Terralaboris asbl

Incidence de l’inertie du chômeur à diligenter la procédure contre l’employeur sur le droit aux allocations de chômage perçues à titre provisionnel

Commentaire de C. trav. Mons, 16 mars 2006, R.G. 20.077

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Mons, 16 mars 2006, R.G. 20.077

Terra Laboris asbl – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 16 mars 2006, la cour du travail de Mons se prononce sur le cas d’un chômeur qui, ayant obtenu les allocations de chômage à titre provisionnel en raison du non paiement par l’employeur de l’indemnité de rupture, ne diligente pas l’action introduite contre ce dernier. La cour estime que, dans ce cas de figure, le travailleur ne peut conserver les allocations de chômage perçues et doit les rembourser à l’ONEm.

Les faits

Un travailleur est licencié pour motif grave en date du 19 novembre 1980.

Lors de sa demande de chômage, il sollicite le bénéfice des allocations de chômage, et ce à titre provisionnel pour la période pour laquelle il aurait droit à une indemnité de congé.

Il introduit, par ailleurs, dans l’année de la rupture du contrat de travail, une procédure devant le Tribunal du travail pour contester le motif grave. Cette procédure ne connaît cependant aucun développement, de sorte qu’elle finit par être omise du rôle d’office.

Ultérieurement, l’intéressé est convoqué par l’ONEm, qui estime qu’il n’a pas fait valoir valablement ses droits à l’indemnité de rupture. Quoique le travailleur ait effectivement introduit une procédure dans le délai annal de la rupture du contrat de travail, l’ONEm prend une décision en date du 30 mai 1995, ordonnant le remboursement des allocations de chômage perçues en novembre et décembre 1980 (la période couverte par l’indemnité de rupture non payée par l’employeur, qui couvrait la période du 20 novembre 1980 au 17 décembre 1980).

Le travailleur conteste cette décision auprès du tribunal du travail de Mons.

La décision du tribunal

Se basant sur la « ratio legis » de l’article 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, le tribunal estime que le travailleur ne doit pas se désintéresser de son action, son inertie ne pouvant avoir pour effet de mettre à charge de la collectivité une indemnisation qui incombe en réalité à l’employeur.

Constatant que le chômeur concerné n’a pas diligenté son action, laquelle est pendante depuis plus de 16 ans, le tribunal confirme la décision administrative querellée, se basant notamment sur le fait que, lorsque le travailleur omet de mettre son affaire en état, il méconnaît l’obligation d’exécuter de bonne foi l’engagement contracté auprès de l’ONEm de réclamer auprès de son employeur l’indemnité de rupture.

Position des parties

Dans le cadre de l’appel interjeté par le travailleur, celui-ci argue qu’il a utilement fait valoir ses droits à l’indemnité de rupture et qu’il ne pourrait être tenu responsable de la durée de la procédure.

A titre subsidiaire, il conteste le montant de l’indu, au motif qu’il n’aurait pas perçu les allocations de chômage pendant la période concernée.

L’ONEm sollicita quant à lui la confirmation intégrale du jugement déféré, rappelant, par ailleurs que, depuis la citation introductive d’instance signifiée à l’initiative du travailleur, l’affaire est restée au rôle et a d’ailleurs été omise d’office. Selon l’ONEm, le travailleur ayant manqué à son obligation de diligence, la décision administrative le condamnant à payer un indu serait dès lors fondée.

Position de la cour

La cour tranche le litige au regard de l’article 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 « en sa mouture applicable à l’époque du litige ». Il résulte du texte repris dans le corps de l’arrêt qu’il s’agit de la version actuelle de l’article 47 de l’arrêté royal précité.

Relevant que cette disposition ne prévoit l’exclusion du bénéfice des allocations de chômage qu’en cas d’absence d’intentement de l’action en justice dans le délai de prescription, la cour s’en réfère néanmoins aux travaux préparatoires, qui indiquent que le travailleur ne doit en aucun cas se désintéresser de l’action introduite.

Quoique reconnaissant que l’interprétation donnée par les travaux préparatoires ne ressort pas explicitement du texte de la disposition, la cour estime qu’elle doit être retenue, le travailleur ayant l’obligation de faire le nécessaire pour que les juridictions du travail puissent statuer sur ses prétentions à l’indemnité de rupture.

Après avoir relevé que le travailleur n’a rien fait de tel et estimant qu’il porte seul la responsabilité de cette inertie, la cour confirme le jugement déféré.

Elle souligne par ailleurs que l’écoulement du temps, en l’espèce plus de 25 années, ne peut avoir pour effet de conférer aux allocations de chômage perçues un caractère définitif.

Sur le montant de l’indu, la cour rouvre les débats, vu la contestation existant entre les parties quant à la période exacte d’indemnisation.

Importance de la décision

Une première remarque s’impose, étant le fondement sur lequel la cour du travail se prononce. Celle-ci précise en effet qu’il s’agit de l’article 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 « en sa mouture applicable à l’époque du litige ». Or, l’introduction dans la réglementation chômage de la possibilité d’obtenir des allocations provisionnelles en cas de non paiement ou de non reconnaissance par l’employeur du droit à une indemnité de rupture n’a été introduite que par la loi du 30 décembre 1988, entrée en vigueur le 1er janvier 1989 (cette loi a en effet intégré un paragraphe 12 à l’article 7 de l’arrêté loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs).

Aussi, il est curieux que la cour, qui statuait sur des allocations provisionnelles accordées en 1980, se fonde sur une disposition inexistante à cette époque.

En tout état de cause, la décision est néanmoins surprenante si l’on se réfère au texte de l’article 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. L’on sait en effet que la réglementation chômage est une réglementation d’ordre public, qui doit dès lors s’interpréter d’une manière restrictive.

L’article 47 précité ne prévoit qu’un seul cas dans lequel le travailleur peut être exclu du bénéfice des allocations pour la période couverte par le préavis. Il s’agit du cas visé par l’aliéna 2 de l’article 47, étant celui où le travailleur n’introduit pas une action dans l’année dans la cessation de son contrat de travail. Le texte n’envisage ainsi en aucune manière le cas du travailleur qui a régulièrement introduit la procédure dans l’année de la fin de son contrat de travail mais qui n’a pas diligenté celle-ci.

En confirmant une décision d’exclusion du bénéfice des allocations de chômage sur la base d’une condition inexistante de l’article 47, la cour donne une portée extensive à cette disposition, ce qui semble contraire au caractère d’ordre public de la réglementation.

Ainsi, si l’on peut suivre la cour du travail sur le fond (la collectivité n’a pas à assurer une indemnisation qui revient en principe à l’employeur), il n’en demeure pas moins que la réglementation de chômage ne prévoit pas de cas d’exclusion dans l’hypothèse envisagée par l’arrêt.


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