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Activité non autorisée en AMI : application de la loi dans le temps

Commentaire de Cass., 2 janvier 2017, n° S.15.0018.F

Mis en ligne le lundi 15 mai 2017


Cour de cassation, 2 janvier 2017, n° S.15.0018.F

Terra Laboris

La cour de cassation tranche la question de l’application dans le temps de l’article 101 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994 après sa modification par la loi du 28 avril 2010.

Faits de la cause

Mr J.-C.R. bénéficiait des indemnités d’invalidité à charge de l’A.N.M.C. (ci-après O.A.) lorsque les contrôleurs sociaux de l’ONEm ont constaté, le dimanche 9 mai 2010, qu’il peignait la façade d’une maison à Verviers. Les contrôleurs sociaux ont dressé un procès-verbal de constat d’infraction à charge du propriétaire du bâtiment pour défaut de déclaration à l’O.N.S.S. de cette activité et celui-ci a fait une déclaration DIMONA pour cette journée.

Les contrôleurs ont transmis une copie de ce procès-verbal à l’auditorat du travail de Verviers ainsi qu’au Directeur général du service d’Etudes du SFP Emploi, Travail et Concertation sociale. L’auditeur du travail a, le 20 mai 2010, transmis à l’I.N.A.M.I. copie de ce procès-verbal.

Le 1er mars 2011, le Service du contrôle administratif de l’I.N.A.M.I. a établi un procès-verbal d’infraction à charge de Mr J.-C.R pour travail effectué sans autorisation du médecin-conseil de la mutuelle ; ce procès-verbal a été notifié à Mr J.C.R. le 7 mars 2011 et à l’A.N.M.C. le 1er ou le 7 mars 2011.

Son O.A., par une décision notifiée le 10 mars 2011, a décidé que Mr J.-C.R. n’avait plus droit aux allocations à partir du 9 mai 2010 et ordonné la récupération des indemnités perçues depuis cette date jusqu’au 28 février 2011. Mr J.-C.R. l’a contestée devant le tribunal du travail de Verviers. Dans le cadre de ce recours, il a formé une nouvelle demande en paiement des indemnités depuis le 28 février 2011.

Par sa décision notifiée le 28 avril 2011, l’I.N.A.M.I., après avoir considéré l’infraction établie, a exclu Mr J.-C.R du droit aux indemnités AMI à concurrence de 18 indemnités journalières en application de l’article 168quiquies, § 2, 3°, al.1, 1°, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Cette décision a également été soumise au tribunal du travail par l’assuré social.

Ce tribunal a joint les causes et constaté la réalité de l’infraction. Il a décidé que la version de l’article 101, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après L.C.) applicable au litige était la version issue de sa modification par la loi du 28 avril 2010 portant des dispositions diverses. Il a annulé la décision de l’A.N.M.C. sauf quant à la récupération de l’indemnité perçue pour la journée du 9 mai 2010, dit pour droit que Mr J.C.R. était indemnisable à partir du 1er mars 2011 sous réserve que toutes les autres conditions légales soient demeurées satisfaites et confirmé la décision de l’I.N.A.M.I.

L’A.N.M.C. a interjeté appel de cette décision, intimant Mr J.C.R. et l’I.N.A.M.I. L’affilié n’a pas formé d’appel à l’encontre du jugement en ce qu’il confirme la décision de l’I.N.A.M.I.

L’arrêt de la cour du travail

L’arrêt attaqué, rendu le 25 novembre 2014 par la 2e chambre de la cour du travail de Liège (R.G. 2013/AL/248), après avoir dit irrecevable l’appel de l’O.A. dirigé contre l’I.N.A.M.I., dit non fondé cet appel en ce qu’il est dirigé contre Mr J.-C.R. et confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions. La cour a, comme le 1er juge, fait application de l’article 101, § 1er, L.C. tel que modifié par la loi du 28 avril 2010 portant des dispositions diverses, entrée en vigueur à partir du 31 décembre 2010.

Le pourvoi en cassation

La requête propose un moyen unique divisé en trois branches.

La troisième branche, qui porte sur l’application de la loi dans le temps énoncée par l’article 2 du Code civil, rappelle qu’« en règle, une loi nouvelle s’applique non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur, mais aussi aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi antérieure qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés ». Il convient donc d’établir une distinction « entre une conséquence à tirer d’un droit né et définitivement accompli sous l’empire de la loi ancienne et un effet futur d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne ».

Or, il est constant que Mr J.-C.R. a travaillé le 9 mai 2010 et que ce fait (ou situation) est antérieur à l’entrée en vigueur de la modification de l’article 101 L.C. par la loi du 28 avril 2010. Le procès-verbal de constat d’infraction établi par l’I.N.A.M.I., sa notification et la décision de l’O.A. ne sont que de simples conséquences d’une reprise du travail née et définitivement accomplie sous l’empire de la loi ancienne, qui devait en conséquence être appliquée par l’arrêt attaqué.

L’arrêt commenté

La Cour dit la troisième branche fondée, casse l’arrêt soumis à sa censure, sauf en ce qui concerne l’irrecevabilité de l’appel de l’O.A. contre l’I.N.A.M.I. et renvoie la cause ainsi limitée à la cour du travail de Mons.

Après avoir rappelé la portée de l’article 2 du Code civil telle que formulée par la requête, l’arrêt commenté retient que le procès-verbal du service du contrôle administratif de l’I.N.A.M.I. constatant l’existence d’un travail non autorisé d’un bénéficiaire d’indemnités et la décision de l’O.A. qui en déduit les conséquences « ne constituent pas des effets de ce travail qui se produiraient ou se prolongeraient après qu’il a été effectué ».

L’arrêt attaqué, qui a constaté que Mr J.-C.R. a, le 9 mai 2010, effectué un travail non autorisé, n’a donc pas légalement décidé d’appliquer aux faits de la cause les articles 101 L.C. et 245decies de l’A.R. du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi coordonnée dans leur rédaction en vigueur à partir du 31 décembre 2010.

Intérêt de la décision

Dans ce cas d’espèce, la période infractionnelle est d’un seul jour situé avant le 31 décembre 2010 et la loi du 28 avril 2010 ne pouvait donc être appliquée.

Il en irait autrement si l’activité non autorisée, commencée avant cette date, était toujours effectuée au 31 décembre 2010. C’est alors, conformément aux règles de l’application des lois dans le temps, la version de l’article 101 L.C. tel que modifié par cette loi qui s’applique pour toute la période infractionnelle.

A cet égard, les conclusions du Ministère public précédant un arrêt de la Cour du 23 mai 2016 (R.G. S.14.0002.F, commenté par Terra Laboris pour socialEye) méritent d’être épinglées. Elles exposent en effet l’évolution des dispositions applicables à la reprise d’un travail non autorisé dans le cadre la loi du 9 août 1963. Ainsi, avant la loi du 18 octobre 1991 insérant un article 56 bis dans la loi du 9 août 1963, cette reprise mettait, selon la jurisprudence de la Cour, fin à la reconnaissance de l’état d’incapacité avec la conséquence que le droit aux indemnités ne pouvait à nouveau être accordé à l’assuré social qu’après l’introduction d’une nouvelle demande, qui ne pouvait être accueillie que si les conditions de stage étaient remplies. La loi du 18 octobre 1991 est venue tempérer les conséquences désastreuses de cette règle. Citant les travaux préparatoires de cette loi et la doctrine, ces conclusions considèrent que, dans l’hypothèse d’un travailleur étant toujours atteint d’une incapacité de travail supérieure à 50%, la cessation de l’activité lui permet de prétendre à l’octroi des indemnités sans nouvelle demande et sans devoir démontrer à nouveau le respect des conditions d’assurabilité.

L’arrêt du 23 mai 2016 se prononce sur la portée de la loi du 28 avril 2010 et ne donne donc pas d’éléments utiles quant à celle de la loi du 18 octobre 1991. Il reste que l’on peut peut-être trouver dans celle-ci une solution pour résoudre ce cas d’espèce aux conséquences particulièrement dommageables par rapport à l’infraction.

Précisons que plusieurs décisions des juges du fond sur l’évolution de la législation peuvent être consultées sur le site de Terra Laboris, et notamment un arrêt, commenté, de la cour du travail de Bruxelles du 5 avril 2012 (R.G. n° 2011/AB/690).


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