Terralaboris asbl

Prestations familiales garanties : condition de séjour

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 janvier 2017, R.G. 2015/AB/867

Mis en ligne le vendredi 30 juin 2017


Cour du travail de Bruxelles, 12 janvier 2017, R.G. 2015/AB/867

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 janvier 2017, la Cour du travail de Bruxelles confirme une jurisprudence majoritaire selon laquelle les prestations familiales garanties ne peuvent être octroyées aux étrangers qui sont détenteurs d’une seule attestation d’immatriculation et ne sont, dès lors, pas admis ou autorisés au séjour au sens de la loi du 20 juillet 1971.

Les faits

Deux demandeurs d’asile, séjournant pendant la procédure dans un centre d’accuei, font une demande d’autorisation de séjour, celle-ci étant basée sur l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. La demande est déclarée recevable en novembre 2011. Cette décision entraîne la régularité du séjour dans l’attente de l’examen du fondement de la demande. Une attestation d’immatriculation est délivrée. La demande sera rejetée deux ans plus tard, en novembre 2013.

En août 2012, une demande est introduite auprès de l’ONAFTS (actuellement FAMIFED) aux fins d’obtenir les prestations familiales garanties pour l’enfant. La décision est positive pour la période de mai à octobre 2012 et de nouveau à partir de janvier 2013. Le droit est dès lors refusé pour deux mois. La motivation initiale de la décision est que les parents ne peuvent produire une attestation d’immatriculation valable pour ces deux mois.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles.

Il apparaît en cours d’instance que l’attestation existe mais que FAMIFED n’a pas été dûment informé. L’institution fait alors valoir qu’une telle attestation ne fait que reconnaître un droit de séjour précaire et qu’elle ne répond pas aux exigences de la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties.

Décision du tribunal

Par jugement du tribunal du travail du 10 juillet 2015, FAMIFED est condamné au paiement.

Le premier juge considère que les parents puisent leur droit dans l’article 1er, 8e alinéa de la loi du 20 juillet 1971, selon lequel si la personne physique qui a la charge (exclusive ou principale) de l’enfant est étrangère, elle doit être admise ou autorisée à séjourner en Belgique ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980.

Appel est interjeté.

Position des parties en appel

Pour FAMIFED, la personne physique doit être admise ou autorisée au séjour, et ce au sens des articles 9 et 14 de la loi du 15 décembre 1980. Ces dispositions exigeant soit que les étrangers soient autorisés à séjourner en Belgique pendant une période supérieure à trois mois par autorisation spéciale du ministre ou que les étrangers soient autorisés à s’établir en Belgique pour une durée indéterminée.

Il faut dès lors examiner la situation des personnes qui bénéficient d’un droit de court séjour afin de voir si les prestations familiales garanties leur sont dues, dans l’attente de la décision d’autorisation de séjour.

FAMIFED renvoie à divers arrêts de la Cour constitutionnelle, qui a considéré qu’il n’est pas contraire au principe d’égalité d’exiger du demandeur de prestations familiales garanties qu’il ait un lien suffisant avec la Belgique, en l’occurrence un droit de séjour régulier, et ce pour bénéficier de cette prestation, qui a un caractère résiduaire.

Quant aux intimés, ils demandent confirmation du jugement, insistant sur le fait que l’article 1er, 8e alinéa de la loi ne renvoie pas aux articles 9 et 10 mais qu’ils ont une portée générale. Ils relèvent également que lorsqu’une demande d’asile a été déclarée recevable, une attestation d’immatriculation est délivrée, ce qui implique que peut être demandée une inscription dans le registre des étrangers et que l’attestation a dès lors le caractère de titre de séjour régulier, permettant de bénéficier des prestations en cause.

Décision de la cour

La cour reprend le mécanisme légal, dont l’article 1er, § 6 de la loi du 20 juillet 1971, qui pose la condition d’un séjour ininterrompu pendant au moins cinq ans avant la demande. Diverses exceptions sont prévues, concernant notamment les réfugiés politiques reconnus ainsi que les apatrides.

La disposition en cause, étant le 8e alinéa de l’article 1er, vise les étrangers admis ou autorisés à séjourner en Belgique.

La cour examine dès lors les conditions posées par la loi du 15 décembre 1980 en ce qui concerne l’accès au territoire et le séjour de courte durée, pour lesquels sont exigés un passeport et la preuve de moyens de subsistance suffisants. Pour un séjour excédant cette durée, il y a lieu à autorisation spéciale du ministre.

La législation a été adaptée par une modification législative du 15 septembre 2006, qui a, aux fins de mise en conformité avec les directives européennes, intégré deux articles (9bis et 9ter) visant des cas particuliers où une autorisation de séjour peut être accordée. Le Chapitre IV de la loi vise les conditions d’établissement pour une durée indéterminée.

La cour reprend ensuite la jurisprudence du Conseil d’Etat sur les effets de l’attestation d’immatriculation (C.E., 26 novembre 2012, n° 221.518), selon laquelle le détenteur d’une telle attestation ne peut pas être considéré comme admis ou autorisé à un séjour de plus de trois mois. Cette attestation ne permet qu’une inscription provisoire dans les registres.

La cour considère dès lors ne pas pouvoir suivre les intimés, rappelant qu’il s’agit d’une prestation résiduaire réservée aux personnes qui ont un lien évident, permanent ou durable avec la Belgique. L’interprétation selon laquelle la délivrance de l’attestation d’immatriculation suffirait pour bénéficier des prestations est par ailleurs inconciliable avec l’exigence d’une résidence d’une période de cinq ans posée par le même article 1er. Il en découlerait également que toute personne titulaire d’un droit de séjour de moins de trois mois pourrait également y prétendre.

La cour renvoie également à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 juin 2006 (C. const., 28 juin 2006, n° 110/2006) ainsi qu’à celui du 11 janvier 2012 (C. const., 11 janvier 2012, n° 1/2012) sur l’absence de violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Enfin, se référant à la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes d’étranger et aux documents de séjour, elle conclut que l’inscription dans les registres est la conséquence de l’autorisation d’un « statut de séjour » déterminé mais qu’elle ne crée en elle-même aucun droit de séjour.

La cour conclut en suivant la thèse de FAMIFED et réforme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

La jurisprudence n’est pas unanime sur la question et dans son arrêt, la Cour du travail de Bruxelles indique qu’elle se rallie à une jurisprudence majoritaire, renvoyant à des arrêts inédits de la Cour du travail d’Anvers, de Liège ainsi que de Gand, de même qu’à d’autres décisions de tribunaux du travail (dont elle ne donne pas les références).

L’arrêt a le mérite de faire un examen approfondi de la question, eu égard aux autres textes applicables, étant non seulement la loi du 20 juillet 1971 mais la législation en matière de séjour ainsi que celle relative aux registres.

L’apport de l’arrêt du Conseil d’Etat du 26 novembre 2012, relevé par la cour, est important puisqu’il a interprété les termes « admis ou autorisé au séjour », situation qui ne vise pas les étrangers détenteurs d’une attestation d’immatriculation ou dans l’attente d’une telle décision.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be