Terralaboris asbl

Gérant d’une société de patrimoine : assujettissement au statut social ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 5 septembre 2017, R.G. 2015/AL/361

Mis en ligne le lundi 15 janvier 2018


Cour du travail de Liège (division Liège), 5 septembre 2017, R.G. 2015/AL/361

Terra Laboris

Par arrêt du 5 septembre 2017, la Cour du travail de Liège (division Liège) fait un rappel complet de la question de l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants des mandataires de société (et associés actifs), s’agissant en l’espèce d’une société de patrimoine présentée comme destinée uniquement à la clôture comptable d’une activité exercée précédemment dans le cadre d’une autre société.

Les faits

L’INASTI prend, en février 2012, une décision d’assujettissement et réclame à l’intéressé des cotisations au statut social pour dix trimestres.

Celui-ci conteste, signalant qu’il avait été indépendant mais qu’il ne devait plus être assujetti pour la période concernée.

Il a dès lors introduit un recours. Le Tribunal du travail de Liège (division Liège) a demandé la production de pièces comptables aux fins de vérifier la situation exacte. Il s’agit d’une demande de communication de bilans, de comptes d’exploitation et de déclarations TVA pour les trois années an cause. Suite à l’examen de ces documents, il a débouté l’intéressé de sa demande.

Celui-ci interjette appel. Il fait, dans le cadre de ce recours, une demande de déclaration d’arrêt commun vis-à-vis d’une société fiduciaire.

Il fait valoir qu’il a exercé la profession de notaire pendant vingt-cinq ans et qu’il a, à ce moment, cédé son activité. Depuis cinq ans, il exerçait celle-ci dans le cadre d’une autre société. Au moment de la cession, il a modifié la forme et la dénomination de la société, qui de SPRL est devenue une SCRL. L’objet social a également été modifié, la société s’occupant de la constitution et de la gestion d’un patrimoine (mobilier et immobilier). La gratuité du mandat du gérant est prévue statutairement, et ce sauf décision contraire de l’Assemblée générale. L’intéressé est le seul propriétaire de toutes les parts de la société. Deux ans et demi après, cette société est dissoute.

La demande de l’INASTI porte sur cette dernière période.

Position des parties devant la cour

L’appelant expose qu’il a cessé ses activités à l’âge de soixante-sept ans, son successeur poursuivant la gestion de l’étude. Il a pour sa part pris contact avec sa caisse en vue de communiquer la cessation d’activité. La société est devenue une société de patrimoine, qui n’a continué à exister que pour les besoins de sa dissolution. Elle a ainsi été liquidée deux ans et demi plus tard.

Il fait valoir que l’activité susceptible de donner lieu à assujettissement au statut social doit être exercée dans un but de lucre et présenter un caractère habituel et que la présomption d’assujettissement des mandataires de société est réfragable. Il expose avoir exercé de manière gratuite et sans caractère habituel ou régulier.

La gratuité existe nonobstant la qualification de revenus professionnels par l’administration fiscale, dans la mesure où elle figure dans les statuts. En outre, aucun but de lucre n’était poursuivi, seuls des intérêts fictifs ou des avances sur liquidation ayant été perçus. Quant au caractère non habituel ou non régulier, l’appelant fait valoir qu’il n’exerçait plus ses fonctions de notaire et qu’il n’est resté gérant que pour les besoins de la clôture comptable de l’activité et de la liquidation. Il considère encore qu’il s’agit d’une société inactive, n’ayant survécu que pour les besoins de clôture d’une activité antérieure, et qu’elle était destinée à la dissolution.

Quant à l’INASTI, il se fonde sur la perception de revenus qualifiés par le fisc de revenus de dirigeant d’entreprise. L’intéressé étant gérant d’une société, il y avait activité indépendante et la société a été active jusqu’à sa dissolution (ayant des frais et charges, percevant des revenus, etc.). Il y avait donc activité habituelle exercée dans un but de lucre. Il considère que l’appelant, qui a perçu des revenus de dirigeant d’entreprise d’une société qui est restée active, ne renverse pas la présomption légale. Ces règles valent pleinement, pour l’INASTI, dans l’hypothèse d’une société patrimoniale, la gestion de biens constituant une activité soumise à l’impôt des sociétés.

La société fiduciaire appelée en déclaration d’arrêt commun fait cause commune avec l’appelant, faisant notamment valoir en plus que celui-ci avait une dette à l’égard de la société et que celle-ci aurait dû porter intérêt. C’est par ailleurs à tort que ces intérêts ont été mentionnés comme des intérêts fictifs constitutifs d’avantages de toute nature. Cette erreur aurait été rectifiée ultérieurement. En conséquence, il n’y a pas lieu à assujettissement, celui-ci n’étant pas lié à la perception de revenus mais à l’exercice effectif et habituel d’une activité dans un but de lucre. La société plaide également que la société en cause était dormante, en attente de dissolution.

La décision de la cour

La cour fait un beau rappel des principes, étayant ceux-ci de références jurisprudentielles et doctrinales. Après avoir repris le débat sur le caractère initialement irréfragable de la présomption, elle énonce que le renversement de celle-ci, lorsqu’il est permis, impose d’établir l’absence d’exercice d’activité indépendante en Belgique, c’est-à-dire soit l’absence d’activité habituelle, soit l’absence de lucre, soit encore l’absence de l’activité dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un statut, ou encore son exercice ailleurs qu’en Belgique.

L’absence de lucre implique la gratuité du mandat (statutaire ou prévu par une décision de l’organe compétent), la seule absence de décision à cet égard étant insuffisante. Il faut également que telle soit la réalité des faits.

L’exercice d’un mandat au sein d’une société commerciale est par ailleurs une activité régulière et habituelle, s’agissant d’exercer un contrôle actif et constant de la société. Par conséquent, il est admis que certains mandats peuvent échapper à la qualité d’activité habituelle et régulière, mais ceci vise ceux exercés dans des sociétés dépourvues d’activité ou dormantes.

La conclusion des deux règles ci-dessus est que le mandat exercé à titre gratuit au sein d’une société dormante ne constitue pas l’exercice d’une activité indépendante.

A l’époque, existait également une deuxième présomption dans l’arrêté royal du 19 décembre 1967 portant règlement général en exécution de l’arrêté royal n° 38, et ce dans son article 2, qui prévoyait que l’exercice d’un mandat dans une association ou une société de droit ou de fait qui se livre à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif est de manière irréfragable présumé constituer l’exercice d’une activité entraînant l’assujettissement social au statut social des travailleurs indépendants. Cette présomption pouvait cependant être également renversée malgré son intitulé.

Il en découlait notamment que, si la présomption d’assujettissement en tant que mandataire de société pouvait être renversée, ceci n’empêchait pas l’assujettissement au titre d’associé actif.

En l’espèce, l’intéressé a été gérant unique et associé unique d’une société soumise à l’impôt belge des sociétés. Il n’était pas lié par un contrat de travail ou à un statut. La vocation de la société étant une société de patrimoine, elle était destinée à avoir une activité. Elle n’avait dès lors pas pour objet de liquider l’activité professionnelle antérieure de l’intéressé. Si l’activité a été limitée et moindre que celle exercée auparavant, il y a néanmoins des produits d’exploitation, des charges et des produits financiers. Celle-ci réalisait également des plus-values et payait des frais de véhicule, de séminaires, ou encore de restaurant. Elle prenait également à sa charge la cotisation annuelle des sociétés, n’en ayant pas demandé la dispense autorisée.

Enfin, l’exercice de l’activité pendant deux ans et demi dépasse, pour la cour, ce qui était nécessaire à la simple clôture comptable de l’activité antérieure. Il n’est dès lors pas établi que la société était dormante ou qu’elle n’aurait pas eu d’activité.

La cour souligne encore que, eu égard à sa nature patrimoniale et au postulat que l’activité d’associé unique était accomplie dans le but de faire fructifier le capital de ce dernier, l’activité était celle d’un associé actif, accomplie dans un but de lucre. Il y a dès lors lieu à assujettissement de ce chef, toute discussion relative à l’exercice à titre gratuit ou non en droit comme en fait du mandat de gérant est ainsi superflue.

Intérêt de la décision

La cour du travail de Liège fait ici un rappel complet des éléments pertinents dans l’examen de la situation en cause.

La matière a certes évolué depuis quelques années mais les balises actuelles sont claires : il faut démontrer l’absence de but de lucre et ceci est une situation à vérifier tant en droit qu’en fait. Doit également être examiné l’exercice d’une activité régulière et habituelle et la cour rappelle à juste titre que celle-ci va de soi en principe dans le chef d’un administrateur ou d’un gérant d’une société, vu qu’il est tenu d’exercer un contrôle actif et constant sur celle-ci. Ce n’est que si la société est dépourvue d’activité ou qu’elle est dormante que la notion d’activité habituelle et régulière ne sera pas rencontrée. La cour donne dès lors l’exemple de non-assujettissement du mandat exercé à titre gratuit au sein d’une société dormante.

Un point particulier de l’affaire tranchée vise la nature de l’activité, étant une société de patrimoine, dont la cour relève qu’elle a pour objet de faire fructifier un capital et que cette circonstance ne va pas modifier l’application des principes.

Elle retient également que, en vertu des articles 23 ainsi que 30 à 32 du C.I.R., les revenus professionnels comportent notamment les rémunérations des dirigeants d’entreprise susceptibles d’être constituées tant d’émoluments que d’avantages de toute nature. L’administration fiscale a retenu qu’il y avait des revenus professionnels dans le chef de l’exercice du mandat, de telle sorte que l’on ne pouvait considérer qu’il n’y avait pas d’activité professionnelle au sens de l’article 37, § 3, alinéa 2, de l’arrêté royal du 19 décembre 1967.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be