue de 35% lors de tout paiement effectué à l’entrepreneur et (iii), à défaut, application d’une sanction équivalente à la retenue qui n’a pas été effectuée.

En l’espèce, la question est de savoir à quelle dette (cotisations et/ou accessoires) correspond la limitation de l’obligation de faire des retenues. L’article 30bis, § 4, ci-dessus, prévoit en effet que, « le cas échéant », elles sont limitées au montant des dettes au moment du paiement, mais l’article 24 de l’arrêté royal du 27 décembre 2007 dispose que la retenue est imputée sur la dette de l’entrepreneur et que cette imputation se fait sur les dettes jusqu’au trimestre (inclus) qui précède celui pendant lequel les montants ont été versés. C’est au moment de la conclusion de la convention qu’il faut se placer, en vertu de l’article 30bis, § 3, alinéa 1er, et la responsabilité solidaire portera également sur les dettes qui naîtront au cours de l’exécution de la convention.

La cour estime que, pour déterminer la date à laquelle naît la dette, il faut se référer à l’article 34 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, qui fixe les dates auxquelles le montant des cotisations est dû par l’employeur à l’O.N.S.S. (31 mars, 30 juin, 30 septembre et 31 décembre). La dette naît dès lors, pour la cour, le dernier jour du trimestre, et ce même si l’exigibilité est reportée au dernier jour du mois qui suit. La limitation de la dette (pour la retenue et pour la responsabilité solidaire) est dès lors la suivante : pour la retenue, il faut se référer à la dette cumulée existant le dernier jour du trimestre qui précède celui au cours duquel a lieu le paiement et il en va de même pour la responsabilité solidaire. Par contre, pour les majorations et intérêts, ceux-ci sont dus dès lors que les cotisations n’ont pas été payées au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre.

Dans son arrêt du 25 mars 2002 (Cass., 25 mars 2002, n° S.01.0032.F), la Cour suprême a décidé qu’il se déduit de l’article 30bis que le maître de l’ouvrage n’est pas solidairement responsable du paiement des cotisations, majorations et intérêts dus pour des trimestres postérieurs à celui au cours duquel se sont achevés les travaux (s’agissant des activités déterminées par l’arrêté royal du 5 octobre 1978). La cour du travail considère cependant que, même si la solution donnée par la Cour suprême va dans un sens différent, elle n’était pas saisie de la question de savoir quel était, sur la base des différentes dispositions relatives à la naissance de la dette, le dernier trimestre à prendre en compte, distinguant pour ce les cotisations et les majorations et intérêts. Cet arrêt ne porte dès lors pas sur la prise en compte du trimestre en cours, ni sur l’incidence de l’article 34 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969.

L’application de ces règles donne que, en l’espèce, l’exécution de la convention s’est poursuivie jusqu’au paiement de la dernière facture (début du troisième trimestre). A cette date, des cotisations étaient dues depuis le 30 juin 2012 pour le deuxième trimestre, mais la dette n’existait pas encore pour le troisième trimestre. Par contre, pour les intérêts et majorations, elle était née pour le premier trimestre mais pas encore pour le deuxième (pour lequel ils ne sont nés que le 31 juillet 2012).

La cour reprend dès lors les dettes de cotisations existant au 30 juin (concernant trois trimestres, pour un total de l’ordre de 16.000 euros), auxquelles elle ajoute les majorations et intérêts, à savoir les majorations jusqu’au premier trimestre 2012, ainsi que les intérêts échus à la date du paiement sur les cotisations des quatrième trimestre 2011 et premier trimestre 2012.

Elle fixe ensuite le montant total.

Intérêt de la décision

Cet arrêt établit avec clarté les montants de la dette de cotisations sociales à intégrer dans le cadre du dispositif de l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969, étant qu’il y a lieu d’appliquer l’article 34 de l’arrêté royal d’exécution, selon lequel la dette de cotisations naît le dernier jour du trimestre (même si l’exigibilité du paiement est postposée).

L’arrêt rappelle la décision de la Cour de cassation du 25 mars 2002 (Cass., 25 mars 2002, n° S.01.0032.F), dont les conclusions du premier Avocat général J.-F. LECLERCQ étaient que, si la date à laquelle il y a lieu de se placer pour déterminer le montant dû n’est pas précisée dans le texte légal, l’article 30bis, § 1er, de la loi ne concerne pas les cotisations, majorations de cotisations et intérêts dus par l’entrepreneur pour des trimestres postérieurs à celui au cours duquel se sont achevés les travaux précités. Comme le relève très judicieusement la cour du travail dans l’arrêt annoté, les dispositions attaquées dans cet arrêt du 25 mars 2002 étaient l’article 30bis (en vigueur avant sa modification par l’arrêté royal du 26 décembre 1998), ainsi que les articles 29 et 30 de l’arrêté royal du 5 octobre 1978 portant exécution des articles 299bis C.I.R. et 30bis de la loi O.N.S.S.


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