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Audition préalable au licenciement d’un contractuel du secteur public : un arrêt du Conseil d’Etat

Commentaire de C.E., 27 septembre 2016, n° 235.871

Mis en ligne le vendredi 27 janvier 2017


Conseil d’Etat, 27 septembre 2016, n° 235.871

Terra Laboris

Par arrêt du 27 septembre 2016, le Conseil d’Etat confirme l’absence d’obligation d’audition préalable au licenciement du contractuel du secteur public, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation sur la question du 12 octobre 2015.

Les faits

Un agent d’une société intercommunale (SCRL) est convoqué en vue d’une audition. Le motif de celle-ci n’est pas précisé. Il ne se présente pas, n’ayant d’ailleurs pas réceptionné l’avis de passage. Il est licencié, le même jour, au motif d’une rupture de confiance et d’un comportement inadéquat. L’employeur paie une indemnité compensatoire de préavis, l’agent étant dispensé de prestations.

Via son organisation syndicale, l’intéressé introduit un recours gracieux auprès de l’autorité de tutelle, arguant de l’irrégularité du licenciement, essentiellement sur le plan du délai pour la convocation, de l’absence d’audition et sur l’incompétence de l’auteur de l’acte.

La décision est annulée par un arrêté pris par la tutelle. La motivation de cet arrêté conclut qu’il y a illégalité, au motif que les signataires de la lettre de rupture n’étaient pas compétents pour prendre la décision. Il est également constaté que n’a pas été respecté le principe « audi alteram partem », qui s’impose à toute autorité administrative. Celui-ci suppose également un accès au dossier, qui n’a pas été donné en l’espèce, et il est ainsi conclu à la violation du principe général du respect des droits de la défense.

Un recours est introduit devant le Conseil d’Etat.

Le recours devant le Conseil d’Etat

Le premier moyen est fondé sur la question de la compétence du président et du directeur général pour adopter la décision de licenciement.

Le second moyen porte sur les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, ainsi que sur les principes d’égalité et de non-discrimination, sur la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, sur les articles 37 et 39 LCT, sur les principes généraux de bonne administration, ainsi que sur l’erreur manifeste d’appréciation et l’excès de pouvoir.

La position de la partie adverse

La partie adverse plaide que les deux moyens sont distincts et que chacun se suffit à lui-même pour justifier l’annulation de la décision de licenciement.

Sur le second, plus spécifiquement, elle considère que la loi du 29 juillet 1991 n’est pas visée, ne s’agissant pas en l’espèce d’une question de motivation mais de la méconnaissance de l’exigence d’audition préalable. Elle rappelle que le principe « audi alteram partem » constitue un principe de bonne administration et que celui-ci s’applique aux autorités administratives quelle que soit la matière en cause.

Elle précise que la partie requérante ne peut être suivie lorsqu’elle estime que l’audition préalable n’est pas requise dans l’hypothèse d’un licenciement moyennant préavis à prester ou paiement de l’indemnité compensatoire. Elle fait valoir que la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle l’employeur public doit permettre à l’agent de faire valoir ses observations, en vertu de l’adage « audi alteram partem », s’applique autant aux contractuels qu’aux statutaires. Elle renvoie également à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 8 janvier 2013, qui a jugé que, si la loi du 3 juillet 1978 ne prévoit pas d’obligation préalable avant la notification d’un licenciement, ceci n’empêche qu’en sa qualité d’autorité administrative, l’employeur public est astreint au respect de règles propres au droit administratif, dont le principe général relatif au droit d’être entendu. Il y a cumul des garanties offertes à l’agent contractuel par le droit administratif et des droits puisés dans la loi relative aux contrats de travail, sous réserve de l’hypothèse dans laquelle l’application du principe général serait incompatible avec la loi du 3 juillet 1978.

Elle conteste également la position de la Cour de cassation dans son arrêt du 12 octobre 2015.

L’arrêt du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat accueille le premier moyen, considérant que le débat porte non sur la compétence de l’auteur de l’acte, mais sur la compétence de l’intercommunale elle-même. Il rappelle ici qu’il n’est lui-même pas compétent pour connaître du licenciement d’un membre du personnel contractuel.

Il statue également sur le second moyen, rappelant la controverse sur l’application des principes généraux de bonne administration au licenciement d’un agent contractuel d’un employeur public. Il renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015, qui a, selon lui, mis un terme à celle-ci. La Cour de cassation y ayant affirmé que ni la loi du 29 juillet 1991 ni les principes généraux de bonne administration, et plus particulièrement celui de l’audition préalable, ne s’appliquent au licenciement de l’agent contractuel au service d’un employeur public et, y précisant qu’un principe général de bonne administration ne saurait faire obstacle à l’application des dispositions de la loi du 3 juillet 1978 LCT. L’on ne peut dès lors conclure que le principe « audi alteram partem » imposait, en l’espèce, à l’employeur d’entendre l’intéressé avant de le licencier.

Le Conseil d’Etat accueille dès le recours.

Intérêt de la décision

L’affaire en cause vient devant le Conseil d’Etat vu le recours gracieux à l’autorité de tutelle et à l’accueil de celui-ci par cette autorité. Il y a dès lors lieu à recours devant la juridiction administrative et non devant le tribunal du travail. La question aurait cependant pu se poser devant celui-ci.

L’on notera en l’espèce que le litige porte essentiellement sur l’obligation d’audition, la question de la motivation – et donc de l’application de la loi du 29 juillet 1991 – n’étant pas abordée.

Dans la mesure où le principe « audi alteram partem » est compris comme étant un principe général de bonne administration, permettant le respect des droits de la défense, le Conseil d’Etat renvoie sans plus à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 (précédemment commenté), qui avait précisé que ni la loi du 29 juillet 1991 ni les principes généraux de bonne administration (plus particulièrement celui de l’audition préalable) ne s’appliquent dans une telle hypothèse. Un principe général ne peut, pour la Cour de cassation, faire obstacle aux dispositions de la loi du 3 juillet 1978, qui n’impose pas une telle audition préalable.

Pour le Conseil d’Etat, la controverse est ainsi close.

L’on notera, cependant, que la Cour constitutionnelle a été réinterrogée par un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 14 avril 2016 sur la constitutionnalité de la différence de traitement au sein d’un même employeur public entre le travailleur contractuel et le travailleur statutaire (pour qui s’applique l’adage « audi alteram partem »).


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