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Personnel d’ambassade et sécurité sociale

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 7 septembre 2016, R.G. 2012/1.139/A

Mis en ligne le lundi 13 février 2017


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 7 septembre 2016, R.G. 2012/1.139/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 7 septembre, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle les conditions dans lesquelles un membre du personnel d’une ambassade peut être exempté de l’assujettissement à la sécurité social belge, et ce en vertu des articles 33 et 37 de la Convention de Vienne.

Les faits

Un ressortissant canadien résidant en Belgique, en possession d’une carte de séjour spéciale (ou protocolaire), délivrée en sa qualité d’époux d’une ressortissante canadienne, elle-même employée au service d’une représentation diplomatique étrangère, est engagé en qualité de chauffeur pour le compte d’une autre ambassade en 2007. Il obtient, suite à cet engagement, une nouvelle carte d’identité spéciale, en qualité personnelle.

Trois ans plus tard, un incident oppose l’intéressé à un membre du personnel et un courrier lui est envoyé, lui notifiant que, en raison de son comportement, il est licencié.

Le tribunal du travail est saisi, aux fins d’obtenir le règlement des sommes revenant à l’intéressé suite à la rupture du contrat de travail. Des chefs de demande complémentaires sont portés devant le tribunal, relatifs essentiellement au respect de la législation sociale belge pendant la durée de l’occupation.

La décision

Le tribunal relève que sa compétence n’est pas contestée, l’Etat étranger n’entendant pas se prévaloir de son immunité de juridiction ni s’opposer à l’application du droit belge. Il rappelle à cet égard que l’immunité de juridiction et d’exécution ne s’applique qu’aux actes de souveraineté de l’Etat et non aux actes de gestion privée, parmi lesquels figurent l’engagement et le licenciement de membres du personnel non chargés de missions diplomatiques.

Le tribunal va, ensuite, départager les parties en ce qui concerne la qualité du travailleur, dont il est conclu qu’il est ouvrier.

En ce qui concerne la rupture du contrat, reprenant les éléments de fait et l’attitude des parties lors de l’incident litigieux, il conclut que l’intéressé a droit à une indemnité compensatoire de préavis.

Plus délicate est la question de l’assujettissement du chauffeur à la sécurité sociale pendant toute la durée d’occupation.

La Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques dispose en son article 33 (§§ 1er et 4) que l’agent diplomatique est exempt des dispositions en matière de sécurité sociale en vigueur dans l’Etat accréditaire, exemption qui n’exclut cependant pas la participation volontaire de cet Etat pour autant qu’elle soit admise par lui. En vertu de l’article 37, § 3, de la Convention, les membres du personnel de service de la mission qui ne sont pas ressortissants de l’Etat accréditaire ou qui n’ont pas leur résidence permanente dans celui-ci bénéficient de l’immunité pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et de l’exemption des impôts et taxes sur les salaires qu’ils reçoivent du fait de leur service, de même que de l’exemption prévue ci-dessus.

Pour le tribunal, l’intéressé aurait pu être exempté des cotisations de sécurité sociale, dans la mesure où il est un membre du personnel de service, qu’il n’est pas ressortissant belge et qu’il ne peut être considéré comme ayant eu sa résidence permanente en Belgique.

La notion de résidence permanente n’est pas définie dans la Convention de Vienne et le tribunal renvoie aux directives du SPF Affaires étrangères à cet égard. Au sens de la Convention, les résidents permanents sont ceux qui sont titulaires d’un titre de séjour ordinaire, tandis que les titulaires d’une carte de séjour spéciale délivrée dans le cadre d’un statut privilégié constituent une autre catégorie. Il y a lieu, dans l’esprit de la Convention, de favoriser le maintien du lien avec le système légal de l’Etat accréditant vu l’intérêt limité d’appliquer la législation de l’Etat accréditaire à du personnel caractérisé par une mobilité territoriale.

Si, cependant, en l’espèce, l’intéressé a un certificat de résidence historique, pour le tribunal, ce n’est pas une résidence permanente, dans la mesure où la carte de séjour dont il bénéficiait était une carte spéciale liée au statut de son conjoint. Il était dès lors sans intérêt que cette personne soit déjà sur le territoire de la Belgique au moment où le contrat a été signé.

Cependant, contractuellement, l’Etat étranger a pris l’engagement d’affilier l’intéressé à la sécurité sociale belge en l’absence de couverture sous le régime de l’Etat accréditant (ou d’un Etat tiers). Pour le tribunal, il s’agit d’un engagement tout à fait licite. En l’espèce, l’Etat étranger restant en défaut d’établir l’existence d’une couverture de sécurité sociale quelconque – voire par le biais d’une assurance privée –, il doit payer les cotisations sociales dans le régime belge. En ce qui concerne la quote-part du travailleur, celle-ci ne pourra être récupérée eu égard à l’article 26 de la loi du 27 juin 1969.

Le travailleur faisant état d’un préjudice découlant du non-assujettissement à la sécurité sociale, le tribunal souligne que, en vertu de l’article 26, alinéa 2, de la loi du 27 juin 1969, l’employeur est tenu de réparer le préjudice subi par le travailleur à la suite de l’omission ou du retard dans le transfert des cotisations.

Le préjudice lui-même consiste en la perte de prestations de sécurité sociale auxquelles il a droit et dont il a été privé. Le tribunal renvoie ici à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 15 septembre 2011 (C. trav. Brux., 15 septembre 2011, R.G. 2010/AB/760). La période visée étant de 40 mois, le tribunal estime ne pas être suffisamment informé dans l’état de l’instruction du dossier quant au préjudice réel indemnisable. En effet, celui-ci serait très différent si l’Etat étranger régularisait la situation. Il décide, dès lors, de rouvrir les débats sur la question.

En l’état actuel, il a déjà vidé sa saisine sur l’obligation de payer les cotisations de sécurité dans le régime belge.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Bruxelles rappelle les conditions dans lesquelles la Convention de Vienne autorise l’exemption à l’assujettissement à la sécurité sociale belge. L’intérêt particulier de l’espèce tranchée est que l’intéressé était résident en Belgique lorsque le contrat de travail a été signé, mais, pour le tribunal, la condition de « résidence permanente » n’est pas rencontrée ici, eu égard aux conditions particulières de l’autorisation de séjour.

Le tribunal souligne encore que la possibilité d’exemption est justifiée, dans l’esprit de la Convention de Vienne, afin de favoriser le maintien du lien avec la législation de l’Etat accréditant, dans la mesure où le personnel concerné est susceptible de travailler successivement dans plusieurs ambassades et dans des pays distincts.


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