Terralaboris asbl

Formulaires E101 et A1 : détermination de la législation applicable

Commentaire de Cass., 18 avril 2017, n° P.14.1858.N

Mis en ligne le vendredi 15 septembre 2017


Cour de cassation, 18 avril 2017, n° P.14.1858.N

Terra Laboris

Par arrêt du 18 avril 2017, la Cour de cassation fait un rappel de la règle : les formulaires E101 et A1 créent une présomption que les travailleurs pour qui ils sont délivrés sont régulièrement assujettis au régime de sécurité sociale de l’Etat dans lequel ils ont été établis. Ils sont contraignants pour les institutions compétentes de l’Etat membre dans lequel le travailleur effectue son travail tant que ces documents n’ont pas été retirés ou déclarés non valables.

Le litige

La Cour est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel de Gand (statuant en matière correctionnelle) du 6 novembre 2014.

Il s’agit d’une affaire mettant en cause les documents E101 et A1 prévus dans les règlements de coordination de sécurité sociale.

L’arrêt de fond

La cour a considéré que les travailleurs de la société en cause (sise à Dudelange – Grand-Duché de Luxembourg) devaient être assujettis au régime de sécurité sociale belge et non luxembourgeoise comme figurant dans des formulaires E101 et A1 (formulaires qui avaient été suspendus).

Le moyen

Le moyen du pourvoi repose sur l’article 14, paragraphe 2, b), ii, du Règlement 1408/71, remplacé avec effet au 1er mai 2010 par l’article 13, paragraphe 1er, b), du Règlement 883/2004. En droit interne, sont visés les articles 21 de la loi O.N.S.S., 33, § 3, 1er paragraphe, de l’arrêté royal d’exécution, ainsi que les articles 4 à 9 de l’arrêté royal du 5 novembre 2002 instaurant une déclaration immédiate de l’emploi, en application de l’article 38 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux de pension.

Il considère que le juge du fond a à tort rejeté l’application du droit luxembourgeois, faisant valoir que vu que, non seulement, il ne s’agissait pas des travailleurs détachés mais, en plus, qu’ils étaient mis au travail alternativement dans différents Etats membres et étaient en règle assujettis au régime de sécurité sociale du Grand-Duché de Luxembourg, ce qui était établi via les formulaires E101 et A1, documents contraignants qui n’avaient pas été retirés de manière définitive mais uniquement suspendus.

La décision de la Cour

La Cour de cassation rappelle que les formulaires E101 et A1 créent une présomption que les travailleurs en cause sont régulièrement assujettis au régime de sécurité sociale de l’Etat qui les a établis. Ils sont contraignants pour les institutions compétentes de l’Etat membre dans lequel le travailleur effectue son travail tant que ces documents n’ont pas été retirés ou déclarés non valables.

Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a constaté que les formulaires avaient été retirés par l’organe compétent luxembourgeois. A l’argument de la société selon lequel le retrait n’était pas définitif, elle a répondu que, pour la période concernée, les documents requis n’étaient pas produits et que la suspension des formulaires impliquait qu’ils ne pouvaient prouver le lieu effectif de l’occupation. Pour la Cour de cassation, l’arrêt de fond a dès lors dit pour droit qu’il n’y avait pas de production des formulaires exigés, dont il ressortirait de manière contraignante que les travailleurs concernés étaient assujettis au régime de sécurité sociale du pays où la société est établie.

Dès lors, par ailleurs, que la société plaide qu’il y a eu suspension par les autorités luxembourgeoises compétentes mais non retrait, la Cour constate qu’est ici exigé un examen des faits, pour lesquels elle est sans compétence.

Elle rappelle ensuite (sans préciser les arrêts en cause) que, dans sa jurisprudence, la Cour de Justice a précisé la portée de l’article 14, paragraphe 2, du Règlement 1408/71, comme suit :

  • Pour tomber dans le champ d’application de la disposition, le travailleur doit exercer son activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs Etats membres ;
  • Quoique le règlement ne définisse pas autrement la notion, il doit s’agir d’activités qui ne sont pas limitées au territoire d’un même Etat, mais qui, normalement, s’étendent au territoire de plusieurs Etats, ce qui veut dire « en règle » et non « exceptionnellement » ou « sur une base temporaire » ; en d’autres termes, l’activité exercée su chacun doit être significative (‘van betekenis’).
  • Dès lors que l’activité n’est exercée que sur le territoire d’un Etat, la disposition ne trouve pas à s’appliquer.

Les textes des règlements énoncent en effet les règles suivantes : sous réserve des articles 12 à 16 (relatifs essentiellement au détachement, ainsi qu’à l’activité exercée sur le territoire de plusieurs Etats), la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre (art. 11, paragraphe 3, a) du Règlement 883/2004) ; la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise, si elle n’exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l’État membre de résidence, à la législation de l’État membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur a son siège social ou son siège d’exploitation (art. 13, paragraphe 1er , b) du même texte) ; aux fins de l’application de l’article 13, paragraphe 1er, une personne qui « exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres » désigne en particulier une personne qui exerce en permanence des activités alternantes, à condition qu’il ne s’agisse pas d’activités marginales, dans deux États membres ou plus, quelles que soient la fréquence ou la régularité de l’alternance (art. 14, al. 5, b) du Règlement 987/2009 - version en vigueur entre le 1er mai 2010 et le 27 juin 2012, avant sa modification par le Règlement 465/2012).

Il appartient en conséquence au juge du fond de décider souverainement en fait si l’activité exercée l’est de manière significative ou marginale.

En l’espèce, pour les motifs qu’il a dégagés, l’arrêt de fond a dit pour droit que pour les 26 travailleurs en cause, il n’y a pas d’éléments établissant l’exercice d’activités sur le territoire de plusieurs Etats membres conformément aux critères ci-dessus (les deux règlements). Ils doivent donc être assujettis à la sécurité sociale belge.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de cassation a repris les critères du Règlement 987/2009 avant sa modification par le règlement 465/2012 entré en vigueur le 27 juin 2012.

Les règles actuelles sont reprises à son article 14, qui contient des définitions relatives aux articles 12 et 13 du règlement de base. Celui-ci précise différents concepts, à savoir :

  • la personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache dans un autre État membre
  • les termes « y exerçant normalement ses activités » ainsi que « qui exerce normalement une activité non salariée »,
  • le critère pour déterminer si l’activité que peut effectuer un travailleur non salarié dans un autre État membre est « semblable » à l’activité non salariée normalement exercée,
  • la notion de personne qui « exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres »,
  • la notion de « siège social ou siège d’exploitation »,
  • la personne qui « exerce normalement une activité non salariée dans deux ou plusieurs États membres ».

Il ajoute que la durée de l’activité exercée dans un ou plusieurs États membres (qu’elle soit de nature permanente ou ponctuelle et temporaire) est un facteur déterminant.

Ajoutons encore qu’est actuellement précisé ce qu’il faut entendre par « partie substantielle d’une activité salariée ou non salariée » exercée dans un État membre : ceci signifie qu’une part quantitativement importante de l’ensemble des activités du travailleur salarié ou non salarié y est exercée, sans qu’il s’agisse nécessairement de la majeure partie de ces activités. Pour déterminer si une partie substantielle des activités est exercée dans un État membre, il est tenu compte des critères indicatifs qui suivent :

a) dans le cas d’une activité salariée, le temps de travail et/ou la rémunération et
b) dans le cas d’une activité non salariée, le chiffre d’affaires, le temps de travail, le nombre de services prestés et/ou le revenu.

Dans le cadre d’une évaluation globale, la réunion de moins de 25 % des critères précités indiquera qu’une partie substantielle des activités n’est pas exercée dans l’État membre concerné.

Enfin, pour l’application de l’article 13, paragraphe 2, point b), du règlement de base, le « centre d’intérêt » des activités d’un travailleur non salarié est déterminé en prenant en compte l’ensemble des éléments qui composent ses activités professionnelles, notamment le lieu où se trouve le siège fixe et permanent des activités de l’intéressé, le caractère habituel ou la durée des activités exercées, le nombre de services prestés ainsi que la volonté de l’intéressé telle qu’elle ressort de toutes les circonstances.


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