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Concurrence déloyale pendant l’exécution du contrat : indemnisation du dommage de l’employeur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 décembre 2016, R.G. 2014/AB/595

Mis en ligne le mardi 2 mai 2017


Cour du travail de Bruxelles, 14 décembre 2016, R.G. 2014/AB/595

Terra Laboris

Dans un arrêt rendu le 14 décembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles régissant la matière de la concurrence faite par le travailleur à son employeur : pendant l’exécution du contrat, toute concurrence est déloyale. A défaut de pouvoir établir la consistance réelle du préjudice causé, la réparation de celui-ci doit intervenir en équité.

Les faits

Une société active dans le secteur du bâtiment (traitement d’humidité, etc.), qui travaille essentiellement avec les produits d’un groupe spécialisé, a engagé un ouvrier en 2002. Un employé technico-commercial est pour sa part entré au service de celle-ci en juillet 2008.

Les deux intéressés ont repris une société tierce (SPRL) et, en 2012, un fournisseur informe l’employeur de contacts commerciaux pris par cette société tierce. Des recherches sont effectuées à propos de celle-ci et il est découvert qu’en 2011 les deux travailleurs ont été nommés en tant que gérants.

Une audition intervient et les intéressés démissionnent tous deux.

Une procédure est initiée par la société en juin 2012, se fondant essentiellement sur la concurrence déloyale exercée par les deux ex-travailleurs.

N’ayant pas eu gain de cause devant le Tribunal du travail de Nivelles (section de Wavre), sur ces chefs de demande, la société interjette appel.

L’arrêt du 14 décembre commenté est rendu par la 4e chambre de la cour, à propos du travailleur ayant la qualité d’employé.

La décision de la cour

La cour fait un examen très approfondi des règles en matière de concurrence déloyale du salarié.

Le fondement légal est l’article 17, 3°, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. L’interdiction de concurrencer l’employeur ainsi que de divulguer des secrets de fabrication ou d’affaires pendant l’exécution du contrat est une obligation découlant de l’article 1134 du Code civil. Il s’agit de l’exécution de bonne foi des conventions.

Tant qu’il est toujours sous contrat de travail, le travailleur ne peut dès lors exercer une activité concurrente à l’employeur. Celle-ci sera déloyale en elle-même. Il n’est pas interdit cependant de se préparer à l’exercice d’une activité future (constitution d’une société, prise de participation dans une société concurrente, négociations, tractations, etc.). Seul est interdit l’exercice de cette activité.

Après la fin du contrat de travail, est prohibé l’acte de concurrence déloyale. Le principe de la liberté du travail permet en effet au travailleur de concurrencer son ex-employeur. La limitation à cette liberté est l’existence d’une clause de non-concurrence valable.

La notion de concurrence déloyale doit s’examiner par référence à celle de pratiques honnêtes en matière de commerce, qui sanctionnent le dénigrement (soit le fait de jeter le discrédit sur un concurrent), la confusion (soit le fait d’agissements aboutissant à ce que la clientèle se trompe et soit attirée), ou encore la désorganisation (soit interne par la divulgation de secrets de fabrication, de détournement de fichiers, etc., soit de l’activité du concurrent par le détournement de commandes, etc.). Il s’agit de comportements fautifs.

En l’espèce, la cour examine également très en détail les éléments qui lui sont soumis. Elle constate que des services ont été proposés par deux employés pendant l’exercice de leur contrat de travail. Des devis et des factures ont été déposés à la demande du tribunal du travail, factures émanant de la SPRL dans laquelle les deux intéressés ont été actifs.

D’autres éléments sont établis, étant notamment que des clients de la société (ou clients potentiels) attestent que des services leur ont été proposés par un des deux travailleurs (en tant que représentant de la société concurrente mise sur pied), alors qu’il était censé travailler pour son employeur. Il est également établi que des travaux ont été effectués dans le même contexte. Des commandes ont été passées par d’autres clients auprès de cette société.

Pour la cour, il n’est pas nécessaire d’investiguer davantage, les éléments ci-dessus étant suffisants pour établir l’existence d’une concurrence déloyale pendant l’exécution du contrat.

L’activité ainsi déployée est fautive.

La cour relève que, une fois que celle-ci a été découverte, les deux intéressés ont démissionné…

Il faut, en conséquence, évaluer l’ampleur du dommage subi.

Les parties suivent des raisonnements distincts quant à l’ampleur de celui-ci et à la méthode d’évaluation. La société se fonde sur ce qu’elle considère être le pourcentage habituel d’acceptation des devis par les clients (soit 33%) pour aboutir à la perte d’une chance de réaliser un tiers du chiffre d’affaires que représentent l’ensemble des devis émis par la société concurrente.

L’intimé considère pour sa part que, si son activité a pu avoir une incidence sur la baisse du chiffre d’affaires de la société, elle n’a pas pu en avoir sur la baisse du bénéfice, qui peut résulter de multiples facteurs, dont, en l’occurrence, l’augmentation importante des frais de personnel.

Pour la cour, si la société invoque la perte d’une chance de réaliser des chantiers, elle doit établir la réalité de celle-ci ainsi que le gain que les contrats auraient pu lui apporter. Il n’est pas établi que le chiffre découlant de l’activité concurrente qu’elle avance (soit près de 200.000 euros) soit réel.

Même s’il faut admettre qu’un préjudice a incontestablement existé, celui-ci ne peut être établi sur la base des devis rédigés ni sur la perte d’une chance de réaliser un contrat.

Le dommage ne pouvant être déterminé dans son quantum, il doit être évalué ex aequo et bono. La cour estime qu’il sera adéquatement réparé par l’octroi d’une somme forfaitaire de 75.000 euros.

La condamnation intervient in solidum. Le seul travailleur à la cause avait la qualité de représentant technico-commercial, mais le second, ouvrier chef d’équipe, avait une expérience de terrain dans la réalisation des travaux. Il y a dès lors eu des fautes concurrentes ayant occasionné le préjudice ci-dessus.

La cour examine également un poste relatif à l’octroi de dommages et intérêts pour concurrence déloyale après la cessation du contrat, poste pour lequel elle déboute la société dans la mesure où la concurrence est admise, dans cette situation, à la condition qu’elle ne soit pas déloyale, ce qui n’est pas démontré.

Intérêt de la décision

Cet affaire, qui a manifestement impliqué l’examen de très nombreuses pièces techniques et commerciales, est l’occasion pour la cour du travail de faire un rappel circonstancié de l’étendue de la liberté d’action du travailleur : pendant l’exécution du contrat, toute concurrence – quelle qu’elle soit – est interdite, et ce peu importe son importance. Par contre, une fois que le contrat de travail a cessé, le travailleur a repris sa liberté et peut entreprendre toute activité, à la condition cependant de respecter les pratiques honnêtes en matière commerciale. La cour en reprend les limites, étant que ne seront pas admis le dénigrement, la confusion, ou encore la désorganisation de l’entreprise ou de son activité.


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