Terralaboris asbl

Résolution judiciaire du contrat de travail : date d’effet

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Binche), 23 janvier 2017, R.G. 13/61/A

Mis en ligne le jeudi 13 juillet 2017


Tribunal du travail du Hainaut, division Binche, 23 janvier 2017, R.G. 13/61/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 23 janvier 2017, le Tribunal du travail du Hainaut (division Binche) rappelle qu’en matière de résolution judiciaire, le principe est de la fixer avec effet rétroactif, hypothèse qui ne peut être rencontrée dans le cadre d’un contrat de travail – sauf si celui-ci a été suspendu.

Les faits

Un sapeur-pompier introduit une demande devant le tribunal du travail en vue d’être réintégré dans ses fonctions auprès du service incendie d’une administration communale avec maintien de son grade et de son ancienneté, et ce avec astreinte. A titre subsidiaire, il a demandé que le Tribunal prononce la résolution judiciaire du contrat. D’autres chefs de demande sont également introduits.

L’intéressé a été engagé dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée successifs. Un contrat de travail à durée indéterminée a été signé en 2001. Il était affecté au service incendie de la Commune. Il a également été engagé en tant que pompier volontaire stagiaire et est ensuite devenu sapeur-pompier volontaire, et ce depuis avril 2000. Il a suivi des formations et obtenu des brevets.

C’est suite à un contrôle de l’O.N.S.S.A.P.L. (FAMIPEDIA) en 2010 qu’est pointée par cet office une série de situations irrégulières, étant que six membres du personnel A.P.E. exercent une activité de pompier professionnel. Pour l’O.N.S.S.A.P.L., c’est une incompatibilité légale vu l’arrêté royal du 6 mai 1971 fixant les types de règlements communaux relatifs à l’organisation des services communaux d’incendie. Selon le texte, il y a incompatibilité entre les fonctions de membre professionnel d’un service d’incendie et celles de membre volontaire du même service. Une régularisation de cotisations de sécurité sociale est demandée, l’Office signalant à la Commune qu’elle doit annuler les fonctions en tant que pompier volontaire.

Des décisions sont prises par le Conseil communal en vue de la réaffectation des membres concernés, l’intéressé se voyant affecter au service travaux.

Le conseil du travailleur conteste alors les mesures prises par l’administration et relève notamment qu’il y a modification d’un élément essentiel du contrat.

Un échange de correspondance s’ensuit avec la Ville, qui maintient son point de vue.

Suite à l’introduction infructueuse d’un recours devant le Conseil d’Etat (qui a rejeté la demande de suspension au motif qu’il s’agit d’une relation de travail contractuelle et qu’il est incompétent pour connaître du recours), une procédure est introduite devant le tribunal du travail en décembre 2012.

En janvier 2013, le Conseil d’Etat rejette de même, et pour les mêmes motifs, la requête en annulation.

Le jugement du tribunal du travail du 9 septembre 2015

Le tribunal a rendu un premier jugement le 9 septembre 2015, considérant que la demande de réintégration était irrecevable. Par contre, il a considéré que pouvait l’être celle en résolution judiciaire du contrat et a conclu à son fondement, prononçant cette résolution aux torts de la partie défenderesse. Il a cependant réservé à statuer sur la date à laquelle celle-ci doit prendre effet et sur les dommages et intérêts à allouer à l’intéressé.

Le jugement a également rencontré toute une série de points relatifs à des arriérés de rémunération et en a rejeté une partie au motif de prescription.

Il a rouvert les débats sur les questions non tranchées, étant la partie de la réclamation financière non prescrite.

La décision du tribunal du travail du 23 janvier 2017

Le tribunal doit statuer sur la résolution judiciaire, dans la mesure où n’est pas encore fixée la date à laquelle elle prendra effet. Est également posée la question des dommages et intérêts revenant au travailleur.

Le tribunal reprend dans un premier temps les principes en droit, principes déjà contenus dans le premier jugement rendu le 9 septembre 2015. Il s’agit en l’espèce de vérifier l’existence d’une inexécution suffisamment grave des obligations contractuelles (sans cependant qu’il y ait faute grave au sens de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978). La doctrine qui s’est penchée sur la matière (S. DELOOZ et X. VLIEGHE, « La résolution judiciaire », in Le droit du travail dans tous ses secteurs, CUP, Anthémis, 2008, pp. 225-226) a rappelé que la résolution judiciaire opère ex tunc, c’est-à-dire avec effet rétroactif. Dans l’hypothèse d’un contrat à prestations successives, elle opère ex nunc, c’est-à-dire sans effet rétroactif, dès lors que les obligations de faire ne peuvent être restituées. Il devrait s’agir, dès lors, du prononcé de la décision judiciaire qui ordonne la résolution, sauf s’il y a eu suspension du contrat pendant l’instance.

Le tribunal rappelle également la doctrine de M. DAVAGLE (M. DAVAGLE, « La résolution judiciaire du contrat de travail », Ors., 2008, p. 10), qui a énoncé qu’en l’espèce, s’agissant de dommages et intérêts, il n’y a pas équivalence avec l’indemnité de rupture, ceux-ci pouvant être évalués autrement et, parfois même, ex aequo et bono.

Le tribunal constate que la partie demanderesse sollicite la résolution à la date à laquelle la citation introductive d’instance a été signifiée, la partie défenderesse demandant par ailleurs de retenir celle à laquelle le demandeur est tombé en incapacité de travail, soit près d’un an auparavant. Il retient cette date, le contrat ayant été suspendu depuis celle-ci et rien ne s’opposant à conférer en l’occurrence un effet rétroactif à la résolution judiciaire.

Pour ce qui est des dommages et intérêts, le demandeur sollicite l’équivalent de 254 mois de rémunération, étant l’équivalent de ce qu’il aurait perçu jusqu’à l’âge de la pension. Le tribunal retient que rien ne permet de suivre cette position, l’intéressé étant contractuel. Il y a dès lors lieu de se référer à l’article 82 L.C.T. En l’espèce, il s’agit, il est vrai, d’un ouvrier, mais rien ne s’oppose, pour le tribunal, à ce que l’on retienne ex aequo et bono le mode d’évaluation suggéré par lui à titre subsidiaire, dans la mesure où il n’est pas concrètement contesté par l’employeur que l’on puisse procéder de la sorte. Les dommages et intérêts sont dès lors à calculer par référence à cet article 82. En ce qui concerne les montants, il y a une réouverture des débats.

A côté de ce chef de demande, figure encore une question d’arriérés de rémunération eu égard au non-respect de l’échelle barémique applicable. Vu l’insuffisance d’informations permettant de statuer en connaissance de cause, la réouverture des débats est également ordonnée sur ce poste, ainsi que sur une demande d’indemnité pour prestations de nuit et d’intervention les samedis, dimanches et jours fériés, ainsi que pour d’autres heures supplémentaires. Enfin, le tribunal alloue 1 euro provisionnel pour une régularisation correspondant à l’acquisition par l’intéressé d’un brevet, dans la mesure où ceci est prévu dans le règlement organique du service incendie de la Ville.

L’affaire n’est dès lors pas définitivement tranchée, mais elle devrait pouvoir l’être dans le cadre de la deuxième réouverture des débats ordonnée, s’agissant essentiellement de statuer sur les chiffres.

Intérêt de la décision

Ce jugement, qui concerne rendu l’occupation par un employeur public de personnel contractuel se distingue par deux aspects.

En premier lieu, il reprend le principe selon lequel, en matière de contrat avec prestations successives (ce qui est l’hypothèse du contrat de travail), les prestations accomplies ne sont pas restituables et, dès lors, le principe général qui veut que la résolution judiciaire opère ex tunc ne peut être appliqué, la résolution devant intervenir ex nunc, c’est-à-dire à la date du prononcé de la décision judiciaire. Une exception à cette règle est l’hypothèse de la suspension du contrat de travail, puisqu’elle n’a pas entraîné, pendant qu’elle était en cours, de prestations.

Par ailleurs, il n’échappera pas que, la rupture étant intervenue à une date antérieure au 1er janvier 2014 - ce qui entraîne l’application du système antérieur à la loi sur le statut unique - le travailleur a réclamé l’application de l’article 82 L.C.T. en tant que calcul de référence pour les dommages et intérêts consécutifs à la résolution judiciaire, et que le tribunal les a alloués, alors qu’il a le statut d’ouvrier.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be