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Personnes de confiance : l’arrêté royal du 10 février 1965 dresse-t-il la liste exhaustive des catégories de personnel concernées ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 novembre 2016, R.G. 2014/AB/755

Mis en ligne le jeudi 15 juin 2017


Cour du travail de Bruxelles, 23 novembre 2016, R.G. 2014/AB/755

Terra Laboris

Dans un arrêt rendu le 23 novembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles retient qu’un « security supervisor » peut avoir le statut de cadre investi d’un poste de confiance et qu’il importe peu que cette fonction ne figure pas avec cet énoncé exact dans l’énumération contenue à l’arrêté royal du 10 février 1965.

Les faits

Une société active dans le secteur de la surveillance et de la protection des biens mobiliers et immobiliers (en ce compris les activités de gardiennage mobile, d’intervention après alarme et de gestion de centrale) engage un employé en tant qu’assistant technique et administratif en 2002. La société ne s’occupe pas d’installer et d’entretenir les systèmes d’alarme en cause.

Les fonctions de l’intéressé vont évoluer et, quelques années plus tard, il occupera le poste de « security supervisor ».

Il va alors constituer avec deux tiers une SPRL, qui, si son objet est initialement le négoce de matériel informatique (et autre matériel de bureau et électro-ménager), va inclure dans son champ d’activité l’installation, la réparation et l’entretien des systèmes d’alarme et de sécurité électronique. Elle va également développer une activité de conseil dans ce secteur.

L’employé en cause reçoit, en juin 2011, une délégation de la gérante de cette société pour tout ce qui est compétence décisionnelle des activités de celle-ci.

Quelques mois plus tard, en octobre de la même année, il est licencié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, la lettre pointant cependant des faits graves, faits relatifs à la confusion d’activité, l’intéressé ayant développé l’activité externe pendant ses heures de garde pour son employeur. La société considère qu’elle pouvait invoquer le motif grave mais que, eu égard aux circonstances particulières des relations professionnelles (ancienneté essentiellement), le licenciement intervient avec préavis de 6 mois.

Une discussion a ensuite lieu entre les parties en ce qui concerne le motif du licenciement et le travailleur assigne ultérieurement la société en paiement de diverses sommes.

De son côté, celle-ci introduit une action en cessation pour pratiques illégales de commerce, devant le président du tribunal de commerce, demandant qu’il soit fait injonction de cesser la concurrence déloyale à laquelle la société se livre, ainsi qu’une autre société que l’intéressé a fondée avec deux autres (ex) employés de la société.

Par ordonnance du 28 juin 2013, il est fait partiellement droit à la demande de la société, le président constatant qu’il y a eu des actes de débauchage de clientèle interdits par la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur.

Appel est interjeté devant la cour d’appel, mais, par arrêt du 15 mai 2014, celle-ci confirme la décision et élargit les injonctions de cessation. La procédure devant la cour d’appel va encore évoluer vu le non-respect de l’arrêt.

Devant le tribunal du travail, le travailleur demande une indemnité compensatoire de préavis plus élevée, la rémunération de jours fériés et également des sursalaires, vu des prestations de travail qu’il qualifie de « non-rémunérées » ou « insuffisamment rémunérées ». D’autres sommes accessoires sont également postulées.

La société a pour sa part introduit une demande reconventionnelle portant sur un indu issu d’une reconnaissance de dette et des dommages et intérêts vu le préjudice subi suite aux actes de concurrence déloyale.

Le jugement rendu par le tribunal du travail donne partiellement droit au travailleur, sur le plan de l’indemnité compensatoire de préavis et pour ce qui est du paiement de jours fériés. Il déboute la société, au double motif de prescription partielle de la demande et de non-fondement pour les sommes non-prescrites.

La société interjette appel et la cour est dès lors saisie de cette demande, mais en outre d’un appel incident du travailleur.

La décision de la cour

Pour ce qui est de la durée du préavis raisonnable, la cour fait droit à la demande, rappelant en outre qu’un éventuel comportement fautif du travailleur ne peut avoir d’incidence sur son reclassement professionnel et est dès lors un élément indifférent dans la prise en compte du préavis raisonnable.

Pour les jours fériés, la cour confirme la décision du tribunal.

Sur la question de l’obligation pour la société de rémunérer des heures supplémentaires, poste qui est évalué par le travailleur à un montant de plus de 22.000 euros (avec pécules de vacances), une discussion s’élève entre les parties, autour de l’arrêté royal du 10 février 1965. Pour la société, l’intéressé occupait un poste de direction ou de confiance au sens de ce texte. En conséquence, les limites de la durée du travail ne s’appliqueraient pas.

La cour relève qu’effectivement, les personnes investies d’un poste de direction ou de confiance ne sont pas soumises à la législation en matière de durée du travail et, partant, d’heures supplémentaires. Il s’agit (i) des personnes qui exercent une autorité effective et qui ont la responsabilité de l’ensemble ou d’une division importante de l’entreprise et (ii) des personnes qui peuvent, sous leur responsabilité, engager l’entreprise vis-à-vis des tiers.

La cour retient que l’intéressé avait ces prérogatives et qu’il doit être considéré comme compris dans les exceptions autorisées par l’arrêté royal du 10 février 1965. Pour la cour, peu importe que l’énoncé exact de sa fonction ne figure pas dans ce texte.

La cour note encore que l’intéressé a vu sa rémunération portée (en termes bruts) de 2.500 euros à plus de 3.350 euros, ayant bénéficié en sus de l’utilisation d’un véhicule de société. Elle retient de ce paramètre que la rémunération allouée correspond à celle d’un cadre dans une petite entreprise familiale.

Elle puise également dans la procédure en cessation, où l’intéressé s’était prévalu de fonctions importantes.

Par ailleurs, la cour rencontre l’argumentation de la société relative à l’absence de preuve d’heures réellement prestées, et elle rappelle ici que la preuve d’heures supplémentaires repose sur le travailleur et qu’elle doit être administrée conformément aux articles 1315 C.C. et 870 C.J. – ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Elle confirme dès lors le jugement pour ce qui est de l’absence de droit au paiement d’heures supplémentaires.

Quant à la demande reconventionnelle, la cour constate qu’il s’agit d’un montant de l’ordre de 2.700 euros, que la société réclame actuellement et qui correspond au surcoût du loyer dû dans le cadre du contrat de leasing du véhicule de société « surclassé » qui a été mis à disposition du travailleur. Celui-ci a d’ailleurs signé une reconnaissance de dette à cet égard.

Pour la cour, il s’agit d’une action née du contrat de travail et elle applique l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978, considérant qu’une demande reconventionnelle qui constitue une simple défense contre la demande principale peut bénéficier de l’interruption de la prescription qui découle de la citation initiale. Or, en l’espèce, ce n’est pas le cas, s’agissant d’une action principale qui aurait pu être introduite dans une procédure séparée. Elle conclut dès lors à la prescription.

Pour ce qui est des actes de concurrence déloyale, elle tire d’un long examen des éléments de fait que la société est en défaut de prouver l’existence du préjudice qu’elle allègue.

La cour va encore rencontrer quelques points, de moindre intérêt.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la cour fait une application extensive de l’arrêté royal du 6 février 1965. Il a régulièrement été considéré que, celui-ci définissant des catégories de travailleurs non soumis à la durée du travail, qui est une réglementation d’ordre public, ces exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive et que les fonctions qui n’y figurent pas ne peuvent être visées.

En l’espèce, la cour aboutit à une conclusion opposée, et ce au motif que l’énoncé exact de cette fonction ne figure pas dans l’arrêté royal.

L’on constatera quand même qu’elle ne définit pas la fonction voisine, qui aurait pu avoir le même contenu que celle visée dans le cas d’espèce, fonction énoncée en anglais et qui, 50 ans après l’adoption de cet arrêté royal, ne pouvait certes être prise en compte à l’époque.

Par ailleurs, l’arrêt est très intéressant sur un autre point, étant la décision de la cour sur le sort de la demande reconventionnelle.

Il faut en effet souligner à cet égard qu’en date du 10 octobre 2016, la Cour de cassation a considéré que les actions fondées sur l’indu au sens du Code civil, étant les articles 1235, 1236 et 1376 à 1381 C.C., ne sont pas soumises à la prescription annale de l’article 15 de la loi du 3 avril 1978.


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