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Faute de l’organisme de paiement dans le barème applicable en cas d’allocations de chômage : restitution de l’indu ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 septembre 2017, R.G. 2016/AL/652

Mis en ligne le jeudi 15 février 2018


Cour du travail de Liège, division Liège, 11 septembre 2017, R.G. 2016/AL/652

Terra Laboris

Par arrêt du 11 septembre 2017, la Cour du travail de Liège examine les divers fondements pouvant être invoqués à l’appui d’une demande de contestation de la récupération de l’indu en cas de faute commise par l’organisme de paiement des allocations de chômage dans la détermination du barème applicable.

Les faits

Un organisme de paiement commet une erreur dans le barème applicable au montant de la prestation de chômage vis-à-vis d’une de ses affiliées, portant sur une différence de l’ordre de 13 euros par jour depuis le mois de janvier 2010. Cette erreur de l’organisme de paiement n’est pas contestée en tant que telle. Celui-ci prend sept décisions, datées du même jour, réclamant l’indu pour toute la période. Pour une partie de celle-ci (premier mois), il renvoie, pour la motivation de la décision, à l’article 44 de l’arrêté royal, étant qu’il ne peut y avoir de paiement d’allocations en même temps que d’un pécule de vacances. Pour les autres mois, il est fait référence à une indemnisation trop élevée, qui serait apparue suite à la consultation des barèmes applicables.

Toutes ces décisions font l’objet d’un recours devant le Tribunal du travail de Liège, recours dans lequel il est demandé de constater que l’organisme de paiement ne s’est pas comporté comme un pouvoir public normalement prudent et diligent et qu’en conséquence, il est tenu d’indemniser l’intéressée à concurrence du préjudice subi, la demanderesse sollicitant qu’il soit fait interdiction à l’O.P. de procéder au recouvrement litigieux.

Le Tribunal du travail de Liège rend un jugement le 18 octobre 2016, constatant que l’action est non fondée à l’encontre de l’ONEm, mais qu’il y a lieu d’y faire droit vis-à-vis de l’organisme de paiement. Le fondement de sa décision est l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social, ainsi que l’article 167, § 1er, alinéa 4, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Appel est interjeté par l’organisme de paiement.

Position des parties devant la cour

Devant la cour, le litige ne concerne que l’assurée sociale et celui-ci. L’appelant considère que la récupération de l’indu est autorisée sur pied de l’article 167 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. En outre, il rappelle que, dans son arrêt du 6 juin 2016, la Cour de cassation a conclu à l’absence de discrimination entre assurés sociaux dans les conditions d’application de la Charte de l’assuré social.

Pour l’intimée, il y a lieu de confirmer le jugement, étant que les manquements de l’O.P. sont en lien causal avec son préjudice. Est invoquée comme fondement la faute aquilienne, à savoir une mauvaise consultation des barèmes applicables.

La décision de la cour

La cour règle en premier lieu une question de recevabilité de l’appel, eu égard à la circonstance que l’ONEm lui-même n’a pas été mis à la cause. La cour admet celle-ci.

Sur la motivation formelle de la décision – obligation de la loi du 29 juillet 1991 –, la cour rappelle les principes dégagés par la Cour suprême en matière de minimex sur le pouvoir de substitution du juge (Cass., 27 septembre 1999, n° S.98.0138.N) : tout ce qui est soumis à la compétence d’appréciation de l’institution de sécurité sociale concernant l’octroi, la révision, le refus ou le remboursement des prestations, ainsi que les sanctions administratives, entre dans le contrôle du tribunal du travail.

Sur l’article 167 de l’arrêté royal et l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social, la cour rappelle qu’en cas d’erreur d’un organisme de paiement, il faut distinguer, selon l’arrêté royal, diverses hypothèses et que, en l’occurrence, l’on se situerait davantage au niveau de paiements effectués en ne se conformant pas aux dispositions légales et réglementaires (article 167, § 1er, 3°), ou dans celle d’une erreur commise dans le calcul du montant des allocations revenant au chômeur (même disposition, 1°), ou éventuellement de paiements effectués et qui ont été rejetés ou éliminés par le bureau de chômage exclusivement en raison d’une faute ou d’une négligence imputable à l’O.P. (même disposition, 4°). Dans ces trois cas, il y a responsabilité de l’organisme de paiement. Il peut être décidé par l’O.P. de poursuivre à charge du chômeur pour ce qui est de l’indu dans les hypothèses des 1° et 3°. Ce n’est cependant pas le cas dans le 4°, où la poursuite de la récupération des sommes payées n’es pas autorisée.

Ceci a pour conséquence que l’article 167 ne peut faire obstacle à la récupération de l’indu, l’hypothèse du 4° étant restrictive (paiements rejetés exclusivement en raison d’une faute ou d’une négligence imputable à l’O.P. – hypothèse non rencontrée en l’espèce).

Par ailleurs, l’article 17, alinéa 2, de la Charte ne peut trouver à s’appliquer, la décision de l’ONEm de contrôle des dépenses ne constituant pas une nouvelle décision au sens de cette disposition.

La cour en vient, ensuite, à l’appréciation de la responsabilité civile de l’O.P. au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, soulignant qu’aucune règle ne soustrait les O.P. au droit commun de la responsabilité civile.

Elle en reprend les principes et retient encore que, parmi les missions des O.P., figurent, à l’article 24 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, les informations utiles relatives au régime d’indemnisation, au mode de calcul et au montant de l’allocation, l’O.P. ayant également pour mission de payer les prestations en se conformant aux dispositions légales et réglementaires, renvoi étant ici fait à l’article 160, § 1er.

Pour la cour, l’O.P. est soumis à une norme de droit nationale, qui lui impose de s’abstenir ou d’agir d’une manière déterminée, étant de payer la prestation de chômage en se conformant aux dispositions légales et réglementaires. Sur le plan de la réparation, celle-ci doit être intégrale et il faut fixer le dommage.

Si l’organisme de paiement n’avait pas commis l’erreur en cause, l’intéressée aurait perçu une allocation moins élevée, de telle sorte que, n’ayant pas droit à ce qu’elle a touché – et même sans erreur de l’organisme de paiement –, son préjudice ne peut être identifié à l’indu réclamé. Il existe cependant : la faute de l’organisme de paiement a entraîné un préjudice essentiellement moral (angoisse de devoir rembourser, procédure judiciaire, etc.).

La cour fixe forfaitairement le dommage à la moitié de l’indu.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu par la Cour du travail de Liège le 11 septembre 2017 examine les trois fondements possibles, dans une hypothèse telle que celle tranchée : l’arrêté royal du 25 novembre 1991, dont l’article 167 prévoit les hypothèses de récupération de l’indu, l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social et, en fin de compte, les principes de la responsabilité civile en cas de faute aquilienne.

L’on notera que l’article 17, alinéa 2, a été écarté, du fait que la décision à l’origine de la découverte et de la réclamation de l’indu n’est pas une décision de révision au sens de la Charte.

Pour ce qui est des principes de droit commun, la cour en fait une application classique, étant l’examen de la faute, de l’existence d’un dommage et d’un lien de causalité.

Sur la problématique de l’erreur de l’organisme de paiement, nous pouvons également renvoyer à l’arrêt rendu par la Cour du travail de Liège (division Liège), le 13 février 2017 ( R.G. 2016/AL/312 – précédemment commenté).


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