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Prestations aux personnes handicapées : cumul avec une indemnisation en droit commun

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 10 janvier 2017, R.G. 15/1.038/A

Mis en ligne le vendredi 30 juin 2017


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 10 janvier 2017, R.G. 15/1.038/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 10 janvier 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) reprend, en les comparant, les postes d’indemnisation du dommage réparé en droit commun et l’objet des prestations allouées dans le secteur des personnes handicapées, afin de dégager les règles de cumul, la question se posant spécifiquement pour les efforts accrus.

Rétroactes

Le Tribunal du travail de Liège est saisi d’une question de plafond de revenus pour l’octroi d’une allocation de remplacement de revenus et d’une allocation d’intégration.

Il a rendu un premier jugement le 13 juillet 2016 et un deuxième le 10 janvier 2017, dans lequel il ne vide pas sa saisine, rouvrant les débats sur deux questions précises.

Le litige porte sur la question de la prise en compte d’une indemnisation perçue en droit commun, et ce dans le calcul des allocations aux personnes handicapées. Plus particulièrement, le point de litige concerne les efforts accrus.

La partie demanderesse considère que les postes litigieux de son indemnisation couvrent les efforts fournis par elle dans toutes les facettes de sa vie du fait des séquelles et des répercussions de celles-ci sur ses activités de toute nature (lucratives, ménagères, sportives, personnelles, etc.) et qu’il ne s’agit pas de revenus professionnels ou de revenus de remplacement. A titre subsidiaire, au cas où ceux-ci devraient être considérés comme non-cumulables avec l’allocation d’intégration, elle estime qu’ils ne le seraient en tout cas pas avec l’allocation de remplacement de revenus.

Pour le SPF, les efforts accrus indemnisent un préjudice économique et non moral.

Les décisions du tribunal

Le jugement du 13 juillet 2016

Le tribunal relève que le demandeur, à l’âge de 16 ans, a été victime d’un accident et qu’il a perçu, en plus d’une provision de 177.500 euros, une somme de 150.000 euros en dédommagement forfaitaire du préjudice matériel et moral. La convention transactionnelle porte donc sur un montant de l’ordre de 327.500 euros et celui-ci couvre de nombreux postes : outre divers types de frais exposés, un dommage moral temporaire, un dommage ménager temporaire, des efforts accrus temporaires, une aide de tiers, un quantum doloris, un préjudice scolaire, un préjudice esthétique, d’agrément, la perte d’une chance, un préjudice affectif, un préjudice moral passé, un préjudice moral futur, de même pour le préjudice ménager et les efforts accrus.

Pour le tribunal, il faut examiner le détail de cette indemnisation, dans la mesure où l’article 8bis de l’arrêté royal du 6 juillet 1987 impose la prise en compte de l’indemnisation de la perte de capacité de gain par le travail pour l’allocation de remplacement de revenus et de la perte d’autonomie pour l’allocation d’intégration.

Le tribunal souligne que la reconnaissance médicale d’une perte de capacité de gain des deux tiers dans ce secteur est indépendante de la cessation effective de l’activité (contrairement à la notion d’incapacité en A.M.I.), mais qu’elle est une condition d’octroi de l’allocation de remplacement.

Le tribunal reprend le tableau indicatif 2012 (DESMECHT-PAPART et alii – La Charte) pour ce qui est de la ventilation des dommages réparés. Ceux-ci couvrent la vie personnelle extra-professionnelle, les diverses activités ménagères et la vie professionnelle. A chacune de ces atteintes, correspond une incapacité qui sera qualifiée respectivement d’incapacité personnelle, d’incapacité ménagère et d’incapacité économique.

Il reprend, ensuite, l’ensemble des domaines de répercussion couverts par ces trois types d’incapacité et relève que le tableau réserve un sort particulier aux efforts accrus consentis par un étudiant, ceux-ci étant valorisés sur les mêmes bases que les efforts accrus effectués pour la reprise d’une activité professionnelle, par analogie. Ce poste vise le dommage dont souffre la victime en raison de l’usage plus intensif de son potentiel physique dans le but de maintenir sa capacité de travail antérieure. C’est la doctrine de B. DUBUISSON (B. DUBUISSON, Droit des obligations, délits et quasi-délits, Tome 3, UCL, 2000-2001, n° 599).

Il faut donc distinguer la perte de la capacité de travail et ses conséquences économiques, étant la perte de salaire et les efforts fournis pour maintenir la capacité de travail antérieure, ces efforts étant sans répercussion sur la capacité de travail amoindrie. Cette indemnisation d’efforts accrus compense l’énergie supplémentaire dépensée par la victime pour travailler comme elle le faisait auparavant. Ce poste est indemnisable tant dans le cadre de l’incapacité temporaire que de l’incapacité permanente. L’indemnisation de ceux-ci liée à la réduction de la capacité de gain relève donc du dommage matériel et non moral.

Le tribunal sollicite dès lors des parties qu’elles déterminent précisément et indépendamment des termes utilisés le dommage concrètement indemnisé, s’agissant en l’espèce d’un demandeur encore étudiant lors de l’accident et qui a été indemnisé dans le cadre temporaire et permanent.

Pour ce qui est de l’allocation d’intégration, il faut tenir compte du capital alloué pour l’aide de tiers, la question étant cependant discutée pour ce qui est du préjudice ménager. Le tribunal demande, en conséquence, les mêmes explications, eu égard aux conditions de l’allocation d’intégration.

Le jugement du 10 janvier 2017

Le tribunal, en possession du rapport d’expertise médicale amiable, constate qu’il ne connaît pas les montants précis retenus pour chaque poste utile à la solution du litige et que les éléments de l’indemnisation dans le cadre du droit commun ne sont pas de nature à vérifier si les conditions d’octroi des allocations sont rencontrées ou s’il y aurait un cumul éventuel.

Dans la mesure où l’incapacité permanente de travail, fixée à 30%, n’indemnise pas une perte de revenus (celle-ci étant inexistante) sur la base de la diminution de la valeur de l’intéressé sur le marché du travail, mais bien sur la base des efforts accrus qu’il doit et devra consentir pour développer sa capacité sur ce marché, quelles que soient la forme ou la dénomination de l’indemnisation, ce qui est indemnisé est économique, étant l’inaptitude totale ou partielle de la victime à exercer une activité lucrative, ainsi que sa compétitivité réduite sur le marché du travail.

La somme de 115.000 euros allouée pour « préjudice matériel au titre d’efforts accrus » n’est pas un dommage moral mais couvre la réduction de la capacité de travailler et de gagner sa vie. Il ne s’agit pas d’efforts consentis pour poursuivre des études, puisque le tribunal constate qu’elles ont été abandonnées. L’indemnisation des efforts accrus couvre donc bien la diminution de la capacité de gain.

Le tribunal note cependant que, la consolidation intervenant à l’âge de 19 ans, celle-ci est antérieure à la naissance du droit aux allocations aux personnes handicapées, qui ne peut intervenir qu’à partir de 21 ans. L’indemnisation du dommage temporaire ne peut être considérée comme entraînant un cumul possible avec une allocation avant la date de consolidation. Il rejette dès lors la prise en compte par le SPF de postes d’indemnisation de ce préjudice temporaire.

Revenant aux « efforts accrus », dont il a retenu qu’il s’agit d’une forme d’indemnisation de la réduction de capacité de gain qui ne peut se cumuler avec l’allocation de remplacement de revenus (celle-ci ayant le même objet), le tribunal considère que les revenus ne permettent pas, après conversion de ce capital, l’octroi d’une allocation de remplacement de revenus.

Pour ce qui est de l’allocation d’intégration, la question se pose de l’examen des conditions de l’aide de tiers allouée. Celle-ci peut couvrir le même dommage que celui visé à l’article 5ter de l’arrêté royal. Cette question ne sera cependant pas davantage examinée, puisqu’il est constaté que l’aide de tiers vise une période antérieure à la demande d’allocations. Il en va de même pour le préjudice ménager temporaire.

Quant au préjudice ménager permanent (de l’ordre de 19.000 euros), il couvre le même dommage que la réduction d’autonomie compensée par l’allocation d’intégration, à savoir l’incapacité de la victime à accomplir les tâches de la vie quotidienne économiquement évaluables. Il faut dès lors appliquer la règle anti-cumul.

Resterait à évaluer la possibilité d’allouer néanmoins une allocation d’intégration, après avoir procédé à la conversion du capital. Le tribunal souligne cependant, à ce point de son raisonnement, que, dans un arrêt du 19 octobre 2016 (C. trav. Gand, 19 octobre 2016, 2015/AG/329), la Cour d’appel de Gand a soulevé l’illégalité de l’article 8bis de l’arrêté royal, en ce qu’il instaure une règle de non-cumul pour une indemnité non-imposable (indemnité de droit commun pour l’aide de tiers), et considère que la question pourrait se poser de manière identique pour le préjudice ménager.

Sur ce point également, il ordonne la réouverture des débats.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement, le tribunal se livre à un long exercice de confrontation de postes d’indemnisation alloués en droit commun avec les conditions posées pour l’octroi des prestations aux personnes handicapées.

Les postes indemnisés en droit commun ont des libellés spécifiques et a priori non-transposables, même si, en fin de compte, ils peuvent couvrir les mêmes items.

C’est la réalité du dommage couvert qui doit être recherchée et le tribunal dégage en tout cas deux pistes très importantes, étant que l’indemnisation des efforts accrus couvre un dommage matériel et que le préjudice ménager vise le même dommage que celui compensé par l’allocation d’intégration, étant la réduction d’autonomie.

L’exercice n’a pas été fait par rapport aux postes couvrant l’incapacité temporaire, mais uniquement l’incapacité permanente. Rien n’interdirait, cependant, de raisonner par analogie pour celle-ci.


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