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Action en cessation de harcèlement : prudence

Commentaire de Prés. Trib. trav. Liège, 3 mai 2017 2017, R.F. 16/12/C

Mis en ligne le vendredi 28 juillet 2017


Prés. Trib. trav. Liège, 3 mai 2017 2017, R.F. 16/12/C

Terra Laboris

Par ordonnance du 3 mai 2017, le Président du Tribunal du travail de Liège rappelle qu’est exigée la preuve de faits de harcèlement ou de violence pour que la procédure en cessation puisse aboutir et que celle-ci ne peut servir à mettre un terme à une situation professionnelle tendue.

Les faits

Une requête est introduite devant le Président du Tribunal du travail de Liège, en septembre 2016, demandant de constater l’existence de faits de harcèlement au travail et d’en ordonner la cessation, tant à l’entreprise, à son directeur général, qu’à son directeur commercial. La demande tend également à imposer à ces derniers de respecter leurs obligations en la matière et, plus particulièrement, de cesser le comportement intimidant et harcelant adopté, ainsi que de mettre en place l’ensemble de conditions d’exécution de l’activité professionnelle du demandeur pour compte de la société de façon à ce qu’elles soient respectueuses de sa dignité et de son intégrité psychique.

Elle demande la condamnation à une astreinte à défaut pour les parties défenderesses de satisfaire à la condamnation principale.

Le contexte dans lequel la demande est introduite fait apparaître que la société, qualifiée de « fleuron industriel » dans sa région, a introduit une demande de P.R.J. par transfert d’entreprise. Les faits à la base de l’action introduite se sont produits dans ce contexte qualifié de « tendu ». L’intéressé, technico-commercial au service de la société depuis plus de 14 ans, fait observer qu’il avait contesté des modifications unilatérales à son contrat de travail dès l’année 2011 (conditions de travail et avantages financiers) et que, suite à une action qu’il avait introduite à cet égard, une convention transactionnelle fut signée, le désistement étant par ailleurs décrété dans un jugement du 15 novembre 2015.

Pour le demandeur, ceci a néanmoins entraîné une forte dégradation dans les relations de travail, et ce depuis le début de l’année 2016, la société lui faisant, en mai, grief d’un chiffre de vente très bas. Son secteur étant modifié, vu l’engagement d’un nouveau délégué, des discussions intervinrent eu égard à l’incidence de ce recrutement sur la partie variable de sa rémunération. L’intéressé fut alors placé régulièrement en chômage temporaire (chômage économique). Il tomba ensuite en incapacité de travail entre la fin mai 2016 et la mi-mars 2017, date à laquelle il reprit le travail. La mission qui lui fut alors confiée porte sur la prospection exclusive de bureaux d’études et d’architectes.

L’action est alors introduite.

La décision du Président siégeant en référé

Le Président statue d’abord sur l’exigence d’urgence, soulignant que la procédure n’est pas un référé au sens habituel du terme. Il relève par ailleurs que, depuis la réforme législative de 2014, l’objectif est de privilégier les procédures internes, mais qu’aucune barrière n’a été posée afin d’empêcher l’introduction d’actions en cessation pour harcèlement moral sur pied de l’article 587bis du Code judiciaire et de l’article 32decies, §§ 2 et 3, de la loi du 4 août 1996. Le § 1er de cette disposition a été modifié, mais le texte actuel n’entraîne pas l’irrecevabilité de la demande.

Le Président en vient ensuite au fondement de l’action, reprenant l’évolution du concept de harcèlement au travail. Il renvoie aux obligations de l’employeur, en droit français d’abord (qui retient que l’obligation de sécurité est une obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et que l’employeur manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu du travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel, ou encore de violences physiques ou morales exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures afin de faire cesser ceux-ci).

Il examine également les obligations patronales dans le cadre de la loi du 4 août 1996 telles qu’explicitées par la Cour de cassation (sur le plan de la preuve des motifs de licenciement étrangers à la plainte) et les juridictions de fond, sur la notion de harcèlement elle-même, étant renvoyé ici à plusieurs décisions de la Cour du travail de Liège. Celle-ci a en effet fait la distinction entre l’exercice de l’autorité et du pouvoir disciplinaire – exercice ressenti éventuellement de manière blessante, insultante ou humiliante par le travailleur – et l’exercice abusif. Ceci permet de faire la distinction avec les conflits et hyper-conflits, ou encore avec des tensions ou une ambiance de travail « détestable ».

En l’espèce, cependant, si des difficultés relationnelles sont allées crescendo pendant de nombreux mois, il faut constater que l’objet de la demande n’est pas des plus clairs, selon l’ordonnance, quant à l’identification de ce qui devrait cesser. Dans ce contexte professionnel dégradé, l’intéressé a exercé son droit de critique de façon assez normale, son expérience et ses compétences étant réelles, mais il lui est rappelé que les décisions finales, économiques et stratégiques appartiennent à la société. Pour le Président du tribunal, le dossier révèle plutôt l’exercice normal du pouvoir d’autorité de l’employeur, ainsi que l’exercice non excessif de son ius variandi.

Le travailleur n’avait par ailleurs pas déposé de plainte formelle auprès du conseiller en prévention avant l’introduction de l’action (mais en cours de celle-ci). Le rapport du conseiller en prévention psychosocial est déposé et celui-ci conclut que l’intéressé aurait essentiellement cherché à bénéficier d’une protection et non à échapper à un quelconque harcèlement. Pour le conseiller en prévention, il y a des reproches légitimes de la part de l’employeur, qui constituent l’exercice normal des pouvoirs et devoirs de ce dernier. Il souligne encore que, si la procédure interne avait été suivie, l’intéressé aurait été informé de la chose.

Le travailleur contestant – mais de façon non étayée – ces conclusions, le Président poursuit que l’on n’est pas en présence d’un ensemble abusif de plusieurs conduites similaires ou différentes internes à l’entreprise qui se seraient produites pendant un certain temps et qui auraient eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à l’intéressé dans sa personnalité, sa dignité ou son intégrité, ou encore de mettre en péril son emploi ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant (que ce soit en paroles, intimidations, actes, gestes ou écrits unilatéraux). L’action en cessation est dès lors non fondée, vu l’absence de faits qui pourraient être considérés comme constitutifs des comportements prohibés.

Il est encore statué sur les dépens, le demandeur étant considéré comme ayant agi de façon assez maladroite sans utiliser la voie interne et en instrumentalisant d’une certaine façon le pouvoir judiciaire. L’indemnité de procédure de base est ainsi augmentée pour être portée à un montant moyen et raisonnable de 3.000 euros. Celui-ci représente le quart de l’indemnité maximale et un peu plus du double du montant de base.

Intérêt de la décision

Cette ordonnance rappelle une fois encore le risque couru par un demandeur en justice qui tenterait de faire régler par la voie de l’action en cessation d’actes de harcèlement ou de violence des difficultés dans les relations contractuelles liées à des facteurs professionnels divers (évolution du marché, évolution de la fonction, engagement d’autres membres du personnel, tensions dans les relations, etc.). Comme judicieusement relevé par l’ordonnance, ce n’est pas l’exercice de l’autorité de l’employeur – même ressenti comme déplaisant, voire humiliant – qui peut être considéré comme un fait de harcèlement, mais un ensemble de comportements abusifs dans le cadre de celui-ci.

En l’espèce, rien en ce sens n’est produit, d’où la conclusion logique du débouté de la demande.

L’ordonnance insiste par ailleurs sur l’intérêt de la procédure interne, qui permet de mieux cerner les chances de succès de la procédure judiciaire et – surtout – de tenter de trouver une voie par la médiation ou par d’autres modes de règlement des conflits.


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