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Accident du travail : soins médicaux remboursables et prise en charge des frais du conseil technique de la victime

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 octobre 2016, R.G. 2003/AB/43.985

Mis en ligne le mardi 14 mars 2017


Cour du travail de Bruxelles, 24 octobre 2016, R.G. 2003/AB/43.985

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 octobre 2016, la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions de prise en charge des soins médicaux exposés à l’occasion d’un accident du travail et admet, par ailleurs, que les frais de conseil technique de la victime soient récupérés auprès de l’assureur.

Les faits

En soulevant un résident de la maison de repos où elle prestait, un membre du personnel soignant s’est occasionné une lésion au dos. La prise en charge a été refusée et une procédure a été introduite devant le tribunal du travail.

Rétroactes de la procédure

Plusieurs arrêts ont été rendus, le premier, du 13 septembre 2004, considérant qu’il y avait accident du travail et ordonnant une expertise. Dans un deuxième arrêt du 12 février 2007, les séquelles de l’accident ont été précisées, suite aux conclusions de l’expert, s’agissant d’un lumbago aigu qui avait influencé un état antérieur (étant une discopathie dégénérative). Un complément de mission a été confié à l’expert.

Dans un troisième arrêt du 7 septembre 2009, vu le caractère peu concluant du complément de rapport, une nouvelle expertise a alors été confiée à un autre expert. Ce dernier déposa un rapport dont les conclusions étaient très détaillées. Ces conclusions ont été contestées par l’intéressée, qui en demande l’écartement, ce qui sera examiné dans un arrêt du 24 mars 2014. La cour y rappelle que le taux d’incapacité ne relève aucunement de la compétence du médecin-expert, mais de l’appréciation du juge (renvoyant notamment à un arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 1959, Pas., 1959, I, p. 961).

La cour avait fixé les séquelles à un taux d’I.P.P. de 10%. Restait, cependant, une discussion relative au remboursement des frais médicaux. L’intéressée demandait en effet la prise en charge de suppléments réclamés à titre privé par une clinique où elle avait séjourné. L’assureur refusait ces suppléments, considérant que l’intéressée avait, ce faisant, aggravé le coût du dommage.

La réouverture des débats fut ainsi ordonnée sur cette question ainsi que sur le point relatif aux honoraires et frais du conseil technique, ayant assuré sa défense pendant la procédure judiciaire.

L’arrêt du 24 octobre 2016

Sur les frais médicaux, la cour rappelle que la question est réglée par l’arrêté royal du 17 octobre 2000 fixant les conditions et le tarif des soins médicaux applicables en matière d’accidents du travail. Les dispositions pertinentes de cet arrêté royal sont les articles 1er et 3. L’article 1er prévoit que, si la victime a le libre choix du médecin, le tarif du remboursement est celui qui résulte de l’application de la nomenclature des prestations de santé en A.M.I. Pour les frais relatifs à des soins médicaux non repris dans la nomenclature, ceux-ci sont remboursés à concurrence de leur coût réel, dans la mesure où celui-ci est raisonnable par rapport aux tarifs pratiqués pour des prestations analogues figurant dans la nomenclature. La disposition prévoit que le remboursement de ces frais dépend de l’accord préalable de l’assureur ou du Fonds des Accidents du Travail et que cet accord est donné lorsqu’il s’agit de soins nécessaires en raison de l’accident et dont le coût est raisonnable, conformément aux critères ci-dessus.

Pour ce qui est de l’article 3, il contient le dispositif applicable en ce qui concerne les frais d’hospitalisation lorsque la victime a le libre choix de l’établissement hospitalier. Ceux-ci sont supportés par l’assureur ou le F.A.T. à concurrence du prix normal de la journée d’hospitalisation, tel que prévu par la loi sur les hôpitaux.

En l’espèce, il s’agit de suppléments réclamés par une institution hospitalière pour deux journées d’hospitalisation. Ceux-ci ne peuvent pas être remboursés, eu égard à ce qui précède.

La cour réserve ensuite d’intéressants développements à la question de la défense de la victime d’un accident du travail dans le cadre de la procédure judiciaire. Elle fait valoir qu’une juste défense implique qu’elle s’adjoigne l’assistance d’un médecin. Le fondement de sa demande est l’article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et, particulièrement, le droit à un procès équitable.

Pour l’assureur, les règles relatives à l’exigence d’un procès équitable ont été respectées dans la mesure où la victime a pu s’adjoindre ce conseil technique. Il refuse cependant de devoir assumer le coût de ses prestations.

La cour considère qu’une juste défense sur le plan médical imposait le recours à celui-ci, l’intéressée n’ayant aucune compétence en matière médicale et n’étant pas en mesure de rencontrer les éléments médicaux invoqués par l’assureur, qui dispose, lui, des services d’un médecin-conseil.

La cour renvoie ensuite à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, dont les arrêts DOMBO, ÔÇALAN et YVON. Elle s’appuie également sur l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 2006 (n° C.03.0068.F) et, particulièrement, sur les conclusions de l’Avocat général HENKES, qui a estimé que l’aide technique doit être couverte si l’on veut garantir l’effectivité de la jouissance du droit au procès équitable. Le coût trouve sa cause dans le besoin de mettre son droit en œuvre.

L’arrêt renvoie également à d’autres positions en doctrine, dont celle de B. DE CONINCK (B. DE CONINCK, Obs. sous Cass., 1re ch., 5 mai 2006, J.T., 2006, p. 343 et suivantes).

L’égalité des armes étant un principe général de droit, également reconnu comme tel par la Cr.E.D.H., la cour rappelle que le juge ne peut être un simple « spectateur » de son non-respect et que, en appliquant cette norme supérieure, il ne s’érige nullement en législateur.

Il conclut dès lors à la prise en charge des frais du conseil technique par l’entreprise d’assurances.

Intérêt de la décision

L’accident du travail dont les séquelles ont été réglées définitivement - espérons-le – dans cet arrêt du 24 octobre 2016 datait de 2001.

C’est essentiellement les difficultés des expertises qui ont entraîné une procédure aussi longue.

Les deux derniers points qui restaient à trancher sont récurrents. Le premier semble indiscutable, étant réglé par l’arrêté royal du 17 octobre 2000 fixant les conditions et le tarif des soins médicaux applicables en matière d’accidents du travail.

Le second point conclut à la prise en charge des frais du conseil technique par l’assureur. Cette position ne fait pas l’unanimité, d’autres décisions ayant conclu par la négative. L’on peut renvoyer, sur la question, à M. JOURDAN, « Les frais de conseil technique en accidents du travail », Chron. Dr. Soc., 2016, p.1 et s.


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