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Vie privée au travail et protection des communications électroniques

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 août 2016, R.G. 2014/AB/763

Mis en ligne le lundi 13 février 2017


Cour du travail de Bruxelles, 4 août 2016, R.G. 2014/AB/763

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 août 2016, la Cour du travail de Bruxelles revient sur la protection de la vie privée au travail telle que garantie par la C.C.T. n° 81 du 22 avril 2002 et par la loi du 13 juin 2005 relative aux communications téléphoniques, rappelant, sur la plan de la régularité de la preuve, l’importance d’une décision rendue par la Cour de Justice de l’Union européenne le 17 décembre 2015 (en matière fiscale).

Les faits

Une société de consultance en management a engagé un « Senior Consultant » en 2007, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Des discussions interviennent entre les parties vu le projet de constitution d’une société destinée à recevoir et gérer une branche d’activités de la société employeur. Le travailleur est impliqué, vu l’intérêt marqué par lui dans cette initiative. Il n’y est pas transféré mais il investit, en fin de compte, à raison de 10% des parts du capital de cette société. Il n’en informe pas son employeur.

Parallèlement, il constitue une société de consultance en management dont il est l’actionnaire principal (99%), le pourcent restant étant détenu par un consultant indépendant préalablement au service de la société employeur.

Une lettre de licenciement pour motif grave est envoyée par la société le 27 mai 2011, portant essentiellement sur des actes de concurrence. Ceux-ci sont apparus suite à diverses investigations faites et, dans la lettre de licenciement, il est précisé que le disque dur de l’ordinateur a été copié par un représentant de la société en présence d’un huissier de justice. Il est souligné que l’employé a accepté la chose et avait d’ailleurs remis son ordinateur portable. Une fois la copie achevée, un exemplaire a été emporté par l’huissier et l’autre a été conservé par le responsable afin d’enquêter sur les fichiers et données disponibles. Il est ressorti, pour l’employeur, que les premières explications données par l’employé quant à la situation exacte étaient fausses et qu’il avait « très certainement été intensivement occupé avec l’exécution d’activités concurrentielles » pendant la durée du contrat de travail. Lui est reproché, en sus de l’exercice d’une concurrence, un mensonge.

Par jugement du 5 mai 2014, l’employé a été débouté de la demande qu’il avait introduite, portant essentiellement sur une indemnité compensatoire de préavis, ainsi que sur la réparation d’un préjudice en matière d’épargne-investissement.

La décision de la cour

Suite à l’appel du travailleur, la cour fait l’examen classique des éléments constitutifs du licenciement pour motif grave, constatant le respect des délais et l’absence d’obligation de procéder à une audition préalable.

De plus longs développements sont consacrés à la régularité de la preuve, l’intéressé invoquant une violation du droit au respect de sa privée et renvoyant aux textes internationaux à cet égard. Il se fonde également, outre la C.C.T. n° 81 du 22 avril 2002, sur l’article 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques. Il plaide qu’aucun choix ne lui a été laissé de remettre ou non son ordinateur et explique qu’il avait l’autorisation d’utiliser celui-ci à des fins privées.

La cour rappelle la protection accordée par la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, en son article 124. Celui-ci interdit la prise de connaissance d’informations transmises par voie de communication électronique sans l’autorisation des personnes concernées, sous peine de sanction pénale. Ces communications sont celles tant à caractère professionnel que privé. Si cette disposition n’est pas applicable notamment lorsque la loi permet ou impose l’accomplissement des actes visés (selon les termes de l’article 125), l’article 17, 2°, LCT ne peut constituer un tel fondement permettant d’écarter l’application de l’article 124.

La cour voit également une violation de la C.C.T. n° 81.

Reste, en conséquence, à déterminer les effets de l’irrégularité constatée. La question est de savoir si la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 10 mars 2008, n° S.07.0073.N), rendue en matière de chômage, trouve à s’appliquer dans les relations de travail.

Un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 7 février 2013 a conclu par la négative (la cour relevant ici que les circonstances examinées dans cette décision étaient complétement différentes, l’employeur ayant examiné le contenu de l’ordinateur du travailleur en son absence (incapacité de travail) et sans son consentement).

La sanction de l’irrégularité de la preuve est l’inadmissibilité de celle-ci. L’employeur ne peut en effet être autorisé à porter atteinte au droit fondamental à la protection de la vie privée et violer des dispositions sanctionnées pénalement et qui encadrent le contrôle des données de communications électroniques, à l’effet d’établir un motif grave, même non-constitutif d’une infraction pénale.

La cour renvoie encore à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 17 décembre 2015, rendu en matière fiscale, concluant à l’obligation pour le juge national d’écarter les éléments de preuve obtenus de manière irrégulière. Pour la cour, cette jurisprudence a une portée qui va au-delà de la seule sphère fiscale et déborde également sur la jurisprudence pénale « Antigone », vu qu’elle réaffirme le principe de la stricte légalité de la preuve comme critère d’écartement de la preuve recueillie irrégulièrement. Elle renvoie aux commentaires faits de cet arrêt de la Cour de Justice (KONING, Fr., « Mort de la transposition en matière fiscale de la jurisprudence pénale Antigone ? », J.T., 2016, p. 397).

En l’espèce, il ne s’agit pas de communications électroniques mais de fichiers stockés sur le disque dur. L’irrégularité de la preuve ne pourrait dès lors porter que sur les e-mails ou les données de trafic internet. Or, en l’espèce, ce qui est examiné au titre d’éléments de preuve consiste essentiellement en une douzaine de fichiers qui se trouvaient sur le disque dur (fichiers Word, PDF, Excel et Powerpoint).

L’irrégularité constatée (peu d’emails ayant été produits et étant issus d’une messagerie Hotmail privée mais récupérés via l’historique de navigation d’Internet Explorer), la cour conclut que l’irrégularité ne peut avoir qu’une incidence très marginale sur l’admissibilité des preuves.

Elle en vient, ensuite, à l’examen du motif grave en lui-même et suit l’employé lorsqu’il explique que la plupart des documents invoqués sont contemporains de l’époque où des négociations étaient menées - avec les représentants de l’employeur d’ailleurs - à propos de la société en constitution, qui devait reprendre une branche d’activité et dans laquelle il avait été question que le travailleur soit envoyé.

En fin de compte, après avoir procédé à un examen approfondi des pièces, la cour relève que ce qu’il faut examiner c’est si les éléments informatiques révèlent des actes de concurrence posés par le travailleur. Reprenant encore très en détail l’ensemble de ceux-ci, elle conclut que la société, qui a la charge de la preuve, n’établit en aucune manière que les documents qu’elle pointe révèlent l’existence d’actes de concurrence déloyale.

Elle décide, dès lors, de réformer le jugement, constatant que l’employeur reste en défaut de prouver qu’au cours des relations contractuelles, l’employé aurait effectivement posé des actes de concurrence au profit de la société tierce.

L’indemnité compensatoire de préavis est dès lors allouée, ainsi que la prime de fin d’année.

En ce qui concerne la demande d’indemnisation dans le cadre du plan d’épargne d’investissement, auquel la société proposait chaque année à ses employés de participer, la cour considère ce chef de demande non suffisamment établi et déboute l’appelant de ce poste.

Intérêt de la décision

C’est sur plan de l’évolution de la jurisprudence en matière de régularité de la preuve que l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 4 août 2016 est important.

La jurisprudence Antigone est bien connue et son application à la matière sociale a été fortement discutée.

Dans l’arrêt commenté, la Cour du travail de Bruxelles relève l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 17 décembre 2015 (C.J.U.E., 17 décembre 2015, n° C-419/14, Aff. WebMindLicenses Kft. c/Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vám Főigazgatóság), dont la portée dépasse, selon la doctrine, la sphère fiscale. Y est réaffirmé le principe de la stricte légalité de la preuve comme critère d’écartement de la preuve recueillie irrégulièrement. L’arrêt renvoie également très utilement à une précédente décision de la Cour du travail de Bruxelles du 7 février 2013 (C. trav. Brux., 7 février 2013, R.G. 2012/AB/1.115), qui avait conclu que l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2008, rendu en matière de chômage, ne pouvait permettre à l’employeur de violer le droit fondamental à la protection de la vie privée pour établir un motif grave.

Rappelons encore sur la question l’arrêt BARBULESCU de la Cour Eurropéenne des Droits de l’Homme, du 12 janvier 2016, qui s’est prononcé sur la question de savoir si l’utilisation à des fins privées d’un ordinateur mis à la disposition du travailleur à des fins professionnelles est protégée par l’article 8 C.E.D.H. ( Cr.E.D.H., 4e Section, 12 janvier 2016, Req. 61.496/08 - BĂRBULESCU c/ ROUMANIE). Ce dernier arrêt n’est pas définitif.


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