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Pension de retraite : délai de prescription d’une demande de récupération d’indu

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 juin 2017, R.G. 2008/AB/50.667

Mis en ligne le vendredi 13 octobre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 15 juin 2017, R.G. 2008/AB/50.667

Terra Laboris

Par arrêt du 15 juin 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles en matière de récupération de l’indu dans le secteur des pensions (pension de retraite en l’occurrence) : il n’y a pas, comme dans la réglementation chômage, de distinction entre le délai d’ordonnancement de l’indu et celui de la prescription de l’action en récupération.

Les faits

Monsieur R. bénéficie d’une pension de retraite depuis le 1er août 2000. Celle-ci est fixée au taux ménage. L’intéressé, de nationalité marocaine, avait contracté un premier mariage en 1961 et une demande de répudiation avait été introduite en 1967. En 1980, il s’était remarié.

En novembre 2000, la première épouse introduit une demande de pension de retraite de conjoint séparé. En 2003, l’ONP (actuellement SPF) décide de ramener la pension de retraite au taux ménage au montant applicable au taux isolé et alloue celle-ci pour chacun des conjoints séparés pour la période entre l’octroi de la pension de retraite et la demande faite par la première épouse (en l’occurrence 4 mois). A partir de cette demande, la pension de retraite est calculée au taux ménage et chacun en perçoit la moitié (ménage/2). Un indu est notifié en 2014 pour cette seconde période. Il est de l’ordre de 2.645 euros.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail. L’intéressé y invoque qu’il y a eu un divorce en 1987 et que son ex-épouse a une pension d’institutrice. Il expose également s’être remarié et avoir des enfants de ce second mariage.

Le tribunal confirme l’indu, mais le limite à un délai de 6 mois (conformément à l’article 21, § 3, alinéa 1er, de la loi du 13 juin 1966). Il rejette le délai de 5 ans appliqué par l’Office.

Appel est interjeté et, en cours d’instance, suite au décès de l’intéressé, celle-ci est reprise par ses héritiers légaux.

A l’audience de plaidoiries devant la cour, l’ensemble des parties (hors le SPF) sont absents et la cause est instruite par défaut.

La décision de la cour

La cour raisonne en trois étapes successives.

La première est relative au principe de l’indu. S’agissant d’une procédure de répudiation et non d’un divorce, qui ne peut sortir ses pleins et entiers effets en droit belge (vu la violation des droits de défense due à l’absence de l’épouse), il faut considérer que les parties n’étaient pas divorcées mais que, pour l’application de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, elles étaient séparées. Il y a dès lors un indu.

Quant aux montants de celui-ci, la question est de savoir quel délai de prescription retenir.

La cour rappelle qu’en vertu de l’article 15 de l’arrêté royal, le formulaire de demande contient une rubrique spécifique relative à l’état civil du demandeur et que, par ailleurs, l’administration communale fait signer le formulaire par le demandeur, qui certifie que les renseignements fournis sont sincères et complets. En l’occurrence, l’intéressé n’a pas complété les rubriques ad hoc.

Pour la cour, c’est dès lors suite à cette absence de renseignements obligatoires qu’il y a un indu. Elle retient la prescription de 5 ans, tout en soulignant qu’elle ne doit pas examiner s’il y a eu manœuvre frauduleuse ou déclaration fausse ou sciemment incomplète, la disposition visant également l’hypothèse de sommes payées indûment par suite de l’abstention du débiteur de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement.

Quant à l’action en récupération de l’indu, la cour examine la thèse de l’administration et conclut qu’elle ne peut la suivre. Le SPF considère en substance que le délai de prescription est le délai de prescription ordinaire de 10 ans et qu’il a pris cours le 29 janvier 2004. Entre-temps, était entré en vigueur, avec effet au 1er janvier 2013, le nouvel article 30/1 de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, selon lequel toute instance en justice relative au recouvrement d’allocations (dans les conditions qu’il précise) suspend la prescription, cette suspension débutant avec l’acte introductif et se terminant lorsque la décision judiciaire est coulée en force de chose jugée.

Pour la cour, cette manière de voir ne peut être suivie, l’Office semblant appliquer la règle existant en matière d’allocations de chômage. Dans ce secteur, il y a une distinction à faire entre le délai d’ordonnancement de l’indu et la prescription de l’action en récupération. Or, aucune disposition de ce type n’existe en matière d’indu de pension, l’article 21, § 3, de la loi du 13 juin 1966 prévoyant au contraire que la prescription est acquise par 6 mois à compter de la date à laquelle le paiement a été effectué. En l’occurrence, la prescription a été interrompue par lettre recommandée du 28 janvier 2004, de telle sorte qu’un nouveau délai de prescription de 5 ans a commencé à ce moment, mais aucun acte interruptif n’a été posé dans le nouveau délai de 5 ans. Les conclusions ont été déposées en 2017 et la demande reconventionnelle de paiement de l’indu qui y figure est dès lors prescrite.

La cour ordonne en conséquence de restituer aux héritiers les sommes qui ont été retenues sur les pensions de l’intéressé.

Intérêt de la décision

Cette affaire confirme une jurisprudence constante en ce qui concerne les effets d’une répudiation non conforme à un divorce répondant aux conditions légales en droit belge : même si les parties sont en principe divorcées (ce qui peut d’ailleurs même transparaître de documents administratifs, notamment au niveau de la commune), il n’en demeure pas moins que, eu égard au caractère d’ordre public de la réglementation en matière de pension de retraite, il y a lieu de vérifier si ce divorce a pu sortir des effets en droit belge.

Dans la mesure où tel n’est pas le cas, il faut tenir compte de la situation comme si ce divorce n’existait pas, les parties devant dès lors être considérées comme séparées tant qu’un divorce valable n’est pas intervenu. La présence d’un nouveau conjoint dans le ménage ne peut donner lieu de ce fait à l’octroi de la pension de retraite au taux ménage. La pension de retraite restera due au taux isolé tant que le premier conjoint n’aura pas fait de demande de pension de retraite de conjoint séparé. Elle sera ramenée à la moitié de la pension de retraite au taux ménage lorsque cette demande sera faite.

Sur le plan de la prescription en matière d’indu, la cour rejette la position de l’administration, qui s’alignait sur le mécanisme applicable en matière de chômage, où la distinction est clairement faite entre le délai d’ordonnancement de l’indu et la prescription de l’action en récupération. La cour précise qu’aucune disposition de ce type n’existe en matière de pensions et qu’il y a lieu d’appliquer l’article 21, § 3, de la loi du 13 juin 1966. En suivant, en l’occurrence, le délai de prescription de 5 ans que la cour a retenu comme étant applicable du fait de l’absence de déclaration complète dans le formulaire de demande de pension, il est conclu à l’absence d’acte interruptif dans le délai du 29 janvier 2004 au 28 janvier 2009, la demande n’étant introduite que par la voie de conclusions (demande reconventionnelle en janvier 2017).

La conclusion de la cour est dès lors que, même si l’indu existe, la demande de récupération est prescrite.


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