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De la difficulté d’obtenir la requalification d’un contrat d’entreprise en contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 juin 2017, R.G. 2015/AB/407

Mis en ligne le lundi 27 novembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 7 juin 2017, R.G. 2015/AB/407

Terra Laboris

Par arrêt du 22 juin 2017, la Cour du travail de Bruxelles rejette une demande de requalification introduite par un photographe de presse, lié pendant dix ans à une société dans le cadre d’un contrat d’entreprise non contesté pendant son exécution.

Les faits

Un photographe a conclu dans le courant de l’année 2000 une convention de collaboration indépendante avec un groupe de presse. Il s’agissait de réaliser quelques reportages photographiques par jour et de couvrir l’actualité pendant un week-end sur trois. Pendant toute la durée de la collaboration professionnelle, le photographe a adressé des factures mensuelles et était assujetti à la TVA. Il disposait d’un registre de commerce et était également inscrit à la banque-carrefour.

Dix ans plus tard, il est mis fin à cette collaboration et, conformément à une clause figurant dans le contrat, le préavis est d’un mois.

L’intéressé demande, alors, la régularisation de la situation, dans le cadre d’un contrat de travail (paiement par la société des cotisations de sécurité sociale ainsi que paiement de l’ensemble des avantages payés aux salariés étant le 13e mois, le pécule de vacances, etc.). Est également demandée la régularisation des cotisations à la pension complémentaire des journalistes professionnels. Une indemnité compensatoire de préavis correspondant à onze mois est, en outre, postulée et l’intéressé demande des droits d’auteur.

Il sollicite, à défaut pour le tribunal de faire valoir sa demande de requalification, de renvoyer la demande relative aux droits d’auteur vers le tribunal de première instance.

Il se trouve devant la cour dans la position d’appelant, ayant été débouté de l’ensemble de ses demandes par le premier juge.

Décision de la cour

La méthode suivie par la cour du travail est de procéder à l’examen des critères généraux de la loi du 27 décembre 2006, dont elle retient qu’elle trouve à s’appliquer, conformément à l’article 2 du Code civil, au contrat en cause, car bien que conclu avant l’entrée en vigueur de la disposition, il a continué à être exécuté ultérieurement.

La cour procède, en conséquence, au rappel des articles 331, 332, 333 et 339, alinéa 1er (avant sa modification par la loi du 25 août 2012) de la loi du 27 décembre 2006. Elle relève que ses principes ne diffèrent guère de l’interprétation donnée à la question auparavant, et notamment par la Cour de cassation. C’est la qualification donnée par les parties à la relation de travail qui a été considérée comme un élément important, le juge ne pouvant remplacer celle-ci par une qualification autre que si les éléments soumis à son appréciation permettaient d’exclure la qualification donnée.

Elle s’attache plus précisément à trois arrêts de la Cour de cassation. Dans le premier, du 23 décembre 2002 (Cass., 23 décembre 2002, RG n° S.01.0169.F), celle-ci a rejeté que soient (séparément ou conjointement) inconciliables avec l’existence d’un contrat d’entreprise les points suivants : (i) travailler de huit à neuf heures par jour pour le maître d’ouvrage et san avoir la possibilité de développer une autre clientèle, (ii) le fait que le maître d’ouvrage fixait les prix, (iii) l’absence d’autonomie de gestion ou de propriété du fonds de commerce et (iv) le fait que les locaux, l’outillage et les matériaux étaient fournis par le maître d’ouvrage.

La Cour a précisé dans un arrêt du 23 avril 2003 (Cass., 23 avril 2003, RG n° S.01.0184.F) qu’il en était de même dans l’hypothèse où, le fonds de commerce étant la propriété exclusive du maître de l’ouvrage, le travailleur n’avait aucun droit sur son exploitation et était contraint de respecter des conditions de vente imposées par celui-ci.

Dans un troisième arrêt du 8 décembre 2003 (Cass., 8 décembre 2003, J.T.T., 2004, p.122), la Cour précise encore que n’étaient pas davantage inconciliables avec le contrat d’entreprise le fait de ne pas apparaître, dans les relations contractuelles avec le maître de l’ouvrage, comme un travailleur indépendant qui assurerait les risques de l’entreprise, le fait d’être intégré dans une organisation de travail conçue par le maître de l’ouvrage et pour ce dernier, ainsi encore que la circonstance que, pour accéder à l’emploi, le travailleur a été contraint d’accepter le statut d’indépendant.

La cour recherche, ensuite, si l’on peut conclure à l’existence d’un lien d’autorité entre les parties, relevant l’arrêt du 6 décembre 2010 de la Cour suprême (Cass., 6 décembre 2010, RG n° S.10.0073.F) qui exige que cet exercice (ou la possibilité de celui-ci) se distingue de la seule existence et de la communication de directives dans le cadre d’une relation indépendante.

La cour va dès lors passer en revue les modalités d’exécution et va conclure assez rapidement que, l’intéressé ayant la charge de la preuve et supportant, en conséquence, le risque de défaut de preuve, n’établit pas qu’il y a eu une incompatibilité entre la convention conclue et la manière dont elle a été exécutée.

La cour procède ensuite à l’examen des trois autres critères généraux de la loi, étant la liberté d’organisation, du travail, de même que celle du temps de travail, et la possibilité de contrôle hiérarchique. Elle procède pour ce faire à un examen particulièrement fouillé des éléments produits, se penchant longuement, d’ailleurs, sur le critère du temps de travail. Si le photographe a été amené à être présent à des moments donnés et pour des circonstances particulières, ces exigences ne sont pas en elles-mêmes de nature à démontrer un lien d’autorité contredisant une relation indépendante.

Le demandeur échoue dès lors à rapporter les éléments susceptibles d’entraîner la requalification de la relation professionnelle qui a lié les parties pendant dix ans. La cour aura au passage relevé qu’il n’avait pendant l’exécution de celle-ci jamais contesté sa nature.

Intérêt de la décision

L’espèce commentée souligne, une nouvelle fois, les difficultés de ce type d’exercice. La méthode suivie par la cour est de rappeler, dans un premier temps, que l’apport de la loi du 27 décembre 2006 ne bouleverse nullement les principes dégagés par la Cour de cassation dans de nombreux arrêts. Elle épingle trois d’entre eux, les circonstances ou éléments de fait pouvant se retrouver dans le cas qu’elle a à juger. Ensuite, elle passe en revue les quatre critères généraux des articles 331 et suivants. L’on notera que tout en ayant rejeté que le premier soit rencontré, étant qu’en cas de convention écrite son exécution s’avère incompatible avec la qualification que les parties lui ont donnée, elle procède néanmoins à l’examen des trois critères suivants, examen particulièrement fouillé, pour lesquels elle se livre à un examen complet des conditions réelles de travail.


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