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Non-respect des règles en matière d’intérim et conditions du droit à une indemnité compensatoire de préavis

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 novembre 2016, R.G. 2014/AB/905

Mis en ligne le lundi 15 mai 2017


Cour du travail de Bruxelles, 22 novembre 2016, R.G. 2014/AB/905

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 novembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, malgré l’irrégularité d’une occupation intervenue en contravention avec l’article 21 de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à disposition d’utilisateurs, le droit à une indemnité compensatoire de préavis suppose que celui pour qui les prestations ont été accomplies soit l’auteur de la rupture.

Les faits

Une employée dans le secteur de la vente (articles de lingerie dans une grande surface commerciale) preste pendant plusieurs années dans le cadre de contrats d’intérim successifs. Ces contrats sont à durée déterminée et le motif est un « remplacement suspension / remplacement fin ».

A l’issue du dernier contrat, elle introduit une procédure, demandant la condamnation de la société auprès de laquelle elle a été mise à disposition à une indemnité compensatoire de préavis.

Celle-ci considère que c’est l’intéressée elle-même qui a mis fin à la collaboration professionnelle à l’issue du dernier contrat.

Le Tribunal du travail de Bruxelles ayant fait droit à la demande de l’employée, la société interjette appel.

Elle conteste, en premier lieu, à la fois la compétence du Tribunal du travail de Bruxelles, ainsi que la langue de la procédure.

La décision de la cour

Sur la compétence territoriale, la cour admet que, dans la mesure où l’intéressée a travaillé au « rayon » d’un centre commercial sis à Bruxelles, c’est le lieu d’exercice de sa profession.

La société demandant, par ailleurs, le changement de langue, la cour du travail renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 septembre 2010 (C. const., 16 septembre 2010, n° 98/2010). Elle rappelle que, selon cet arrêt, le siège d’exploitation doit être appréhendé comme constituant le domicile du défendeur au sens de l’article 4, § 1er, de la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire, lorsque c’est à cet endroit que les parties ont noué leurs relations sociales.

La cour retient également que l’obligation qui serait faite à un demandeur de mener une procédure dans une autre langue que celle dans laquelle les parties ont entretenu leurs relations de travail n’est pas conforme à ses droits de défense et ne l’est pas davantage avec le bon fonctionnement de la justice, dans la mesure où le juge devra traiter une affaire dans une autre langue que celle des pièces qui lui sont soumises, la Cour constitutionnelle ayant relevé à cet égard le risque d’entraîner des frais et des lenteurs inutiles dus au coût des traductions à faire.

Pour la cour, le changement de langue se justifie d’autant moins que la société a démontré sa connaissance suffisante de la langue française. La procédure doit dès lors se poursuivre en français, ainsi que l’a admis le tribunal.

Quant au fond, la cour relève une infraction à l’article 21 de la loi du 24 juillet 1987, qui dispose que les entreprises de travail intérimaire ne peuvent mettre des intérimaires à la disposition d’utilisateurs et que ceux-ci ne peuvent occuper des intérimaires qu’en vue de l’exécution d’un travail temporaire visé ou autorisé par l’article 1er, § 1er, de la loi. Au sens de cette disposition, le travail temporaire est l’activité exercée dans les liens d’un contrat de travail et ayant pour objet de pourvoir au remplacement d’un travailleur permanent ou de répondre à un surcroît temporaire de travail, ou encore d’assurer l’exécution d’un travail exceptionnel.

En l’espèce, il faut constater que la vendeuse a toujours exercé les mêmes fonctions, de la même manière et au même endroit, la cour précisant que, en devenant travailleur intérimaire, elle n’aurait donc jamais fait que se remplacer elle-même…

Vu le manquement à la loi du 24 juillet 1987, l’utilisateur et l’intérimaire sont dès lors supposés être liés par un contrat de travail. La société devait dès lors y mettre un terme en respectant les obligations en matière de contrat à durée indéterminée.

Se pose cependant une question précise, sur laquelle les parties sont en désaccord, qui concerne l’auteur de la rupture.

Dans la mesure où la vendeuse est demanderesse, la cour considère qu’il lui appartient d’établir que les relations de travail n’ont pas été poursuivies à l’initiative de la société. Trop peu d’éléments peuvent être avancés à cette fin et, vu l’incertitude, la cour considère qu’il n’est pas établi que c’est celle-ci qui a rompu. La cour déplore à cet égard ne pas être informée quant à la poursuite de l’activité professionnelle de l’intéressée après la date de fin des relations contractuelles.

La cour allouera cependant la prime de fin d’année, pour laquelle les conditions légales sont remplies, ainsi que la rémunération d’un jour férié survenant dans les trente jours de la rupture.

Intérêt de la décision

Dans cette affaire, une employée a été occupée pendant une période de plus 5 ans dans une série de contrats d’intérim successifs irréguliers, puisqu’intervenus en contravention avec les critères du travail temporaire repris à l’article 1er, § 1er, de la loi du 24 juillet 1987.

Le droit à l’indemnité de rupture n’est cependant pas automatique, même si l’irrégularité est dûment constatée. La cour rappelle encore qu’il faut déterminer en l’espèce que l’employeur (étant dans la réalité l’utilisateur) a pris la décision unilatérale de rompre les relations de travail.

Il est dès lors important d’être prudent dans une telle hypothèse aux fins de justifier le droit à une indemnité compensatoire de préavis.


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