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Un lien de subordination peut-il exister avec un second employeur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er septembre 2016, R.G. 2015/AB/469

Mis en ligne le lundi 13 février 2017


Cour du travail de Bruxelles, 1er septembre 2016, R.G. 2015/AB/469

Terra Laboris

Dans un arrêt du 1er septembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles examine un dossier de cotisations de sécurité sociale, où l’Office réclame le paiement de très importantes cotisations sur des montants ‘uniques et discrétionnaires’ versés par une société appartenant au même groupe que l’employeur et qui a chargé des membres du personnel de direction de celui-ci d’effectuer des prestations en vue de la restructuration du groupe : il peut y avoir (ce qui sera retenu en l‘espèce) contrat de travail.

Les faits

Une société faisant partie d’un grand groupe est amenée, dans le cadre d’une restructuration de celui-ci à faire appel aux services de divers membres de la direction d’une société sœur aux fins de faciliter les opérations de remaniement interne. Elle leur versera ensuite une indemnité ‘unique et discrétionnaire’, qu’elle considère non soumise aux cotisations de sécurité sociale.

Une convention est en outre conclue avec une employée supérieure, convention par laquelle la société lui verse une indemnité compensatoire de préavis de 26 mois, ainsi qu’une indemnité pour discrimination fixée à l’équivalent de 6 mois de rémunération, et ce au motif d’une discrimination vu son licenciement intervenu à l’âge de 55 ans et la perte d’une chance de bénéficier d’une prépension. Le total est de l’ordre de 410.000 €. Les cotisations de sécurité sociale sur la deuxième indemnité versée sont également considérées comme n’étant pas dues, s’agissant d’une indemnité venant réparer un préjudice.

Suite à une enquête de l’O.N.S.S., le paiement des cotisations est demandé sur ce cas particulier. Par la voie de ses conseils, la société conteste le point de vue de l’O.N.S.S., les cotisations étant parallèlement payées, mais sous réserve. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 43.500 €.

L’Office signale, ultérieurement, que les autres indemnités payées doivent également se voir reconnaître un caractère rémunératoire et il réclame des cotisations sur celles-ci. Elles sont payées sous réserve, comme les premières. Il s’agit ici d’un montant de l’ordre de 1.200.000€.

La société introduit une procédure devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles aux fins d’obtenir le remboursement, ainsi que les intérêts moratoires.

Par jugement du 28 novembre 2014, le tribunal déboute la société de sa demande et la condamne, en sus, à une indemnité de procédure de 16.500 €.

Appel est interjeté, la société demandant, comme en première instance, le remboursement des cotisations ainsi que les intérêts moratoires. Sur les dépens, elle demande la condamnation de l’O.N.S.S. au paiement des deux indemnités de procédure (première instance et appel), d’un total de 33.000 €.

La décision de la cour

La première question rencontrée dans l’arrêt est celle de savoir si les cotisations de sécurité sociale sont dues sur les indemnités versées par la société, les membres du personnel visés appartenant à une autre société du même groupe. La question est dès lors de savoir si - les cotisations étant dues sur la rémunération du travailleur - il y a contrat de travail, permettant de considérer les sommes versées comme rémunératoires.

Pour la cour, le fait que les intéressés aient été des travailleurs d’une autre société ne fait pas obstacle à ce qu’ils aient également pu avoir la qualité de travailleur pour une autre, aucune disposition légale n’interdisant d’être au service de plusieurs employeurs en même temps. La cour considère, à partir de l’examen des données de l’espèce, que la mission qui a été remplie par les membres de l’équipe de direction de la société B, dans le cadre de la vente de la société (et des sociétés sœurs), leur a été confiée par la société A. L’on peut dès lors conclure à l’existence d’une mission confiée, dans laquelle des prestations furent exécutées dans le contexte de la vente des sociétés. Dans le cadre de cette mission, la société A exerçait son autorité sur le personnel de direction de la société B.

Après avoir repris les règles dégagées par la Cour de cassation, étant que l’exercice de l’autorité doit, pour exister, être possible même si celle-ci n’est pas effective, la cour examine une autre composante du contrat de travail, étant l’exigence d’une rémunération. Elle constate que la société A s’est engagée à payer à ces membres de la direction des montants qui ne peuvent qu’avoir un caractère rémunératoire, dans la mesure où ils constituent la contrepartie du travail fourni.

La cour en vient ensuite à la question de savoir si les cotisations de sécurité sociale doivent être payées sur ceux-ci et elle examine, ici, les conditions de l’article 14, § 1er, de la loi O.N.S.S. La société plaidant qu’il n’y a pas de rémunération au sens de l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération, au motif que les intéressés n’avaient pas de droit à ces indemnités, la cour répond qu’effectivement, pour qu’un montant ait un caractère rémunératoire, le travailleur doit y avoir droit. Pour la cour, ceci signifie que, dès lors qu’un avantage constitue la contrepartie du travail fourni, le travailleur y a droit, au sens de l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération. En l’espèce, elle constate que la société A a qualifié le paiement intervenu de « unique et discrétionnaire », mais cette circonstance est indifférente. Il s’agit de montants constituant de la rémunération et les cotisations de sécurité sociale sont dues en vertu de l’article 14 § 1er de la loi O.N.S.S.

En ce qui concerne plus spécifiquement le membre du personnel de direction qui a bénéficié d’une indemnité particulière pour discrimination, la cour examine ensuite si celle-ci est passible de cotisations de sécurité sociale, rappelant les exceptions prévues à l’article 19 § 2 2° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, qui vise diverses hypothèses dans lesquelles les indemnités versées ne sont pas considérées comme rémunération. Ces hypothèses concernent le cas où l’employeur ne respecte pas ses obligations légales, contractuelles ou statutaires (à l’exception des indemnités dues pour rupture irrégulière du contrat par l’employeur, en cas de rupture unilatérale pour les délégués du personnel et pour les délégués syndicaux, ainsi qu’en cas de cessation du contrat de travail d’un commun accord). La société fait valoir que la raison d’être de cette indemnité versée réside dans l’existence d’une discrimination, au motif que l’intéressée a été licenciée à l’âge de 55 ans et qu’elle ne pouvait, ainsi, pas faire appel à la prépension (régime applicable à l’époque), qui n’était accessible qu’à partir de 58 ans.

Pour la cour, qui renvoie à la loi anti-discrimination, il faut vérifier ici si la personne a été traitée de manière moins favorable qu’une personne de référence, et ce eu égard au critère protégé. En l’espèce, l’intéressée pourrait considérer qu’elle a été discriminée du fait de son âge, étant qu’elle aurait été traitée moins favorablement qu’un autre travailleur dans une situation comparable, mais cette preuve n’est pas apportée. Dès lors que la comparaison est faite avec un travailleur de 58 ans, la cour estime qu’il ne s’agit pas de deux personnes se trouvant dans une situation comparable.

Elle estime en conséquence qu’il n’y a pas eu de discrimination et que l’indemnité n’est pas exempte de cotisations de sécurité sociale.

Intérêt de la décision

Sur la première question, qui vise la nature du paiement fait par une société à des membres du personnel d’une autre, la cour retient très justement l’existence du lien de subordination ainsi que le droit pour ceux-ci à une rémunération, s’agissant de la contrepartie d’un travail fourni. Le contrat de travail existant entre ces travailleurs avec une autre société ne fait pas obstacle à ce que l’on puisse retenir l’existence d’instructions et d’un lien de subordination pour les prestations effectuées pour le compte d’un autre employeur.

Sur la question plus particulière de la discrimination, l’on ne peut s’empêcher de relever le caractère artificiel du recours à cette voie d’indemnisation, manifestement intervenu aux fins d’échapper au paiement des cotisations de sécurité sociale. Vu le caractère d’ordre public de la loi, le juge examine ici, dans le cadre du litige O.N.S.S. (dans lequel le travailleur en cause n’est pas impliqué) l’existence d’une possible discrimination, mais rien ne vient cependant l’étayer…


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