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Non-conformité avec le droit européen des retenues opérées sur les pensions complémentaires de bénéficiaires résidant à l’étranger

Commentaire de C.J.U.E., 26 octobre 2016, Aff. n° C-269/15

Mis en ligne le vendredi 27 janvier 2017


Cour de Justice de l’Union européenne, 26 octobre 2016, Aff. n° C-269/15

TERRA LABORIS

Par arrêt du 26 octobre 2016, la Cour de Justice répond à la question posée par la Cour de cassation dans son arrêt du 18 mai 2015 concernant les retenues effectuées en Belgique sur les pensions complémentaires dues à un bénéficiaire qui ne réside pas sur le territoire belge mais dans un autre Etat membre, dont la législation nationale lui est applicable.

Rétroactes

Un citoyen de nationalité hollandaise est occupé pour un employeur belge jusqu’à la fin de l’année 2004. Il travaille ultérieurement à l’étranger et s’établit en 2007 en Irlande avec son épouse. Il atteint à ce moment l’âge de 60 ans et bénéficie de deux montants très importants, versés au titre de capital-pension. Il s’agit d’un total de près de 1.200.000€. Des retenues sont opérées sur celui-ci, étant d’une part 3,55% au bénéfice de l’I.N.A.M.I. et 2% pour l’Office national des pensions. La première retenue est faite en application de l’article 191, § 1er, 7°, de l’arrêté royal du 14 juillet 1994 portant coordination de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités et la seconde sur la base de l’article 68 de la loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales. L’intéressé conteste ces retenues et introduit un recours devant le tribunal du travail.

La procédure

Par jugement du 28 octobre 2011, le Tribunal du travail de Bruxelles fait droit à la demande de remboursement. Suivant le point de vue du demandeur, le premier juge considère que les retenues sont en contradiction avec les dispositions du droit européen et particulièrement l’article 13 du Règlement 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale. En vertu de cette disposition, des retenues ne pourraient être opérées que dans un seul Etat membre, à savoir en l’occurrence l’Irlande, Etat où l’intéressé a sa résidence habituelle au moment du paiement de la pension complémentaire.

L’arrêt de la cour du travail du 6 septembre 2012

La cour confirme le jugement, rappelant les principes communautaires sur la question.

En vertu de l’article 13 du Règlement 1408/71, un citoyen européen ne peut être soumis qu’à un seul droit national (sauf exception). Ceci a notamment pour objectif d’éviter que les cotisations correspondantes soient payées dans plus d’un Etat.

Le texte initial de l’article 13 a été modifié par le Règlement 2195/91 du 25 juin 1991.

Pour la cour, les dispositions de droit belge qui prévoient des retenues sur la pension d’une personne soumise à la législation d’un autre Etat sont actuellement en contradiction avec l’article 13 du Règlement, de telle sorte qu’elles doivent être écartées.

L’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2015

La Cour de cassation rend un long arrêt, reprenant l’ensemble de la problématique. Elle décide de surseoir à statuer, adressant par voie préjudicielle une question à la Cour de Justice. Celle-ci porte sur le point de savoir si l’article 13, § 1er, du Règlement 1408/71 fait obstacle à ce qu’une cotisation (étant la retenue opérée en application de l’article 191, § 1er, 7°, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et la cotisation de solidarité due en application de l’article 68 de la loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales) soit retenue sur des prestations de régimes de pensions complémentaires belges qui ne sont pas des législations au sens de l’article 1er, j), alinéa 1er, du même Règlement, lorsque celles-ci sont dues à un ayant-droit qui n’habite pas en Belgique et qui, conformément à l’article 13, § 2, f), du même Règlement est soumis à la législation sur la sécurité sociale de l’Etat membre où il réside.

La décision de la Cour de Justice

La Cour commence par rappeler la définition du terme « législation » au sens de l’article 1er, j), 1er alinéa, du Règlement. Il s’agit pour chaque Etat membre de viser les lois, les règlements, les dispositions statutaires et toutes autres mesures d’application existantes ou futures, concernant les branches et les régimes de sécurité sociale visés à l’article 4, §§ 1er et 2.

Ceci exclut les dispositions conventionnelles existantes ou futures, qu’elles aient fait ou non l’objet d’une décision des pouvoirs publics les rendant obligatoires ou étendant leur champ d’application.

Si les prestations des régimes de pensions complémentaires ne sont pas des législations, les retenues, étant la cotisation prélevée sur ceux-ci, sont susceptibles de rentrer dans le champ d’application matérielle du Règlement.

La Cour renvoie ainsi à sa jurisprudence (arrêt DE RUYTER, 26 février 2015, Aff. C-623/13), où elle a rappelé le contenu large du terme « législation ». Même si un prélèvement est qualifié d’impôt par la loi nationale, il peut entrer dans le champ d’application du Règlement. De même, les prélèvements qui portent sur les revenus du patrimoine peuvent être inclus si le produit du prélèvement est affecté (directement et spécifiquement) au financement de la sécurité sociale. L’objectif poursuivi par le Règlement, comme le rappelle la Cour, qui s’appuie sur de nombreuses décisions de sa jurisprudence, est d’assurer la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne en retenant pour principe l’égalité de traitement au regard des différentes législations nationales.

Le régime de la coordination contient des règles de conflit, dont le caractère complet a pour effet de soustraire au législateur national le pouvoir de déterminer l’étendue et les conditions d’application de sa législation quant aux personnes qui y sont soumises et quant au territoire à l’intérieur duquel elles produisent leurs effets. C’est le principe d’unité de la législation applicable prévu à l’article 13, § 1er. La Cour rappelle que, vu la modification intervenue par le Règlement (CEE) 2195/91, ce principe s’applique également aux travailleurs qui ont cessé définitivement leurs activités professionnelles.

En l’espèce, il s’agit d’un retraité résidant en Irlande, soumis à la législation sociale de cet Etat. Il ne peut dès lors être soumis par un autre Etat à des dispositions légales instaurant des cotisations telles que celles en l’espèce. La Cour rappelle encore que les pensions complémentaires reposent sur des dispositions conventionnelles et que les règles matérielles relatives aux droits des titulaires de pension ou des rentes ne sont pas applicables à celles-ci. Elle conclut que l’article 13, § 1er, du Règlement 1408/71 s’oppose à la réglementation belge qui, en l’espèce, prélève des cotisations présentant un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois régissant les branches de la sécurité sociale visées à l’article 4 du Règlement sur des prestations qui proviennent de régimes de pensions complémentaires alors même que le bénéficiaire ne réside pas dans l’Etat membre et se trouve soumis en matière sociale à la législation de l’Etat membre où il réside (conformément à l’article 13, § 2, f)).

La réponse donnée par la Cour est dès lors la non-conformité de la législation belge.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de principe vient confirmer la jurisprudence constante de la Cour de Justice.

L’on peut à cet égard renvoyer – comme la référence en est d’ailleurs faite dans l’arrêt lui-même – à un précédent arrêt du 26 février 2015 (C.J.U.E., 26 février 2015, Aff. C-623/13, DE RUYTER – précédemment commenté), dans lequel la Cour avait repris divers arrêts rendus sur les critères du lien direct et suffisamment pertinent que doit présenter la disposition nationale avec les lois régissant les branches de sécurité sociale au sens de l‘article 4. Elle avait rappelé qu’un prélèvement peut être qualifié d’impôt par une législation nationale, mais que ceci n’exclut nullement qu’il puisse être considéré comme relevant du champ d’application du Règlement. Le critère déterminant est l’affectation spécifique au financement d’un régime de sécurité sociale. L’arrêt DE RUYTER avait retenu, dans la foulée, que la même conclusion s’impose pour les prélèvements qui ne frappent pas des revenus de remplacement mais qui sont assis sur des revenus du patrimoine, dès lors que l’affectation directe et spécifique au financement de certaines branches de la sécurité sociale est établie.


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