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Intégration des personnes handicapées : notion d’aides nécessaires

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 29 mars 2017, R.G. 15/6.954/A

Mis en ligne le lundi 29 janvier 2018


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 29 mars 2017, R.G. 15/6.954/A

Terra Laboris

Dans un jugement très documenté du 29 mars 2017, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles reprend les règles d’intervention de la COCOF dans les aides individuelles aux personnes handicapées, eu égard au critère de nécessité de celles-ci.

Les faits

Le recours mû par une assurée sociale est dirigé contre une décision du Service bruxellois francophone des personnes handicapées (en abrégé PHARE) de la COCOF, refusant son intervention dans le coût de la fourniture d’accessoires d’une voiturette électrique. Il s’agit d’une demande portant sur un coussin ergo-air, un appui lombaire, un joystick R-Net couleur et un dispositif d’inclinaison de la tablette.

L’intéressée est atteinte d’une neuropathie dégénérative et elle dépose un dossier médical, documenté par un neurologue, confirmant qu’elle est en chaise roulante et que la marche est difficile sur une petite distance. Le handicap va en s’aggravant et les adaptations mécaniques doivent être constamment mises à jour.

Le tribunal examine d’abord les interventions de la mutuelle, et ce eu égard à la nomenclature des prestations de santé (arrêté royal du 14 septembre 1984). Le litige porte non sur la voiturette mais sur une demande d’intervention pour des frais supplémentaires laissés à la charge de l’intéressée par sa mutuelle.

Le PHARE refuse pour sa part de prendre ceux-ci en charge, considérant que les aides en cause ne présentent pas de caractère indispensable.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend les principes de la réglementation applicable, s’agissant en l’espèce de celle antérieure au 1er juillet 2015. Il s’agit du Décret de la COCOF du 4 mars 1999 relatif à l’intégration sociale et professionnelle des personnes handicapées, ainsi que de l’arrêté 99/262/A du 25 février 2000 du Collège de la COCOF relatif aux dispositions individuelles d’intégration sociale et professionnelle des personnes handicapées mises en œuvre par le Service bruxellois francophone des personnes handicapées.

Le processus mis en place avait pour objet de déterminer les aides et les interventions accordées, s’agissant notamment de prévoir une aide individuelle. Cette aide individuelle peut prendre diverses formes, s’agissant de faciliter l’intégration sociale de la personne handicapée, et porter sur des aménagements divers, nécessaires à son intégration. Le Décret prévoit cependant que celles-ci sont uniquement accordées pour couvrir les frais qui sont indispensables à l’intégration de la personne, en raison de sa déficience. Il doit s’agir de dépenses supplémentaires que celle-ci doit exposer par rapport à celles encourues par une personne valide dans des circonstances identiques.

L’arrêté du Collège de la COCOF du 25 février 2000 a explicité les notions, s’agissant de viser l’aide sociale ou professionnelle (gestion du ménage, accomplissement effectif de tâches ménagères, participation à des activités sociales). Deux conditions sont relevées par le tribunal comme essentielles au regard de la réglementation, étant une condition de nécessité et une condition de finalité. Si certaines aides sont fixées dans une annexe, une intervention peut être demandée pour d’autres types d’aide, les conditions générales du Décret et de l’arrêté devant cependant être remplies. Est également à prendre en compte leur caractère nécessaire et indispensable à l’intégration sociale et professionnelle.

Renvoyant par ailleurs à la Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée à New York le 13 décembre 2006, le tribunal en reprend l’article 20 et fait sienne la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 18 décembre 2014, R.G. 2012/AB/1.266 et 1.280) sur l’effet de ces normes en droit interne. Si les dispositions n’ont pas d’effet direct en ce sens qu’elles ne créent pas de droit à des prestations précises dont l’on pourrait réclamer le respect devant les juridictions nationales, il n’en demeure pas moins que l’Etat s’est engagé à remplir les objectifs fixés par la convention. Le juge doit en tenir compte lorsqu’il applique le droit national et, dans les limites de celui-ci, ces engagements doivent être appliqués dans toute la mesure du possible, de manière à rendre conforme le droit national aux dispositions du droit international.

En l’espèce, reprenant les articles 24, 2°, et 25 du Décret, le tribunal aborde la question du caractère nécessaire ou indispensable requis.

Aucune disposition ne conférant à la COCOF une compétence discrétionnaire en la matière, la compétence du juge est ici un pouvoir de pleine juridiction.

Les deux termes sont employés indistinctement dans le Décret mais cumulativement dans l’arrêté. Renvoyant à la doctrine (A. GUBBELS et J.-A. VANDEVILLE, « Eléments de théorie juridique relative à l’aide matérielle », J.T.T., 2006, p. 388), le tribunal retient que la condition de nécessité suggère qu’une appréciation soit portée sur le caractère indispensable de l’aide, étant qu’il faut évaluer dans chaque cas le caractère majeur, relatif ou mineur des inconvénients que rencontrerait la personne handicapée pour son intégration sociale en l’absence de ceux-ci. La notion de nécessité doit donc connaître une interprétation large. Par ailleurs, l’arrêté étant une mesure d’exécution, les termes « nécessaires » et « indispensables » qu’il utilise ne peuvent que préciser ceux du Décret. Ils sont dès lors, pour le tribunal, synonymes.

Est ensuite examinée la réglementation à partir du 1er juillet 2015, qui confirme l’interprétation du tribunal, puisque seul est requis actuellement le caractère nécessaire à l’inclusion de la personne handicapée. Le juge conclut qu’il n’y a pas de gradation entre ce qui est « nécessaire » et ce qui « indispensable ».

Il clôture son examen par une appréciation de ce caractère nécessaire pour la personne (coussins d’assise ergo-air ROHO, permettant d’aggraver les lombosciatalgies et diminuant les risques d’escarres, appui lombaire gonflable, destiné à ajuster la pression au niveau des lombaires, et support boîtier joystick, qui permet de vérifier le nombre de kilomètres parcourus, ainsi qu’une horloge lorsque les mains sont ankylosées).

Le tribunal conclut à l’absence d’argumentation concrète dans le chef de la COCOF permettant de dire qu’il s’agirait d’aides de simple confort mais non d’aides indispensables à l’intégration sociale.

Enfin, le juge n’estime pas nécessaire de recourir à une expertise, dans la mesure où il ne peut déléguer sa juridiction (article 11 du Code judiciaire) et que n’existe pas ici de discussion d’ordre médical.

Il conclut en faisant droit à la demande de l’intéressée de se voir rembourser les aides ci-dessus.

Intérêt de la décision

Ce jugement – rendu dans l’état de la législation avant le 1er juillet 2015 – fait un sort à un débat régulier sur le caractère d’aide nécessaire ou d’aide indispensable.

Pour le tribunal, ces deux notions sont synonymes, ce que vient confirmer le texte actuellement en en vigueur.

C’est, par ailleurs, par le rappel des effets que peut avoir en droit interne une convention internationale non directement applicable que la décision est intéressante. Est cité ici un arrêt important à cet égard rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 18 décembre 2014 à propos de l’article 28, alinéa 2, de l’arrêté du Collège du 25 février 2000. La cour avait dans cette décision considéré que la disposition n’est pas discriminatoire en ce qu’elle n’accorde l’aide individuelle aux personnes handicapées qui n’accomplissent aucune des activités visées à l’alinéa 1er qu’à condition que l’aide favorise le maintien à domicile, et ce à l’exclusion de tout hébergement en institution.

Dans cet arrêt, la cour du travail avait souligné que la Convention de New York prévoit notamment que les Etats prennent des mesures efficaces et appropriées pour que les personnes handicapées aient la possibilité de choisir leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre, qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier et qu’elles aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement, en ce compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer.

La cour avait abordé la question de l’absence d’effet direct de cette disposition, mais – comme repris également dans le jugement commenté – avait conclu que, dans les limites imposées par les textes du droit national, ces engagements doivent être appliqués dans toute la mesure du possible, de telle manière que le droit national soit conforme aux dispositions de droit international qui lient la Belgique.


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