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Règlement (CE) n° 883/2004 : octroi des prestations de sécurité sociale aux ressortissants de pays tiers

Commentaire de C.J.U.E., 21 juin 2017, Aff. n° C-449/16

Mis en ligne le jeudi 28 septembre 2017


Cour de Justice de l’Union européenne, 21 juin 2017, Affaire n° C-449/16

Terra Laboris

Par arrêt du 21 juin 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle que les Etats membres peuvent, dans les conditions fixées par le Règlement, déroger au principe de l’égalité de traitement pour les ressortissants des pays tiers dans les conditions qu’il fixe. Dans la mesure où il n’a pas été fait usage de cette possibilité, les prestations de sécurité sociale doivent être accordées à ceux-ci.

Les faits

Une mère de famille, ressortissante d’un pays tiers, réside dans une commune italienne. Elle est titulaire d’un permis unique de travail d’une durée supérieure à 6 mois. Ses revenus lui permettent de bénéficier d’une prestation sociale, étant l’A.N.F., réservée aux ménages composés d’au moins trois enfants de moins de 18 ans et dont les revenus sont inférieurs à une certaine limite (de l’ordre de 25.000 euros en 2014). La prestation est d’environ 140 euros par mois.

Celle-ci est refusée, au motif que l’intéressée n’a pas de permis de séjour de résident de longue durée.

Une action est introduite devant le tribunal civil, pour discrimination. Elle demande que son droit soit reconnu pour l’année en cause, ainsi que les années suivantes, faisant valoir que le refus est contraire à l’article 12 de la Directive n° 2011/98, qui garantit le principe d’égalité de traitement aux travailleurs issus de pays tiers (visés à la Directive) avec les ressortissants de l’Etat membre où ils résident. Cette égalité de traitement vise les branches de la sécurité sociale telles que définies dans le Règlement (CE) n° 883/2004 (article 12, e)).

L’intéressée est déboutée de sa demande et saisit la cour d’appel. Elle pose la question de la conformité de la disposition interne, qui ne permet pas à un ressortissant d’un pays tiers titulaire d’un permis unique de bénéficier, comme peuvent le faire les ressortissants de l’Etat membre, de la prestation en cause, situation qui n’est pas conforme au principe d’égalité de traitement de l’article 12 ci-dessus.

La cour d’appel retient qu’il s’agit d’une prestation en espèces, celle-ci lui semblant relever de l’article 3, § 1er, j), du Règlement (CE) n° 883/2004 (prestations familiales).

Vu la détention du permis unique d’une durée supérieure à 6 mois, l’intéressée fait partie des personnes devant bénéficier du principe de l’égalité de traitement.

La cour d’appel pose dès lors deux questions à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

La première question est de savoir si la prestation visée constitue une prestation familiale au sens de l’article 3, § 1er, sous j), du Règlement (CE) n° 883/2004.

La seconde, posée dans l’hypothèse où il est répondu affirmativement à la première, concerne la conformité de la réglementation italienne à la Directive n° 2011/98/UE, qui garantit le principe de l’égalité de traitement, dans l’hypothèse d’un travailleur d’un pays tiers titulaire d’un « permis unique de travail » ayant au moins trois enfants mineurs à charge et percevant des revenus inférieurs à la limite fixée, travailleur exclu du bénéfice de la prestation.

La décision de la Cour

La Cour considère qu’il faut examiner les deux questions ensemble.

Les travailleurs issus de pays tiers visés à l’article 3, § 1er, sous b) et sous c), de la Directive bénéficient de l’égalité de traitement pour les branches de la sécurité sociale définies par le Règlement (CE) n° 883/2004.

La question est de savoir si la prestation en cause tombe dans le champ d’application de celui-ci, au titre de prestations familiales, ou si elle ne relève pas de l’aide sociale.

La qualification donnée par la législation nationale n’est pas un critère pertinent, la distinction devant s’opérer en examinant les éléments constitutifs de chaque prestation et, notamment, ses finalités et ses conditions d’octroi.

La Cour renvoie à une abondante jurisprudence rendue sur la question, dont le premier arrêt date de 1992 (C.J.U.E., 16 juillet 1992, Hughes, C-78/91) : il y aura prestation de sécurité sociale si l’octroi se fait en-dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire de besoins personnels, sur la base d’une situation légalement définie et si la prestation se rapporte à l’un des risques énumérés à l’article 3, § 1er, du Règlement. Le mode de financement de la prestation est par ailleurs sans importance. Quant aux critères du nombre d’enfants ou de l’importance des revenus, il s’agit de critères objectifs et légalement définis.

Au sens du Règlement, il faut entendre par « prestations familiales » toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille (hors avance sur pension alimentaire, allocation spéciale de naissance ou d’adoption). Il s’agit d’une contribution publique au budget familial destinée à alléger les charges découlant de l’entretien des enfants.

Examinant, sur la base de ces principes, les conditions d’octroi de l’A.N.F., la Cour constate qu’il s’agit d’une somme d’argent versée chaque année au bénéficiaire et visant à compenser la charge de famille. C’est une prestation en espèces qui est une prestation de sécurité sociale, s’agissant d’une prestation familiale.

La question est de savoir si les ressortissants des pays tiers dans les conditions ci-dessus peuvent être exclus du bénéfice d’une telle prestation. Ceux-ci sont titulaires d’un permis de séjour (permis unique), puisqu’ils ont été admis aux fins de travailler dans l’Etat en cause.

La Cour rappelle qu’en vertu de la Directive 2011/98 (article 12, § 2, sous b)), les Etats peuvent limiter les droits conférés par cette Directive aux travailleurs issus de pays tiers sauf si ceux-ci occupent un emploi (ou l’ont occupé) pendant une période minimale de 6 mois et sont inscrits comme chômeurs. En outre, d’autres dérogations sont possibles en faveur de certains ressortissants d’Etats tiers. Pour être admises, celles-ci sont cependant subordonnées à la condition que l’Etat membre en cause ait exprimé clairement qu’il entendait se prévaloir de celles-ci. Tel n’est pas le cas en l’espèce, la République italienne n’ayant pas manifesté une telle volonté.

Dès lors, la réglementation interne, limitant le bénéfice de l’A.N.F., ne vient pas mettre en œuvre les limitations au droit à l’égalité de traitement, s’agissant d’une prestation existant avant la transposition de la Directive.

Il en découle que les ressortissants d’Etats tiers, titulaires d’un permis unique, ne peuvent être exclus de la prestation.

La réglementation italienne n’est dès lors pas conforme à l’article 12 de la Directive n° 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un Etat membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un Etat membre.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice rappelle, à la lumière des deux questions posées par le juge italien, les critères séparant la prestation de sécurité sociale de l’aide sociale (devant s’agir, globalement, de critères objectifs et sans que n’interviennent ni le financement ni la qualification donnée à la prestation en droit interne), ainsi que les possibilités pour les Etats membres de déroger au principe de l’égalité de traitement figurant dans la Directive n° 2011/98.

En l’espèce, sur ce deuxième point, la Cour constate que l’Italie n’a pas demandé à se prévaloir des dérogations possibles au bénéfice de l’égalité de traitement et que, la prestation étant antérieure à la date de transposition de la Directive en droit interne, elle ne peut être comprise comme appliquant cette possibilité de dérogation.


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