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Radiation de la liste des demandeurs d’emploi : quelques précisions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 septembre 2016, R.G. 2015/AB/328

Mis en ligne le vendredi 31 mars 2017


Cour du travail de Bruxelles, 15 septembre 2016, R.G. 2015/AB/328

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 septembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles a jugé que l’usage de l’adverbe « notamment » à l’article 58, § 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne peut impliquer que le service régional de l’emploi peut ajouter n’importe quel motif aux conditions du texte, ce qui permettrait de priver un chômeur d’allocations pour un motif non prévu par la réglementation. En outre, il appartient à l’ONEm de contrôler le bien-fondé de la radiation dont le travailleur est l’objet.

Les faits

Une assurée sociale, qui demande les allocations de chômage, reçoit une décision de refus pour motif d’inadmissibilité (absence de nombre suffisant de journées de travail). Le motif est la non-prise en compte de prestations auprès d’une société, dont il n’est pas établi qu’elle avait eu une activité effective.

Un recours est introduit par l’intéressée devant le tribunal du travail et il apparaît, eu égard aux conclusions d’une enquête de l’O.N.S.S., que celle-ci pouvait néanmoins justifier du nombre de jours requis, vu l’exercice d’une occupation salariée auprès d’une autre société.

La décision de l’Office est dès lors annulée, mais ce près de trois ans plus tard.

Les allocations de chômage sont par ailleurs refusées, l’intéressée ayant fait l’objet d’une radiation de son inscription comme demandeur d’emploi par Actiris. Cette décision est intervenue au motif que l’ONEm ne communiquait plus les informations nécessaires sur le paiement des allocations. Il s’agit de deux périodes, la première de plus de seize mois et la seconde de plus de huit mois.

Le tribunal du travail, dans un jugement du 27 février 2015, a accueilli le recours, écartant les décisions administratives, en application de l’article 159 de la Constitution, au motif que la radiation n’était pas intervenue conformément à l’article 58, § 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. En outre, le premier juge relève que l’ONEm est à la base des décisions prises par Actiris et qu’il ne peut dès lors se fonder sur celles-ci, vu que les informations qu’il a lui-même communiquées n’étaient pas conformes à la réalité.

L’ONEm interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’Office considère que l’usage de l’adverbe « notamment » à l’article 58, § 1er, de l’arrêté royal, qui énumère les causes de radiation, implique que celles-ci ne sont pas limitatives. Il estime par ailleurs qu’il n’a commis aucune faute dans la gestion du dossier, ajoutant que l’intéressée aurait dû prendre l’initiative de solliciter une nouvelle inscription au moment où les décisions de radiation lui ont été adressées.

Celle-ci plaide que la radiation ne peut lui être imputée et que celle-ci ne peut par ailleurs être fondée sur l’article 58 de l’arrêté royal. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 27 mai 2008, selon lequel l’ONEm a l’obligation de vérifier si les conditions d’octroi des allocations sont réunies et doit dès lors contrôler le bien-fondé de la radiation elle-même. Si la décision n’est pas justifiée, l’Office doit l’écarter. L’intimée renvoie également à la Charte de l’assuré social, considérant que l’ONEm a manqué à son devoir d’information, n’ayant pas signalé à Actiris qu’il y avait un recours devant le tribunal du travail et qu’en conséquence elle devait légalement rester inscrite comme demandeur d’emploi.

Elle invoque à titre subsidiaire l’article 1382 du Code civil et sollicite la réparation intégrale de son dommage, étant la perte des allocations de chômage.

La décision de la cour

La cour reprend le texte de l’article 58, § 1er, de l’arrêté royal, insistant particulièrement sur l’obligation pour le chômeur de rester inscrit comme demandeur d’emploi. Elle souligne que c’est lui qui a la preuve de cette inscription et qu’en cas de radiation, il ne peut plus bénéficier des allocations à partir de celle-ci. Les dispositions visent « notamment » quatre hypothèses, étant que (i) il n’est plus disponible pour le marché de l’emploi, (ii) il ne s’est pas présenté à une convocation, (iii) il n’a pas averti ce service de son changement d’adresse ou (iv) il n’a pas accompli les formalités requises aux fins de maintenir son inscription.

En ce qui concerne la preuve de l’inscription, la procédure est prévue à l’article 36 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, étant que le chômeur doit produire une attestation du service régional de l’emploi, mentionnant la date à laquelle l’inscription a été effectuée. En outre, chaque fois qu’une demande d’allocations est introduite, la preuve de l’inscription doit être fournie (article 37).

Pour la cour, le motif sur lequel Actiris s’est fondé n’est pas prévu par l’article 58 pour justifier la radiation. Il s’agit de l’hypothèse où l’Office n’a plus communiqué d’informations sur le paiement des allocations. L’usage de l’adverbe « notamment » ne peut cependant impliquer que le service régional de l’emploi puisse ajouter à sa guise aux conditions du texte des motifs autres. Ceci permettrait de priver un chômeur d’allocations pour un motif non prévu par la réglementation.

Elle relève encore que la formulation des décisions d’Actiris est susceptible d’induire le chômeur en erreur, les informations données étant incomplètes pour lui permettre de comprendre quand il a intérêt à solliciter une réinscription. Actiris est une institution de sécurité sociale au sens de l’article 2, 2°, de la Charte de l’assuré social, en tout cas dans la mesure où elle dispose du pouvoir de retirer le droit aux allocations de chômage du fait de la radiation, et doit dès lors respecter les obligations de la Charte, dont celle d’information.

La cour du travail renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2009 (n° S.07.0115.F), également relatif à un manque d’informations sur l’obligation de rester inscrit comme demandeur d’emploi, et souligne que, dans cette décision, la Cour suprême a jugé que l’obligation d’informer d’initiative n’est pas subordonnée à la condition que l’assuré social ait préalablement demandé par écrit une information concernant ses droits.

Les devoirs d’information n’ont donc pas été respectés en l’espèce. La méconnaissance de l’article 3 a pour conséquence que les décisions prises doivent être écartées, comme l’a fait le premier juge. La cour renvoie à un autre arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2008 (n° S.07.0076.F), qui a énoncé la règle selon laquelle la radiation d’office ne lie pas l’ONEm saisi d’une demande d’allocations. Il appartient à l’Office de contrôler le bien-fondé de la radiation dont le travailleur est l’objet.

Les explications données par l’ONEm relatives à la masse d’informations à communiquer et au tri nécessaire à faire dans les données ne sont pas retenues comme motifs acceptables. La cour conclut qu’il y a faute dans le chef de l’ONEm au sens de l’article 1382 du Code civil, vu que celui-ci n’a pas affiné sa communication des personnes susceptibles d’être radiées ou attiré l’attention d’Actiris sur les réserves à formuler au sujet de la teneur de la communication.

La réparation du préjudice intervient dès lors « en nature », étant l’octroi des allocations de chômage pour les périodes litigieuses.

Intérêt de la décision

Outre le rappel de deux importants arrêts de la Cour de cassation sur la question de la radiation de l’inscription comme demandeur d’emploi, cet arrêt de la cour du travail rappelle que, dans la partie de sa mission relative à l’octroi (et au retrait) des allocations de chômage, Actiris a la qualité d’institution de sécurité sociale, même si cette institution n’accorde pas des prestations de sécurité sociale à proprement parler.

Eu égard aux lourdes conséquences de la radiation de l’inscription comme demandeur d’emploi, la cour du travail a retenu qu’il y a lieu pour le service régional de l’emploi d’être proactif et qu’il devait, en conséquence, informer le chômeur des risques liés à une radiation, ainsi que de la nécessité de se réinscrire.

Quant à l’ONEm, sa faute est avérée sur pied de l’article 1382 du Code civil et, comme il se doit, la réparation du préjudice intervient en nature par l’octroi des allocations dont l’intéressée avait été privée.


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