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Articulation entre les (anciens) articles 58 et 63 de la loi du 3 juillet 1978, ainsi qu’avec la loi du 10 mai 2007 interdisant certaines formes de discrimination

Commentaire de Trib. trav. Brabant wallon, div. Nivelles, 9 janvier 2017, R.G. 13/2.358/A

Mis en ligne le jeudi 30 mars 2017


Tribunal du travail du Brabant wallon, division Nivelles, 9 janvier 2017, R.G. 13/2.358/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 janvier 2017, le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles) aboutit, dans une espèce relative à un licenciement pour incapacité de longue durée, à l’écartement de l’article 58 de la loi du 3 juillet 1978 et retient, même si un motif d’inaptitude est admis au sens de l’article 63 de la même loi, l’existence d’une discrimination.

Les faits

Suite à son licenciement, après une incapacité de travail de longue durée, un ouvrier introduit une procédure devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles), demandant la condamnation de son ex-employeur à lui payer à titre principal une indemnité de six mois de rémunération sur la base de l’(ancien) article 63 de la loi du 3 juillet 1978, ainsi que le même montant du chef de discrimination au sens de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. A titre subsidiaire, il sollicite, au cas où le tribunal estimerait que l’article 58 de la loi du 3 juillet 1978 – en vigueur à l’époque – autorisait la société à licencier sans motif, des dommages et intérêts sur pied des articles 1134 et 1382 du Code civil.

(D’autres sommes sont également postulées, dont il ne sera pas tenu compte dans ce commentaire).

Les décisions du tribunal du travail

Le tribunal rend un premier jugement le 22 décembre 2015 par lequel la réouverture des débats est ordonnée, aux fins de répondre à trois questions. La première porte sur le point de savoir si les dispositions de la loi du 10 mars 2007 n’ont pas implicitement abrogé l’article 58, celui-ci autorisant, selon le jugement, l’employeur à licencier sur la base d’un critère protégé et étant susceptible de priver le travailleur de l’indemnité prévue par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 (le tribunal demande aux parties de tenir compte de la clause de sauvegarde de l’article 11, § 2, de la loi du 10 mars 2007). Dans l’affirmative, la deuxième question concerne le point de savoir si l’abrogation est totale ou partielle et s’il n’existe pas des exceptions qui pourraient notamment trouver à s’appliquer en l’espèce. La troisième question, posée en cas de réponse négative, est de savoir si les dispositions de la Directive 2000/78/CE n’ont pas pour effet d’écarter l’application de l’article 58.

Le jugement du 9 janvier 2017

L’affaire revient donc devant le tribunal, qui, par jugement du 9 janvier 2017 (non définitif), vide sa saisine.

Il examine en premier lieu la question de l’abrogation implicite de l’article 58 de la loi du 3 juillet 1978 par la loi du 10 mai 2007. La question sera de savoir, pour le tribunal, qui examine la disposition eu égard à la clause de sauvegarde, si l’article 58 contient une distinction imposée par ou en vertu de la loi. La disposition visant la faculté de rompre mais non l’obligation, il conclut qu’il n’y a pas de distinction imposée (directe ou indirecte). Elle doit dès lors être examinée comme contenant une discrimination indirecte à l’égard des travailleurs atteints d’une incapacité de travail de plus de six mois, puisqu’elle légitime le licenciement dans une telle hypothèse.

Cette situation est ensuite examinée au regard de l’article 3 de la loi du 10 mai 2007, ainsi que de son article 7, ce dernier disposant que constitue une discrimination directe toute distinction directe fondée sur un des critères protégés, à moins qu’il n’y ait une justification objective, un but légitime et que le caractère approprié et nécessaire des moyens de réaliser ce but soit établi. Tel n’est pas le cas.

En conséquence, il conclut que la faculté contenue à l’article 58 a dès lors été implicitement abrogée.

Sur la réparation, une double indemnité a été demandée (article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et article 18, § 2, 2°, de la loi du 10 mai 2007). Le tribunal va allouer uniquement la seconde.

En effet, pour ce qui est de l’article 63, il rappelle deux arrêts de la Cour de cassation, étant d’une part celui du 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 2010, n° S.09.0092.N) et, d’autre part, celui du 14 décembre 2015 (Cass., 14 décembre 2015, n° S.14.0082.F). Le premier a considéré qu’un licenciement pour un motif lié à l’aptitude ou à la conduite de l’ouvrier est abusif si le motif est manifestement déraisonnable, le juge du fond devant vérifier si le motif invoqué est légitime. Dans le second, la Cour suprême a rappelé, dans le cadre de l’application de l’article 63, que le caractère abusif du licenciement ne peut se déduire de la circonstance que l’inaptitude n’a pas affecté le fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service. Le tribunal reprend l’enseignement de cet arrêt, étant que, dans le cadre de cette disposition légale, dès lors que le motif est tiré de l’inaptitude de l’ouvrier, il n’y a pas lieu d’ajouter des critères d’examen supplémentaires liés à un autre motif, étant les nécessités de l’entreprise. Le tribunal souligne que ceci figurait déjà dans un arrêt du 18 février 2008 de la Cour de cassation (Cass., 18 février 2008, n° S.07.0010.F).

En outre, il ne faut pas confondre incapacité de travail et inaptitude, la première pouvant conduire à la seconde, mais cette dernière n’en est pas une conséquence nécessaire. Le tribunal conclut en l’espèce à une inaptitude du travailleur. Relevant que l’origine de cette inaptitude peut être diverse, il estime qu’il n’y a pas infraction à la loi du 3 juillet 1978, le critère de l’article 63 étant rencontré.

Pour ce qui est de la discrimination au sens de la loi du 10 mai 2007, par contre, elle existe.

La société restant en outre en défaut d’exposer les circonstances qui lui permettraient d’échapper à la condamnation de l’article 18, § 2, 2°, qui permet à l’employeur de démontrer que le traitement litigieux favorable ou désavantageux aurait également été adopté en l’absence de discrimination, le tribunal admet accueille le chef de demande relatif à l’octroi de l’indemnité équivalente à six mois de rémunération.

Intérêt de la décision

L’exercice auquel s’est livré le tribunal dans ce jugement est porteur d’enseignement. Il s’agit (à l’époque des faits) en cas d’incapacité de travail de longue durée de vérifier les liens entre les articles 58 et 63 de la loi du 3 juillet 1978, ainsi que les dispositions en matière d’interdiction de discrimination.

Après avoir constaté l’existence d’une discrimination dans le texte de l’article 58 et avoir, en conséquence, écarté celui-ci, le tribunal revient sur la notion d’inaptitude au sens de l’article 63, critère rencontré en l’espèce t qui ne s’identifie pas à une incapacité de travail. Le licenciement n’est dès lors pas abusif au sens de l’article 63.

Par contre, l’employeur restant en défaut d’établir l’absence de discrimination, l’indemnité est due. N’ayant pas davantage tâché d’en diminuer le montant par la preuve que le traitement litigieux défavorable ou désavantageux (à savoir le licenciement) aurait également été adopté en l’absence de discrimination, l’indemnité forfaitaire est celle de six mois et non de trois.

Aujourd’hui, les articles 58 et 63 ont été abrogés. Si l’on ne peut dès lors plus faire aucune référence au mécanisme de l’article 58, l’on sait cependant que, dans le cadre du contrôle du motif de licenciement au sens de la C.C.T. n° 109, l’on se réfère aux critères de l’article 63. Les développements faits par le tribunal sur les liens entre les motifs admis au sens de celui-ci et l’interdiction des discriminations restent donc tout à fait d’actualité.


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