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Contrôle judiciaire de la portée d’une convention : rappel des règles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 février 2017, R.G. 2014/AB/725

Mis en ligne le jeudi 13 juillet 2017


Cour du travail de Bruxelles, 8 février 2017, R.G. 2014/AB/725

Terra Laboris

Dans un arrêt rendu le 8 février 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, à l’occasion d’un litige relatif au montant que l’employeur s’est engagé à payer au titre de complément aux allocations de chômage dans le cadre d’une prépension, que dans l’examen de la portée d’une convention, le juge peut tenir compte non seulement des éléments intrinsèques de celle-ci mais également d’autres, qualifiés d’extrinsèques, qui peuvent avoir déterminé le consentement d’une des parties.

Les faits

Une société décide de procéder à un licenciement collectif. Un accord social est négocié et deux conventions collectives sont conclues. L’une concerne la « prépension employés ». Elle octroie une indemnité complémentaire de prépension de 85% de la différence entre l’allocation de chômage et la rémunération mensuelle nette de référence. Un supplément est également accordé pendant une période donnée, qui est fonction de l’ancienneté. La rémunération mensuelle nette de référence est définie comme celle du dernier mois de service, dont sont retirées les cotisations de sécurité sociale ainsi que le précompte professionnel. Un plafond est prévu pour le total des allocations de chômage et de l’indemnité patronale (indemnité complémentaire et complément supplémentaire mensuelle). Dans le cadre de cette procédure, la société demande à la commission paritaire la reconnaissance de l’existence de motifs économiques et techniques. La procédure est alors poursuivie en vue de bénéficier de la prépension (entretien individuel préalable au licenciement – conformément à la C.C.T. n° 17). Des estimations sont alors données au personnel en ce qui concerne le calcul de la prépension, en brut et en net.

Un travailleur, non repris parmi les membres du personnel visés par le licenciement collectif, poursuit ses prestations normalement et, étant représentant du personnel, il continue à exercer son mandat.

L’année suivante, se pose la question de la nécessité de licencier un membre du service où il est occupé et, dans la mesure où il entre dans les conditions de la prépension, la procédure interne s’engage en vue d’organiser son départ. Il reçoit une estimation de l’intervention de l’employeur. Un document détaillé lui est donné, reprenant le brut, l’imposable et le net estimé. Le document vise, au titre de précompte professionnel sur l’indemnité de prépension, une retenue de 10,09%. Il en découle que l’intéressé bénéficierait, dans un premier temps, d’un net estimé d’indemnité de prépension de l’ordre de 2.700 euros et, ultérieurement, de 870 euros.

Une convention est établie, reprenant les montants bruts.

Après avoir renoncé à l’ensemble de ses mandats, l’intéressé démissionne de ceux-ci et il est licencié. Le jour du licenciement, la convention de prépension est signée. Elle se réfère au régime mis en place dans le cadre du licenciement collectif.

Lorsque l’intéressé constate le montant du net correspondant au brut convenu, il s’avère que celui-ci n’est pas conforme à ce qui avait été annoncé, le net étant inférieur d’environ 1.300 euros par mois à l’estimation faite.

Des contacts sont pris avec la société par son conseil, qui réclame le net annoncé et met la société en demeure de verser celui-ci. Pour celle-ci, seul le brut est repris dans la convention elle-même.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Nivelles, dans laquelle l’intéressé réclame les arriérés en net au jour de la citation, et ce au titre de préjudice subi. Pour l’avenir, il demande que le net lui-même soit versé.

Le Tribunal du travail de Nivelles va faire droit à sa demande sur ces postes (une demande d’indemnité spéciale de protection ayant également été introduite et n’ayant pas été retenue).

La position des parties devant la cour

La société demande à la cour de considérer les demandes non fondées, étant le principal réclamé ainsi que les intérêts capitalisés (qui ont été accordés par le tribunal).

Le travailleur, pour sa part, demande l’exécution de la convention-transaction convenue, ajustant les montants dus. A titre subsidiaire, il fait valoir une faute dans le chef de la société, faute commise à l’occasion des pourparlers.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu la portée de l’accord.

Elle rappelle la doctrine du Pr VAN OMMESLAGHE (P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, Bruylant, 2010, Tome I, p. 597, n° 391), selon laquelle le juge peut, lorsqu’il doit déterminer la portée d’une convention, tenir compte non seulement des éléments intrinsèques de celle-ci, mais aussi d’éléments extrinsèques, et avoir égard à la période préparatoire à la conclusion, aux avant-contrats, aux documents intermédiaires, aux propositions faites, etc.

En l’espèce, le régime de prépension est plus favorable que celui de la C.C.T. n° 17. Si le montant des indemnités n’est pas prévu dans le texte lui-même, il est fait référence à la convention collective de prépension des employés. Aucun montant précis ne figure mais il y a une formule de calcul. Renvoyant à une autre affaire jugée par la même juridiction (autrement composée), la cour conclut que l’accord des parties a porté sur les montants nets estimés. Le terme « estimation » correspond à un calcul précis tant pour le brut que pour le net. La cour insiste encore sur le fait que la société ne pouvait ignorer le caractère essentiel des montants nets découlant de la proposition faite à l’employé, et ce d’autant qu’elle a communiqué ces montants nets eux-mêmes, chose qui a emporté son consentement.

Même si la convention de prépension conclue avec lui ne mentionne pas des montants nets, son texte n’est pas incompatible avec ce qui est repris dans le document remis dans le cadre des premiers contacts.

La cour rencontre encore des arguments circonstanciels invoqués par la société, notamment le fait que le précompte professionnel de 10,09% était le fruit d’une erreur. Dans la mesure où celle-ci n’a pas été portée à la connaissance de l’intéressé avant qu’il ne signe la convention en cause, la clause de renonciation qu’elle contient, faisant référence au fait que les parties ont été « bien informées de tous les éléments de fait et de droit », ne peut valoir. En conséquence, les montants nets repris dans le document préparatoire font partie de l’accord et la cour confirme le jugement, sous réserve qu’ils sont dus au titre d’indemnité de prépension et non de dommages et intérêts et qu’il y a lieu de tenir compte des paiements déjà intervenus.

Intérêt de la décision

La cour rappelle dans cet arrêt des principes importants, portant sur l’étendue du contrôle du juge quant à la détermination de la portée d’une convention. Interviennent en effet non seulement des éléments intrinsèques, c’est-à-dire le contenu de l’acte, mais également d’autres, qualifiés d’extrinsèques.

Le Pr VAN OMMESLAGHE – dont la doctrine est citée dans l’arrêt – avait à cet égard bien souligné que le juge peut ainsi avoir égard « (…) à la période préparatoire à la conclusion de la convention, aux avant-contrats, aux documents intermédiaires, aux propositions faites ou éventuellement repoussées, aux notes prises par les parties, aux lettres échangées pendant cette période, à la manière dont les parties ont exécuté antérieurement d’autres contrats similaires… ». L’importance de cette prise en compte n’échappera pas, dans la mesure où les faits de l’espèce confirment que l’employé a donné son accord eu égard aux discussions intervenues antérieurement.

La cour, qui renvoie également à une autre décision rendue sur la question, reprend la définition du terme « estimation », étant, dans le langage commun, qu’il s’agit de l’action de déterminer la valeur, le prix de quelque chose. L’estimation ne comporte pas nécessairement l’idée d’approximation.


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