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Soins programmés à l’étranger et force majeure

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 8 décembre 2015, R.G. 2014/AL/645

Mis en ligne le vendredi 13 janvier 2017


Cour du travail de Liège (division Liège), 8 décembre 2015, R.G. 2014/AL/645

Terra Laboris

Par arrêt du 8 décembre 2015, la Cour du travail de Liège statue sur une question délicate, étant la nécessité d’obtenir l’autorisation de l’organisme assureur AMI afin de pouvoir prétendre au remboursement de soins programmés à l’étranger, alors qu’il y a urgence à subir ceux-ci.

Les faits

Un indépendant participe à l’étranger (Ténérife) à une compétition sportive de combat amateur. Il est blessé et reçoit les premiers soins. Après son retour en Belgique, un bilan est fait et les lésions constatées amènent les médecins belges à se déclarer incompétents pour guérir l’intéressé, le renvoyant vers des spécialistes étrangers établis en France. Un médecin de Nice lui propose une opération rapidement (délai de deux semaines), opération qui est pratiquée. Il contacte, après celle-ci, son assurance sportive et transmet son dossier médical à la mutuelle.

Celle-ci refuse alors, étant que le document « E 112 », qui autorise l’assuré social à se faire soigner dans un autre Etat membre de l’Union Européenne, ne peut être délivré et ce au motif que les soins ont déjà été donnés. Un recours est introduit, en contestation de la position de l’organisme assureur.

Dans son jugement, rendu en date du 7 novembre 2014, le Tribunal du travail de Liège accueille le recours, considérant que c’est à tort que la mutuelle entendait soumettre les prestations à une autorisation préalable.

Appel est interjeté par celle-ci.

Position des parties en appel

La mutuelle considère que l’exigence de la délivrance préalable d’un formulaire « E 112 » est conforme à la réglementation européenne et que l’intéressé avait matériellement le temps de s’adresser à sa mutuelle pour obtenir celui-ci. En outre, si l’autorisation avait été demandée, il n’est pas certain qu’elle aurait été accordée, vu que le caractère grave et urgent de la pathologie n’était pas avéré, non plus que l’incompétence des médecins belges pour traiter le cas.

L’intéressé considère, quant à lui, que la règle supranationale de la libre prestation des services doit s’appliquer et que, vu son état, l’autorisation aurait été accordée. Enfin, sur les délais de l’opération, ceux-ci étaient très courts et ne permettaient pas de solliciter l’autorisation préalable.

Décision de la cour

C’est dans le cadre du Règlement CE n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil que la cour statue, son article 20 organisant les règles en matière de prestations en nature à l’étranger. La cour rappelle que le principe de la libre circulation des services à l’intérieur de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce que des limitations soient instaurées en raison de l’intérêt général d’un pays membre ou d’une exigence de santé publique.

Plus particulièrement en matière de soins de santé, il s’agit de permettre aux Etats membres d’établir et de planifier des infrastructures coûteuses et ceci ne peut être mis en péril en raison d’une liberté de services absolue.

Il résulte du Règlement CE n° 987/2009 du 16 septembre 2009 que l’intéressé qui souhaite obtenir des soins à l’étranger doit être muni d’un document, étant qu’il doit se faire délivrer une autorisation émanant de l’institution de l’Etat compétent. C’est la règle en matière de soins programmés, cette autorisation devant être préalable aux soins donnés à l’étranger. Cette règle est traduite dans l’article 294, § 1er, 14° de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 exécutant la loi coordonnée du 14 juillet 1994. Cet article prévoit que l’autorisation du médecin-conseil est requise en cas de soins programmés, dans la mesure où ceux-ci requièrent une hospitalisation d’une nuit au minimum (d’autres hypothèses étant reprises). L’autorisation ne peut, selon le texte, être refusée si le traitement ne peut être dispensé dans un délai médicalement acceptable en cas de demande, eu égard à l’état de santé du bénéficiaire, de ses antécédents ou encore de l’évolution probable de sa maladie.

La règle est dès lors que l’autorisation préalable doit être demandée. En l’occurrence l’intéressé ne l’a pas fait et il oppose que ceci aurait été impossible vu le bref délai entre d’une part l’accord du médecin français pour l’examiner et éventuellement l’opérer et d’autre part la date de l’opération. La cour constate que tout cela s’est fait en quelques jours.

A la mutuelle, qui fait valoir que le temps matériel existait pour s’adresser au médecin-conseil et obtenir le document E 112, la cour répond qu’un dossier ne pouvait pas être constitué en deux jours, les documents n’ayant pu être réceptionnés que le jour où précisément l’intéressé devait partir en France en vue de l’intervention chirurgicale.

Il ne peut par ailleurs lui être reproché de ne pas avoir introduit la demande, puisque ce n’est pas la demande qui permet le remboursement des soins mais l’autorisation préalable.

Il y a dès lors un cas de force majeure. La cour renvoie aux instructions de l’INAMI, qui admettent la possibilité de celui-ci dans l’hypothèse d’une autorisation préalable. Pour la cour, un patient ne peut être privé d’un droit, à savoir un remboursement, s’il n’a pu remplir ses obligations dans une telle situation.

Enfin, la mutuelle plaide que la pathologie n’était ni grave ni rare, que l’intervention n’était pas urgente et qu’il n’était pas acquis qu’un médecin n’aurait pu la pratiquer en Belgique. Pour la cour, les lésions ne sont pas des lésions fréquentes et elle suit la position de l’intéressé sur ce point également.

Le remboursement doit dès lors intervenir et la décision de la mutuelle doit être annulée.

Quant au montant, la cour rouvre les débats, constatant que le tribunal avait opté pour le remboursement de la totalité de la facture mais que pour la mutuelle il ne doit y avoir qu’un remboursement partiel. L’objet de la réouverture des débats est dès lors de déterminer la base légale du calcul de ce remboursement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt qui admet la force majeure en cas d’urgence d’un traitement dûment constatée et accepte en conséquence que l’intéressé n’ait pas attendu l’autorisation de la mutuelle ne manque pas d’intérêt. La cour fait ici à notre connaissance une des premières applications de la force majeure aux hypothèses de l’article 294, § 1er de l’arrêté royal du 3 juillet 1996.

Si celle-ci est de droit dans toutes les matières, ses conditions sont à examiner avec la plus grande prudence et c’est, à notre avis, à très juste titre que la Cour a admis que les circonstances invoquées constituaient un événement imprévisible et indépendant de la volonté de la personne, rendant impossible l’exécution de l’obligation mise à sa charge.


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