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Contrôle de la régularité du licenciement après la C.C.T. n° 109

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 19 décembre 2016, R.G. 15/743/A

Mis en ligne le jeudi 15 juin 2017


Tribunal du travail de Liège, division Dinant, 19 décembre 2016, R.G. 15/743/A

Terra Laboris

Dans un jugement rendu le 19 décembre 2016, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) analyse les liens entre le contrôle du motif grave, du licenciement manifestement déraisonnable au sens de la C.C.T. n° 109, du caractère abusif du licenciement et d’une faute commise à l’occasion du licenciement pouvant ouvrir le droit à des dommages et intérêts spécifiques.

Les faits

Une employée remet sa démission, exposant à son employeur qu’elle a retrouvé un emploi dans une autre société (PME), auprès de laquelle elle sera engagée à l’issue de son préavis.

La société la licencie alors pour motif grave, au motif qu’elle aurait généré et consulté des listings du portefeuille (assurances), et ce afin de les utiliser ultérieurement, puisqu’elle va, selon son employeur, « à la concurrence ».

Suite à ce licenciement, intervenant quelques semaines avant l’issue du préavis, l’intéressée introduit une action devant le Tribunal du travail de Liège (division Dinant). Elle y postule une indemnité compensatoire de préavis correspondant aux jours de rémunération restants, une demande de condamnation à des dommages et intérêts pour absence d’audition préalable, ainsi encore qu’une demande fondée sur la C.C.T. n° 109, évaluée à 17 semaines de rémunération, et, enfin, une somme provisionnelle de 5.000 euros pour licenciement abusif.

La décision du tribunal

Le tribunal conclut à l’absence de motif grave, et ce vu le non-respect de l’exigence de précision de motifs contenue à l’article 35 de la loi. Il est notamment souligné que les griefs initiaux ne sont pas ceux visés en cours de procédure et le tribunal conclut qu’il y a imprécision au regard de la complexité du grief reproché (consultation de fichiers, etc.).

Sur le fond du motif grave, celui-ci est également rejeté, le tribunal concluant que l’employeur s’est fondé sur une intention qu’il avait prêtée à la travailleuse, à savoir en l’espèce la perspective de l’utilisation d’un fichier clients complet en vue d’un usage illicite. La société est dès lors condamnée au paiement de l’indemnité compensatoire de préavis pour les jours restants.

Pour ce qui est du licenciement manifestement déraisonnable, le jugement contient une analyse très fouillée en droit, dans laquelle le tribunal souligne d’abord à propos des deux conditions cumulatives visées à l’article 8 – étant qu’il doit s’agir (i) d’un motif de licenciement sans lien avec l’aptitude, la conduite ou les nécessités de fonctionnement de l’entreprise et (ii) d’une décision de licencier que n’aurait pas prise un employeur normal et prudent – qu’il s’agit d’une exigence qui relève du cas d’école.

En outre, il y a violation de dispositions internationales, étant essentiellement l’article 24 de la Charte sociale européenne et l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (dont les commentaires se réfèrent à l’article 24 de la Charte sociale). Le tribunal renvoie encore au principe du standstill, qui gît à l’article 23 de la Constitution, étant que l’on peut constater en l’espèce un recul du niveau de protection d’un droit reconnu constitutionnellement. Il aurait dès lors fallu considérer que les deux critères ci-dessus ne sont pas cumulatifs, le libellé de la C.C.T. aboutissant à vider de sa substance la protection reconnue par l’ancien article 63 L.C.T.

Les motifs visés par la Convention collective de travail n° 109 étant ceux de cet ancien article 63, le tribunal rappelle à juste titre les deux arrêts de cassation rendus le 27 septembre 2010 (n° S.09.0088.F) et le 22 novembre 2010 (n° S.09.0092.N), arrêts dans lesquels le tribunal voit l’introduction d’un principe de proportionnalité dans l’appréciation du motif invoqué à l’appui du licenciement. C’est celui-ci que le juge doit vérifier, ce contrôle ne portant pas sur l’opportunité du licenciement.

Renvoyant encore à la doctrine (doctrine abondante visée dans le jugement), il souligne que, pour être admis, le motif doit être légitime, valable, raisonnable.

En l’espèce, eu égard aux éléments de fait, il n’est pas raisonnable de licencier un travailleur en fin de préavis suite à une démission, sur la base des intentions qui lui sont prêtées ainsi que d’une crainte – très subjective –, et ce sans aucun élément probant.

Il en vient alors à la sanction et, constatant qu’il n’a pas été conclu sur la gradation, il reprend les éléments qu’il a déjà relevés précédemment dans le cadre de l’examen du motif grave pour conclure que la position de l’employeur a procédé d’une interprétation subjective des faits et a débouché sur une grave accusation de déloyauté (une procédure ayant en outre été introduite en cessation devant le tribunal de première instance – procédure dont la société a été déboutée).

Se pose ensuite la question de savoir si le licenciement peut être abusif. Le tribunal répond que tel est le cas, sur le plan des principes, puisque la C.C.T. n° 109 vise les motifs du licenciement mais non les circonstances de celui-ci. Sur ce point, il déboute la demanderesse, dans la mesure où elle n’invoque pas de circonstance particulière, mais se fonde sur le caractère fallacieux des motifs (ce qui a fait l’objet de l’examen auquel il a été procédé dans le cadre de la C.C.T. n° 109).

Reste encore à savoir s’il y a lieu d’allouer des dommages et intérêts pour défaut d’audition préalable. Le droit à une telle audition n’est pas intégré dans le droit belge mais figure à l’article 7 de la Convention n° 158 de l’O.I.T., cette disposition précisant qu’un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées contre lui, à moins que l’on ne puisse pas raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité (étant visée une exception, qui concerne les cas ‘flagrants’). Même si cette convention n’a pas été ratifiée par la Belgique, elle constitue, pour le tribunal, et ce selon la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (Cr.E.D.H., 12 novembre 2008, Aff. DEMIR et BAYKARA c/ TURQUIE, Req. n° 34.503/97), une source d’interprétation nonobstant l’absence de force obligatoire. Cette règle fait en effet l’objet d’un consensus en droit international et équivaut à un principe général.

Le but de l’audition est de permettre au travailleur de développer ses contestations et/ou explications, et celle-ci peut lui permettre de ne pas être licencié.

En l’espèce, le tribunal conclut à une faute et alloue des dommages et intérêts, étant les 2.500 euros demandés.

Intérêt de la décision

Cette espèce contient le rappel de règles importantes en matière de licenciement pour motif grave, étant essentiellement celles liées à la précision des motifs et à l’obligation pour l’employeur de se fonder sur des faits avérés et non sur des intentions qu’il prête au travailleur.

Les développements faits sur les contours de la C.C.T. n° 109 sont, par ailleurs, très originaux, les principes de celle-ci étant confrontés à des dispositions de droit international. Même si la Belgique a fait des réserves – à l’époque – sur l’article 24 de la Charte sociale révisée, cette disposition peut certes être invoquée, ainsi que l’a fait le juge, dans la mesure où les principes qu’elle contient sont repris à l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux et que celle-ci ne peut, et pour cause, faire l’objet de réserves.

En outre, les réserves faites à l’époque étaient justifiées par l’absence de motivation du licenciement, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Enfin, l’arrêt est intéressant en ce qu’il confirme le courant de jurisprudence (initié en 1992 – ainsi que repris dans le jugement) relatif à l’audition préalable au licenciement dans le secteur privé.


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