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Soins médicaux à l’étranger : conditions de prise en charge en AMI

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Arlon), 10 janvier 2017, R.G. 16/92/A

Mis en ligne le jeudi 31 août 2017


Tribunal du travail de Liège, division Arlon, 10 janvier 2017, R.G. 16/92/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 10 janvier 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Arlon), reprenant la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne sur le droit à l’accessibilité suffisante et permanente de soins de santé de qualité, examine les obligations des mutualités lorsqu’elles sont saisies d’une demande de soins dans un pays voisin, où des infrastructures médicales plus performantes et adaptées sont disponibles.

Les faits

Une assurée sociale, domiciliée en France mais ayant toujours travaillé en Belgique, demande à sa mutuelle un document S1, afin de prendre en charge des soins médicaux en France. Elle est en ordre de couverture sociale pour les soins délivrés en Belgique.

Elle se fait opérer en juin 2016 (problème intestinal) à l’hôpital d’Arlon, intervention dont les frais sont pris en charge par son organisme assureur AMI.

Lui est par ailleurs prescrit un examen Pet-scan, pour lequel elle prend rendez-vous au Centre hospitalier de Luxembourg (CHL). La pathologie dont l’intéressée souffre est grave (cancer) et il est alors demandé l’accord au médecin de la mutuelle de prendre ces soins en charge. Cette demande est faite dans le cadre de l’accord « des petites frontières ». La date du rendez-vous est précisée. Cette demande est introduite 10 jours auparavant (alors qu’elle aurait pu l’être quelques jours plus tôt, mais les bureaux étaient fermés pendant les fêtes de fin d’année). Malgré la diligence de l’assurée sociale dans la transmission de la demande, celle-ci ne sera soumise au médecin-conseil que 3 semaines plus tard environ, étant après le rendez-vous en cause. L’intéressée subit les soins tels que prévus et acquitte la facture, de 857 euros.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Arlon) suite au refus de la mutuelle de prendre en charge le coût de cette imagerie médicale. La position de l’organisme assureur AMI est que l’accord doit être préalable à l’examen et, comme le pays de résidence est la France, la demande devait d’abord être introduite en France.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle en premier lieu le cadre juridique, le principe de la territorialité des prestations de soins de santé étant prévu à l’article 136, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Des prestations peuvent cependant être couvertes si elles sont fournies en-dehors du territoire national, dans les conditions prévues par l’article 294 de l’arrêté royal d’exécution du 3 juillet 1996.

Le tribunal reprend longuement cette disposition, qui va régler les conditions de prise en charge, et ce dans l’hypothèse de prestations de santé programmées dans un autre Etat, pour lesquelles le médecin-conseil a accordé une autorisation préalable. Dans ces cas (visés au 14° de la disposition), l’autorisation préalable du médecin-conseil de la mutuelle est également requise, dans l’hypothèse de prestations de santé qui rentrent dans trois types d’hypothèse. Le tribunal souligne le a) du 14°, étant que l’autorisation préalable est requise si les prestations de santé font partie d’une politique de programmation qui vise à garantir un accès suffisant et permanent à une offre équilibrée de traitements de haute qualité en Belgique ou qui s’appuie sur la volonté de maîtriser les coûts et d’éviter, dans toute la mesure du possible, tout gaspillage de ressources financières, techniques et humaines, et (i) qui requiert une hospitalisation d’une nuit au minimum ou (ii) l’utilisation des infrastructures ou des équipements médicaux hautement spécialisés et onéreux.

D’autres hypothèses sont prévues, étant s’il y a un risque particulier pour le patient ou la population ou si les prestations sont dispensées par un dispensateur de soins qui pourrait susciter des inquiétudes graves ou spécifiques sur la qualité et la sécurité des soins (à l’exception des soins qui relèvent de la législation de l’Union, qui garantit un niveau de sécurité et de qualité minimal sur tout le territoire de celle-ci).

L’autorisation préalable ne peut pas être refusée si le traitement ne peut être dispensé dans un délai qui, vu l’état de santé du bénéficiaire à ce moment-là, ses antécédents et l’évolution probable de sa maladie, est médicalement acceptable lorsque la demande d’autorisation préalable est introduite ou réintroduite. La disposition prévoit encore les hypothèses de refus. Le tribunal insiste particulièrement sur les éléments à prendre en compte par le médecin-conseil lors de l’examen de la demande, étant (i) l’état de santé spécifique du bénéficiaire et (ii) l’urgence ainsi que (iii) les circonstances individuelles.

Il y a lieu, pour celui-ci, de réagir dans les 45 jours civils à la demande introduite et d’en informer l’assuré par écrit.

Renvoyant à l’arrêt GERAETS de la Cour de Justice de l’Union européenne (C.J.U.E., 13 juillet 2000, n° C-157/99), le tribunal rappelle la ratio legis de l’exigence posée, qui est double : il s’agit de garantir sur le territoire de l’Etat concerné une accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de soins hospitaliers de qualité et, d’autre part, d’assurer une maîtrise des coûts et d’éviter tant que faire se peut tout gaspillage de ressources, qu’elles soient financières, techniques ou humaines. Les critères retenus par la Cour de Justice dans l’appréciation des conditions requises vont du nombre d’infrastructures hospitalières, de leur répartition géographique à leurs aménagements et aux équipements dont elles doivent être pourvues, ainsi qu’à la nature des services médicaux devant faire l’objet de la planification. Il s’agit d’une mesure nécessaire et raisonnable, qui ne peut être comprise comme une restriction non autorisée à la libre circulation des services.

Dans un arrêt ultérieur du 13 mai 2003 (C.J.U.E., 13 mai 2003, n° C-385/99, MÜLLER-FAURE), la Cour de Justice a insisté sur la nécessité que la procédure soit aisément accessible et propre à garantir aux intéressés le traitement objectif et impartial de leur demande, vu d’ailleurs la possibilité de contester en justice d’éventuels refus d’autorisation.

Le tribunal renvoie encore à l’arrêt du 16 mai 2006 (C.J.U.E., 16 mai 2006, n° C-372/04, WATTS), sur l’évaluation du délai acceptable eu égard aux circonstances caractérisant la situation et les besoins de l’intéressé. Dans cet arrêt, la Cour de Justice a rejeté que les listes d’attente puissent constituer un motif valable de refus d’autorisation ainsi que l’ordre normal des priorités liées aux degrés d’urgence respectifs de chaque cas.

Après ce rappel, le tribunal examine en l’espèce le contexte de la demande. Il souligne qu’il est « de notoriété publique » que l’hôpital d’Arlon ne dispose pas de Pet-scan et que l’offre en France à la frontière est encore plus démunie. La demande d’autorisation devait dès lors être introduite et, pour le tribunal, soit auprès de l’assureur belge, soit auprès du français. Il relève que la mutuelle a mis plus de 17 jours pour soumettre la demande d’intervention à son médecin-conseil alors que l’intéressée avait dûment insisté sur la proximité de la date d’examen.

Le tribunal constate que la mutuelle n’a pas respecté les obligations de la Charte de l’assuré social, étant d’abord d’accuser réception de la demande et, ensuite, de rappeler à la demanderesse que l’autorisation devait être accordée avant de procéder à l’examen.

Le délai de 45 jours prévu pour donner cette information doit être adapté, selon le tribunal, en cas de soins urgents, situation que la mutuelle ne pouvait ignorer, s’agissant d’un problème de tumeur grave. Le jugement rappelle que, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice, les organismes assureurs doivent s’organiser pour accorder les autorisations rapidement en fonction des degrés d’urgence des examens sollicités. Les problèmes plus circonstanciels (spécificités régionales) doivent également être pris en compte. La réalisation de l’examen à Luxembourg ne peut être considérée, enfin, comme disproportionnée par rapport au but poursuivi par la législation.

Le tribunal du travail considère dès lors que l’autorisation aurait dû être délivrée et qu’il y a faute dans le chef de l’organisme assureur, la faute devant être réparée par équivalent.

Intérêt de la décision

C’est, comme le rappelle le jugement, la jurisprudence de la Cour de Justice qui a balisé les principes sur la question débattue.

Le jugement apporte une pierre supplémentaire à l’édifice, étant qu’il énonce en des termes exprès qu’il appartient, en vertu de cette jurisprudence, aux organismes assureurs d’adapter le délai de 45 jours de la Charte, s’agissant de soins urgents et qu’ils sont tenus de s’organiser pour accorder les autorisations rapidement en fonction des degrés d’urgence desdits examens.

L’on relève encore sur la question un jugement du Tribunal du travail de Liège (division de Huy) du 16 décembre 2016 (R.G. 16/20/A), dans lequel le tribunal a statué sur une question d’intervention chirurgicale pratiquée à Lille, le médecin qui avait recommandé cette intervention, professeur en neurochirurgie à l’hôpital Erasme, ayant exposé qu’il s’agissait d’une prise en charge chirurgicale extrêmement délicate et qui ne pouvait être pratiquée en Belgique.

Le tribunal du travail avait rappelé les mêmes dispositions et renvoyé à la même jurisprudence de la Cour de Justice. La demande d’intervention avait, dans ce cas d’espèce, été effectuée a posteriori, et ce par l’assistante sociale du CHU. Le tribunal ayant admis la force majeure invoquée par l’intéressée (celle-ci signalant qu’elle n’avait pas été en mesure, au regard des circonstances antérieures à son hospitalisation, d’effectuer une demande d’intervention préalable), le tribunal conclut que, à la lecture du rapport médical du professeur, l’autorisation d’être opérée à l’étranger lui aurait été donnée si elle avait été sollicitée au préalable, ne s’agissant pas d’une « quelconque opération de confort ou prévue à l’avance », mais d’une intervention destinée à contrecarrer en urgence les conséquences d’un acte chirurgical effectué précédemment et ayant entraîné une paralysie.


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