Terralaboris asbl

Bénéficiaire de la protection subsidiaire et prestations aux personnes handicapées

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 septembre 2017, R.G. 2016/AB/663

Mis en ligne le mardi 19 décembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 4 septembre 2017, R.G. 2016/AB/663

Terra Laboris

Par arrêt du 4 septembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles examine les effets de la protection subsidiaire sur le droit aux prestations aux personnes handicapées : elles font partie des prestations essentielles au sens du droit communautaire et doivent en conséquence être accordées à un bénéficiaire de celle-ci.

Les faits

Un demandeur d’asile, atteint de cécité, se voit accorder le bénéfice de la protection subsidiaire en avril 2014. Il est ensuite inscrit au registre des étrangers.

Suite à la demande introduite auprès du SPF Sécurité sociale, une décision est prise, constatant la réduction de la capacité de gain à un tiers ou moins et une réduction d’autonomie de 6 points sur 18. Il est cependant décidé que l’intéressé ne peut bénéficier des allocations aux personnes handicapées au motif qu’il ne satisfait pas à la condition de nationalité.

Il demandera ultérieurement le statut d’apatride, qui lui sera accordé par jugement du 6 avril 2016, et s’inscrira au registre national. Il est alors décidé, par le tribunal du travail, qu’il peut bénéficier des allocations à partir du premier jour du mois suivant la demande qu’il a introduite (l’expert désigné par le tribunal du travail ayant conclu à une réduction d’autonomie de 11 points).

Le SPF interjette appel, au motif que le droit aux allocations ne pouvait être ouvert qu’à partir du premier mois suivant l’inscription au registre national en qualité d’apatride.

Décision de la cour du travail

La cour va examiner successivement les effets de la reconnaissance du statut d’apatride, ainsi que l’incidence de la protection subsidiaire.

L’on ne peut opposer aux apatrides qu’ils ne remplissent pas la condition de nationalité et, dans la mesure où ils ont leur résidence réelle en Belgique, ils peuvent prétendre aux allocations aux personnes handicapées.

La reconnaissance du statut d’apatride a un caractère déclaratif, étant que celle-ci ne rend pas la personne apatride mais constate qu’elle l’est, et ce depuis l’événement qui a causé cet état. Il s’agit d’une décision qui opère ex tunc. Si une demande est introduite aux fins d’obtenir les allocations et que la qualité d’apatride est reconnue en cours de procédure, celles-ci doivent être accordées à partir de la demande (pour autant que la cause de l’apatridie soit antérieure à cette date). Est toujours requise, en sus, la condition de la résidence réelle en Belgique.

La cour relève qu’avant d’être reconnu apatride, l’intéressé était déjà en séjour légal et qu’il a d’ailleurs introduit sa demande d’allocations à ce moment.

La reconnaissance de la qualité d’apatride n’a pas modifié le fondement de son droit de séjour, seule étant changée sur l’extrait du registre national la mention relative à la nationalité (nationalité « indéterminée » devenant « apatride »). La cour rappelle qu’elle est tenue, en application de la jurisprudence à la fois de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, d’aligner l’apatride involontaire (et qui ne peut obtenir un titre de séjour dans un autre Etat) sur le statut du réfugié reconnu.

Le caractère déclaratif de la reconnaissance est encore rappelé, comme elle le souligne, dans la Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 (concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection). La reconnaissance d’apatridie doit donc à ce titre également opérer ex tunc.

En ce qui concerne l’incidence de la protection subsidiaire, la cour reprend le texte de la Directive 2011/95/UE, dont elle souligne que l’article 29, § 2, est fort proche de l’article 11, § 4, de la Directive 2003/109 concernant l’octroi du statut de résident de longue durée dans un Etat membre. Le droit à l’égalité de traitement peut, en matière d’aide sociale et de protection sociale, être limité aux prestations essentielles, dans le cadre de cette dernière, et la Cour de Justice, dans son arrêt KAMBERAJ (C.J.U.E., 24 avril 2012, KAMBERAJ, C-571/10), a rappelé que des dérogations au principe d’égalité de traitement sont possibles mais que ceci exige que les instances compétentes dans l’Etat membre concerné pour la mise en œuvre de cette Directive aient clairement exprimé qu’elles entendaient se prévaloir de la dérogation. Dès lors que l’Etat en cause ne l’a pas fait, il ne peut ultérieurement y recourir.

Or, dans le cadre de la Directive 2011/95/UE, l’Etat belge n’a pas fait valoir que les prestations en cause devaient rentrer dans le champ des dérogations et qu’elles ne constituaient pas des prestations essentielles.

Revoyant par ailleurs les travaux préparatoires de la loi du 21 juillet 2016, qui a modifié celle du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, elle constate également qu’ici non plus il n’a pas été prévu que la seule prestation essentielle qui pouvait être accordée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire était le revenu d’intégration. Au contraire, les travaux préparatoires font état du vœu d’intégration similaire des deux groupes de personnes en cause (réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire), dans la mesure où ils sont en séjour légal sur le territoire.

Dans l’arrêt KAMBERAJ, la Cour de Justice a également souligné que l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes (la cour du travail souligne). En conséquence, vu l’absence d’exclusion explicite, les allocations aux personnes handicapées ne peuvent pas être considérées comme ne faisant pas partie des prestations essentielles au sens de l’article 29, § 2, de la Directive 2011/95/UE.

La cour balaie, enfin, des arguments tirés de la jurisprudence M’BODJ de la Cour de Justice, dans la mesure où, dans cette affaire, la Directive 2011/95/UE n’était pas encore en vigueur. L’enseignement de cet arrêt n’est dès lors pas transposable.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est l’occasion de rappeler le principe communautaire de l’égalité de traitement dans les pays de l’Union.

Une exception à ce principe figure dans la Directive 2003/109 concernant l’octroi du statut de résident de longue durée dans un Etat membre. La garantie qu’elle contient, en matière d’aide sociale et de protection sociale, est cependant l’objet d’une limitation, étant que les Etats membres peuvent actionner la dérogation permise par le texte aux fins de restreindre l’égalité de traitement aux prestations essentielles.

Cependant, ceci suppose que les instances compétentes dans l’Etat membre concerné par la mise en œuvre de la Directive aient exprimé leur position à cet égard, étant qu’elles entendaient se prévaloir de la dérogation. A défaut, il ne peut être retenu, ultérieurement, qu’une telle dérogation est possible.

La cour en tire très logiquement la conclusion qui s’impose, étant que, en l’absence d’exclusion explicite, l’on ne peut soutenir que les allocations aux personnes handicapées, qui tiennent compte de l’état de santé des personnes ne disposant pas de ressources suffisantes et qui, du fait de celui-ci, ne peuvent travailler et/ou subissent une réduction d’autonomie dans les actes de la vie journalière, ne font pas partie des prestations essentielles.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be