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Cession conventionnelle d’entreprise : exigence d’un accord entre les deux sociétés ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Arlon), 25 octobre 2016, R.G. 15/497/A

Mis en ligne le mardi 30 mai 2017


Tribunal du travail de Liège, division Arlon, 25 octobre 2016, R.G. 15/497/A

Terra Laboris

Par jugement du 25 octobre 2016, le Tribunal du travail de Liège (div. Arlon) rappelle la jurisprudence de la Cour de justice en matière de transfert d’entreprise et particulièrement son arrêt JOUINI du 13 septembre 2007, selon lequel il peut y avoir cession conventionnelle même si les entreprises impliquées n’ont conclu aucun accord écrit ou verbal.

Les faits

Un employé est occupé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée d’un mois pour le compte d’une ASBL. Celle-ci est mise en liquidation dans cette période d’occupation et les travailleurs reçoivent une notification de rupture de leur contrat de travail moyennant l’annonce du versement d’une indemnité.

L’intéressé introduit une déclaration de créance, une demande étant adressée au Fonds de fermeture. Il continue, par ailleurs, à travailler pour une société déployant son activité dans le même secteur, qui est la formation de demandeurs d’emploi par le travail.

Un autre travailleur est également engagé par la société.

Le Fonds de fermeture refuse d’intervenir, au motif de l’existence d’un transfert d’entreprise. Il estime qu’il y a transfert conventionnel, les travailleurs présents au moment du transfert devant être considérés comme transférés chez le repreneur. Dans la mesure où l’intéressé était encore en service à la date de la demande, le Fonds de fermeture estime qu’il ne peut accueillir celle-ci.

Il y a contestation, ensuite, entre l’organisation syndicale et le Fonds quant à l’existence d’un transfert d’entreprise. Le Fonds de fermeture maintient sa décision, considérant qu’il y a deux entreprises appartenant au même groupe, que les activités de celles-ci sont très proches voire similaires (la première ayant comme activité principale la formation au travail et la seconde relevant des entreprises de travail adapté en ateliers sociaux). Pour le Fonds, il y a poursuite de l’activité par une autre entreprise du groupe et même s’il n’y a pas de convention de transfert, il y a transfert de fait. Le Fonds renvoie encore à deux autres éléments, étant l’intervention du directeur du groupe déjà présent lors de la signature du contrat de l’ASBL ainsi que la présence d’un grand nombre d’administrateurs communs.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (div. Arlon) par le travailleur, à la fois contre le Fonds et le repreneur.

Il y réclame des arriérés de rémunération pour la période relative à son contrat à durée déterminée, une indemnité de rupture ainsi que les pécules.

Le tribunal est dès lors saisi de la question de l’existence d’un transfert entre l’ASBL qui a signé le premier contrat et la SCRL.

Position du tribunal

Il reprend les principes en matière de transfert d’entreprise et les conditions d’application de la convention collective 32bis. Pour qu’il y ait maintien des droits des travailleurs, il faut (i) un changement d’employeur (ii) dû à un transfert d’entreprise et (iii) une origine conventionnelle à ce transfert.

C’est surtout l’interprétation de l’article 6 de la CCT qui est sujette à des développements. Cette disposition définit en effet le transfert d’entreprise comme le transfert d’une entité économique maintenant son identité, celle-ci étant entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire.

Les conditions d’un transfert sont – comme le souligne le Tribunal – fortement influencées par la jurisprudence de la Cour de justice, s’agissant de la transposition en droit belge de la Directive 2001/23/CE.

Les décisions rendues par la Cour ont été nombreuses et importantes. Dans un premier temps (C.J.U.E., 18 mars 1986, n°24/85, SPIJKERS), a été exigé que le transfert porte sur une entité économique et que celle-ci conserve son identité. Ces critères ont dû être explicités et il a été admis que pouvait constituer un tel transfert celui d’éléments corporels, incorporels, de même encore que le transfert de l’activité et le transfert de l’essentiel du personnel.

Pour la Cour de Justice, l’accent a été mis sur le critère de l’entreprise/activité et le transfert de l’ensemble des éléments ci-dessus n’était pas exigé.

Les critères de la Cour de Justice se sont précisés au fil du temps, étant que l’entité transférée doit être suffisamment structurée et autonome. La Cour a été saisie de cas où l’actif se résumait à la main d’œuvre (ainsi dans le secteur du nettoyage), où elle a rendu le célèbre arrêt TEMCO (C.J.U.E., 24 janvier 2002, n° C-51/00) admettant le transfert dans l’hypothèse d’un ensemble organisé de salariés spécialement et durablement affectés à une tâche commune. Ceci a été admis comme constituant une entité économique.

En l’espèce, l’activité porte sur la formation de demandeurs d’emploi par le travail, la société défenderesse relève des entreprises adaptées en ateliers sociaux et le code NACE est identique. L’actif est essentiellement de la main d’œuvre (le matériel roulant étant en leasing). En ce qui concerne le personnel, il était constitué de quatre formateurs expérimentés dont deux ont été réengagés. Le peu de matériel existant se retrouve au sein de la société défenderesse. Le tribunal relève encore que les deux sociétés appartiennent au même groupe, que les contrats de travail ont des points communs, qu’il y a un nombre commun d’administrateurs, tous éléments organisationnels importants.

Enfin, sur l’origine conventionnelle du transfert, il est renvoyé à l’arrêt JOUINI (C.J.U.E., 13 septembre 2007, n° C-458/05) où la Cour a estimé qu’il fallait interpréter la condition relative à l’existence d’une cession conventionnelle de manière suffisamment souple pour répondre à l’objectif de la directive, qui est de protéger les salariés en cas de transfert de leur entreprise.

Cette interprétation vise notamment la forme de la convention, un accord écrit ou verbal pouvant être admis ou encore un accord tacite qui résulterait d’éléments de coopération pratique traduisant une volonté commune de procéder au changement en cause. Elle a relevé dans cet arrêt que la reprise des travailleurs s’était effectuée dans le cadre d’une coopération entre deux sociétés qui avaient toutes les deux les mêmes dirigeants, ce qui avait permis à la seconde de développer une activité identique.

Le recours aux travailleurs qui avaient auparavant travaillé pour la première avait largement contribué à la poursuite de l’activité. Il était évident, pour la Cour de justice, que cette coopération avait pour but et pour objet de transférer des éléments d’exploitation d’une société vers l’autre. Il peut dès lors y avoir cession conventionnelle même si aucun accord écrit ou verbal n’a été signé.

Le tribunal considère qu’en l’espèce les conditions sont « fortement semblables ».

Il va dès lors retenir qu’il y a eu transfert d’entreprise au sens de la réglementation.

Le Fonds de fermeture est mis hors cause et la société est condamnée au paiement des sommes réclamées – qui ne sont pas contestées en leur calcul.

Le tribunal réserve cependant, à statuer sur l’indemnité de rupture dans la mesure où il y a poursuite du contrat sans interruption. Le demandeur maintenant ce chef de demande au motif qu’il était engagé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, le tribunal renvoie cette question, invitant par ailleurs les parties à se concilier sur ce poste.

Intérêt de la décision

C’est la nature de l’activité exercée qui fait l’intérêt du cas tranché par le Tribunal du travail de Liège dans ce jugement du 25 octobre 2016, étant une activité exercée au sein d’une ASBL portant sur la formation de demandeurs d’emploi par le travail et celle d’une entreprise adaptée en ateliers sociaux.

Le transfert en l’occurrence portait essentiellement sur les formateurs (expérimentés) et très peu sur du matériel. Le tribunal a encore retenu des éléments organisationnels identiques pour les deux sociétés.

Enfin, c’est bien sûr l’apport de l’arrêt JOUINI du 13 septembre 2007, qu’il faut souligner, puisque la Cour de Justice a relevé dans celui-ci que la notion de cession conventionnelle ne fait pas obstacle à la constatation d’un transfert d’entreprise entre deux sociétés même si, comme ceci était avéré, les entreprises impliquées n’ont conclu aucun accord écrit ou verbal.


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