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Chercheur universitaire et renouvellement de contrats à durée déterminée

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 23 octobre 2017, R.G. 15/7.805/A

Mis en ligne le vendredi 23 février 2018


Tribunal du travail de Liège, division Liège, 23 octobre 2017, R.G. 15/7.805/A

Terra Laboris

Dans un jugement très motivé du 23 octobre 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) examine la conformité du renouvellement de contrats à durée déterminée successifs dans l’hypothèse de l’occupation d’un chercheur universitaire payé sur fonds externes.

Les faits

Un détenteur d’un diplôme universitaire est engagé par le Patrimoine de l’Université de Liège en octobre 2007. Lui sont soumis entre cette date et le 3 septembre 2015 six contrats à durée déterminée successifs. Certains sont rédigés sous forme d’avenant et contiennent la mention selon laquelle, l’employé n’étant pas rémunéré sur les fonds propres de l’Université mais sur des crédits extérieurs, la conclusion de contrats à durée déterminée successifs est conforme à l’article 10 de la loi du 3 juillet 1978.

Il est mis fin à la collaboration en septembre 2015, l’intéressé n’étant pas l’objet d’un licenciement mais se voyant délivrer un document C4 avec une fin d’occupation correspondant au terme du (dernier) contrat à durée déterminée.

Une contestation surgit et, en fin de compte, l’employé réclame à l’Université une indemnité compensatoire de préavis de onze mois et dix semaines. Il se fonde à la fois sur l’article 10 de la loi du 3 juillet 1978 et sur le règlement de l’Université relatif à la politique de gestion de la carrière du personnel scientifique rémunéré par des financements extérieurs. Ce règlement limite aux six premières années de la carrière la période pendant laquelle il peut être recouru à des contrats à durée déterminée successifs. L’intéressé avait dépassé cette période et il estime en conséquence devoir être considéré comme étant à durée indéterminée.

Il demande également que le Patrimoine de l’Université remplisse ses obligations en matière de procédure de reclassement professionnel (articles 11/1 et suivants de la loi du 5 septembre 2001 visant à améliorer le taux d’emploi des travailleurs). Pour ce second poste, il introduit une demande de 5.000 euros provisionnels.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en premier lieu la situation eu égard au mécanisme autorisé par les articles 10 et 10bis de la loi du 3 juillet 1978. En l’espèce, il y a eu six CDD pendant une période de huit ans, de telle sorte que les situations visées à l’article 10bis, dérogatoires des règles de l’article 10, ne valent pas.

Les limites légales à une succession de CDD sont impératives, ce que rappelle le tribunal. Il énonce ensuite que cette impérativité est renforcée depuis la Directive n° 99/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 mettant en œuvre l’Accord-cadre européen du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée. Le tribunal se livre à un rappel de la jurisprudence de la C.J.U.E. à cet égard, citant essentiellement l’arrêt WERNER c/ MANGOLD du 22 novembre 2005 (C.J.U.E., 22 novembre 2005, WERNER c/ MANGOLD, Aff. n° C-144/04).

Le tribunal constate que l’Université, dans ses conclusions, se fonde sur l’article 10, alinéa 2, pour justifier le renouvellement des contrats, étant que ceux-ci étaient justifiés par des raisons légitimes. Ceci amène dès lors le tribunal à s’intéresser à la notion, constatant que le libellé de ces termes est tellement « génér(al) » qu’il est malaisé de décrire le contenu de cette exception très subjective (légitimes pour qui ?, pour quels types de situations ?). Cette formulation est susceptible de vider, selon les termes du jugement, l’ensemble des limitations impératives de tout contenu.

S’agissant d’une exception au principe, il considère qu’elle doit être d’interprétation restrictive.

La Cour de Justice a par ailleurs rendu le 14 septembre 2016 une décision importante, rompant avec sa jurisprudence antérieure en matière de succession de CDD. Dans cet arrêt (C.J.U.E., 14 septembre 2016, PÉREZ LÓPEZ c/ SERVICIO MADRILEÑO DE SALUD, Aff. n° C-16/15), la Cour a précisé la notion de « raisons objectives » figurant dans le texte européen. Il s’agissait d’un problème de renouvellement de contrats dans le secteur public (secteur de la santé), pour lequel la Cour a considéré que ces contrats couvraient des besoins en personnel permanents et durables. L’on peut considérer que la même conclusion peut être retenue ici, et le tribunal de préciser que tout se passe comme si l’employeur avait en l’espèce besoin d’une réserve de personnel scientifique pour répondre à un besoin permanent et durable.

En ce qui concerne le règlement de l’Université, il a également été enfreint, dans la mesure où l’intéressé avait une ancienneté supérieure à six ans. Le tribunal poursuit en rappelant que ce règlement de l’Université s’inscrit dans une politique européenne volontariste en la matière. La Commission européenne a en effet formulé des recommandations aux Etats membres en ce qui concerne les droits et devoirs des chercheurs et de leurs employeurs, recommandations figurant dans la Charte européenne du chercheur (Code de conduite pour le recrutement des chercheurs). Le tribunal rappelle une nouvelle fois que le but est de maintenir et d’assurer la stabilité et la continuité de l’emploi, principe à la base de la Directive n° 99/70/CE (texte qui a fait l’objet de la décision PÉREZ LÓPEZ du 14 septembre 2016).

Faisant encore un détour par le règlement de l’Université – dont celle-ci soutient qu’il ne serait qu’un règlement de principe nécessitant encore des dispositions de mise en œuvre –, le tribunal rappelle que l’administration est liée par ses propres décisions régulières à caractère général.

En conséquence, il est fait droit à la demande d’indemnité compensatoire de préavis. Quant à l’indemnisation pour outplacement, il est accordé – à défaut d’autres développements faits par le demandeur sur la question – 1 euro à titre provisionnel.

Intérêt de la décision

Le jugement en cause fait une judicieuse application de la jurisprudence PÉREZ LÓPEZ de la Cour de Justice.

Dans cette affaire, elle avait été interrogée sur le renouvellement de contrats à durée déterminée dans le secteur public (hôpital universitaire de Madrid). L’intéressée, infirmière, avait vu son contrat de travail renouvelé sept fois pour des périodes de trois, six ou neuf mois. Les avenants étaient à chaque fois repris et libellés en des termes identiques.

L’intéressée avait saisi le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo nº 4 de Madrid (Tribunal administratif n° 4 de Madrid), qui avait interrogé la Cour de Justice. Celle-ci a, dans cet arrêt, fait un abondant rappel de sa jurisprudence et a précisé la notion de « raisons objectives » au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l’Accord-cadre du 18 mars 1999 figurant en annexe de la Directive n° 99/70/CE du Conseil du 28 juin 1999. Pour la Cour, cette clause s’oppose à la réglementation espagnole en l’espèce, étant que le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public de la santé ne peut pas être considéré comme justifié par des « raisons objectives » au motif que ces contrats sont fondés sur des dispositions légales qui permettent leur renouvellement pour assurer des prestations de services déterminées de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire alors que, en réalité, lesdits besoins sont permanents et durables. La Cour avait également condamné des dispositions plus spécifiques de la loi espagnole, rappelant que celles-ci faisaient perdurer une situation de précarité dans le chef des travailleurs.


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