Terralaboris asbl

C.C.T. n° 109 : critères pour la fixation de l’indemnité

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 11 octobre 2017, R.G. 16/7.653/A

Mis en ligne le jeudi 25 janvier 2018


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 11 octobre 2017, R.G. 16/7.653/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 11 octobre 2017, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles réexpose le mécanisme de contrôle du motif d’un licenciement mis sur pied par la C.C.T. n° 109 et retient le montant maximum de l’indemnité eu égard au comportement de l’employeur.

Les faits

Un ouvrier est licencié après 16 années d’ancienneté, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Celui-ci entame diverses démarches aux fins de retrouver son emploi et un nouveau contrat de travail est signé 6 mois après le licenciement. Il s’agit de fonctions de « ouvrier de propreté publique », l’employeur étant actif dans ce secteur. Les relations se dégradent cependant assez rapidement, l’intéressé considérant qu’il est victime de pressions ainsi que de harcèlement. Il prend ses congés annuels et, pendant ceux-ci, il informe l’employeur, via une attestation médicale, de son état de santé (angoisse extrême, réaction de stress post-traumatique). Il ne reprend pas le travail à la fin de ses congés. Son conseil prend contact avec l’employeur, demandant alors que les conditions de travail du premier contrat soient appliquées, vu l’état de fait dénoncé.

L’intéressé fait l’objet de deux bulletins de signalement eu égard au non-respect par lui de ses obligations en matière d’incapacité de travail.

Le fils de l’intéressé prend contact avec l’employeur aux fins de confirmer d’une part que le document médical reçu est le seul certificat rédigé par le médecin et que d’autre part son père se tient à disposition pour un contrôle médical. L’employeur, considérant qu’il n’est cependant pas valablement informé d’une absence pour maladie et faisant valoir une source de désorganisation et de perturbation du travail, rompt le second contrat de travail moyennant paiement d’une indemnité de 2 semaines.

La décision du tribunal

Le tribunal est saisi de deux chefs de demande, le premier étant relatif au salaire garanti (qu’il n’accordera pas pour la période d’absence qui n’est pas dûment justifiée par un certificat médical conforme au prescrit légal et la rémunération garantie par l’employeur relative à la période justifiée ayant été payée), ainsi que d’un chef de demande relatif au caractère manifestement déraisonnable du licenciement. C’est ce second point qui fait l’objet des commentaires qui suivent.

Le tribunal rappelle en premier lieu le mécanisme mis en place par la C.C.T. n° 109, vu que l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 a cessé de s’appliquer au profit de celle-ci à partir du 1er avril 2014. Il reprend la doctrine (L. PELTZER et E. PLASSCHAERT, « La motivation du licenciement des travailleurs : nouvelles règles pour tous les travailleurs depuis le 1er avril 2014 », J.T., 2014, p. 385) pour conclure que la définition actuelle est tout à fait en ligne avec l’ancien article 63 depuis les arrêts rendus par la Cour de cassation en 2010.

Le tribunal rappelle ensuite les règles de preuve, selon que les motifs ont été demandés et qu’ils ont ou non été donnés, ainsi que la sanction, étant l’indemnité forfaitaire de 3 à 17 semaines, dont le montant sera déterminé en fonction de l’intensité du caractère abusif du licenciement. Citant ici P. CRAHAY, « Motivation du licenciement et licenciement manifestement déraisonnable », Ors., 214, n° 4, p. 10, le tribunal souligne qu’il est appelé à moduler l’indemnité à l’aune du manque de justification raisonnable de la rupture.

En l’espèce, les motifs ont été donnés dans le courrier de rupture lui-même. Il en découle que chacune des parties assume la charge de la preuve des faits qu’elle allègue. Le tribunal doit dès lors déterminer si la décision – au moment où elle a été prise – est fondée sur les motifs admissibles (en lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou fondée sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise), motifs qui auraient été admis par un employeur normal et raisonnable.

Reprenant la chronologie des événements, notamment les démarches faites par le fils pendant la durée de l’incapacité de travail du père, le tribunal conclut que la situation de celui-ci était tout à fait clarifiée, la seule chose qui manquait étant le certificat médical pour une période de 5 jours. Celle-ci étant cependant expirée au moment du licenciement, le tribunal estime que « (…) il était difficile pour Monsieur (…) de rectifier le tir ». Par ailleurs, pour cette courte période, l’employeur a appliqué la sanction légale, étant le refus du salaire garanti.

Concernant l’autre motif invoqué, étant la désorganisation, le tribunal relève qu’elle n’est pas établie. En outre, même si se posait le problème formel du certificat lui-même, l’employeur était dûment informé de l’absence et pouvait dès lors y remédier.

Il n’a dès lors pas agi comme un employeur normal et raisonnable placé dans de telles circonstances, notamment eu égard au fait qu’une demande de régularisation de salaire (ancienneté barémique) avait été soulevée et que la société avait écrit que celle-ci serait appliquée à partir du mois de septembre – le licenciement intervenant cependant quelques jours plus tard.

Il y a dès lors licenciement manifestement déraisonnable. Le montant réclamé est le maximum prévu par la convention collective, étant les 17 semaines. Ce montant est alloué au motif de manque de transparence dans le chef de l’employeur et d’anachronisme de la décision. Le montant en lui-même n’est pas contesté.

Un dernier chef de demande ayant été introduit pour l’obtention de dommages et intérêts pour abus de droit dans le cadre de la théorie générale, le tribunal conclut assez rapidement que ce point n’est pas fondé, aucun élément n’étant avéré, sur le plan de représailles.

L’on relèvera encore qu’est rappelé, sur le plan de l’exécution de la décision, le nouvel article 1397 du Code judiciaire, selon lequel les jugements définitifs sont (sauf exception) exécutoires par provision, nonobstant appel et sans garantie, si le juge n’a pas ordonné qu’il en soit constituée une (§ 1er). Cette modification du Code judiciaire tend à éviter les appels dilatoires et le Conseil d’Etat a d’ailleurs rendu un avis le 11 juin 2015, considérant qu’il n’est pas illégitime de permettre aux créanciers de poursuivre à ses risques et périls l’exécution sur la base du titre accordé.

Pour le tribunal, aucun élément ne justifie que l’on s’écarte de la règle de l’exécution provisoire. Il autorise cependant le cantonnement.

Intérêt de la décision

La C.C.T. n° 109 soulève des questions régulières et les juridictions de fond font œuvre pionnière, en ce qui concerne non seulement les critères d’appréciation (dont il est régulièrement rappelé qu’ils sont ceux de l’ancien article 63), mais essentiellement sur le plan du mécanisme de la preuve et aussi pour ce qui est du montant de l’indemnité. La C.C.T. est en effet assez obscure quant au montant à retenir, puisqu’il s’agit d’apprécier l’« intensité » du caractère abusif du licenciement. Ce critère est difficilement applicable dans la pratique et l’on voit, comme en l’espèce, apparaître des critères liés au comportement de l’employeur, qui est apprécié à l’aune de la conduite de l’employeur normalement prudent et diligent (raisonnable), étant le critère générique de l’abus de droit.

Les éléments retenus par le tribunal en l’espèce sont le manque de transparence et l’« anachronisme » de la décision de licenciement eu égard au contexte professionnel. Le tribunal a ainsi estimé que le montant à allouer est le maximum de la fourchette.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be