Terralaboris asbl

Conditions de rétroactivité de la loi : application en matière de cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 août 2016, R.G. 2014/AL/514

Mis en ligne le jeudi 29 décembre 2016


Cour du travail de Liège, division Liège, 9 août 2016, R.G. 2014/AL/514

TERRA LABORIS

La Cour du travail de Liège rappelle dans un arrêt du 9 août 2016 que la rétroactivité est une exception, le principe de non rétroactivité étant une garantie qui a pour but de prévenir l’insécurité juridique. Elle ne peut se justifier que si la mesure est indispensable à la réalisation d’un objectif d’intérêt général, tel le bon fonctionnement ou la continuité du service public.

Les faits

Une asbl ayant pour objet social l’aide aux personnes âgées (exploitation de homes et de foyers d’accueil) avait connu un retard dans le paiement de ses cotisations pour la période entre 1997 et 2003. Il y eut régularisation et demande de renonciation aux majorations. Elle obtint une exonération partielle dans un premier temps et totale pour ce qui était des créances que l’asbl détenait à l’égard de la CAAMI. L’exonération fut refusée pour les mutuelles.

Le Conseil d’Etat annula la décision (incompétence du signataire de la lettre) et l’ONSS en prit une autre, qui confirma l’étendue de l’exonération figurant dans la première décision. Un nouveau recours fut introduit et le Conseil d‘Etat annula cette seconde décision, considérant que la différence de traitement entre maisons de repos selon le nombre de pensionnaires affiliés auprès de la CAAMI ou auprès d’une mutuelle n’était pas admissible.

L’ONSS ne reprit pas d’initiative nouvelle et l’asbl introduisit un recours devant le Tribunal du travail de Liège en septembre 2011 aux fins de contraindre l’Office à statuer sur la demande d’exonération conformément à l’arrêt d’annulation du Conseil d’Etat. Une troisième décision fut alors prise par l’Office et un recours devant le tribunal fut également formé contre celle-ci.

Vu l’autorité de la chose jugée dont bénéficie l’arrêt du Conseil d’Etat, l’ONSS a été condamné à rembourser un montant de l’ordre de 11.700€ versé au titre de majorations pour la période en cause, ainsi qu’aux intérêts légaux. Appel a été interjeté.

Les deux arrêts de la cour du travail

L’arrêt du 14 septembre 2015

Ce premier arrêt reprend le rappel du mécanisme légal relatif aux conditions de renonciation aux majorations de cotisations ou aux intérêts de retard par l’ONSS (art. 55 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969). Il s’agit en l’espèce d’examiner l’hypothèse où l’employeur a apporté la preuve qu’au moment de l’exigibilité de la dette il possédait une créance certaine et exigible à l’égard des pouvoirs publics ou encore d’un établissement public ou d’intérêt public et, dans ce contexte, de vérifier le bien-fondé de la position de l’ONSS qui a fait une distinction entre la CAAMI et les mutuelles.

La cour relève que la CAAMI a été retirée de l’énumération figurant à l’article 1er de la loi du 16 mars 1954, et ce suite à un arrêté royal du 2 octobre 2003. Celle-ci n’a, ainsi, pour la cour la qualité d’organisme d’intérêt public au sens de la disposition en cause que depuis le 1er janvier 2003 (date d’entrée en vigueur de l’A.R). En conséquence, à partir de cette date les créances à son égard ne rentreraient plus dans le champ d’application de l’article 55.

Se pose, cependant, une question de rétroactivité, la cour rappelant que pour les cotisations exigibles avant le 1er janvier 2003, elle est liée par l’autorité positive de chose jugée de l’arrêt du Conseil d’Etat (ce qui entraîne l’illégalité de la dernière décision de l’ONSS). N’ayant pas de pouvoir de substitution, elle prie l’ONSS de prendre une nouvelle décision.

Pour les cotisations exigibles à partir du 1er janvier 2003, se pose dès lors la question de la licéité du caractère rétroactif de la suppression de la CAAMI de la liste en cause, l’article 1er de la loi ayant été modifié par un arrêté royal.

L’ONSS va exécuter cet arrêt en reprenant une décision le 8 février 2016, par laquelle il accorde une remise de 100% pour toutes les créances exigibles à la fois sur la CAAMI et sur les mutuelles pour les cotisations avant le 1er janvier 2003. Pour la période ultérieure, il considère que ceci n’est plus possible.

L’arrêt du 9 août 2016

La cour commence par l’examen de la modification de la liste des organismes d’intérêt public figurant à l’article 1er de la loi du 16 mars 1954. Elle reprend le cadre réglementaire ayant abouti à l’adoption de l’arrêté royal du 2 octobre 2003, qui a supprimé la Caisse de la liste et conclut qu’il y a une norme de valeur législative à la base des modifications intervenues. Il y a dès lors eu respect des procédures légistiques.

Quant à la validité de la modification intervenue sous l’angle de la non rétroactivité de la loi, l’arrêté royal du 2 octobre 2003 produit ses effets le 1er janvier 2003. Rappelant les principes applicables à la rétroactivité des lois à la lumière des « Principes de technique législative - Guide de rédaction des textes législatifs et réglementaires » du Conseil d’Etat, la cour déclare ne pas apercevoir ce qui justifiait dans le cadre d’un objectif d’intérêt général la rétroactivité de la mesure. La disposition étant contraire au principe général de droit de la non rétroactivité, elle décide de l’écarter, en vertu de l’article 159 de la Constitution, rappelant que, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, il s’agit d’une obligation et non d’une faculté dans le chef des cours et tribunaux.

Le retrait de la CAAMI de la liste des organismes d’intérêt public n’est dès lors applicable, pour la cour, qu’à dater de la date normale d’entrée en vigueur de l’arrêté, qu’elle situe au 12 février 2004. Ce n’est qu’à partir de cette date que les créances à son égard ne rentrent plus dans le champ d’application de l’article 55. Or, la période visée en l’espèce est antérieure à cette date d’entrée en vigueur et la cour renvoie à son arrêt précédent où elle avait conclu à l’illégalité de la décision de l’ONSS qui avait violé l’autorité de chose jugée de l’arrêt du Conseil d’Etat. Les mêmes motifs conduisent, dès lors, à la même conclusion que ci-dessus.

La cour relève encore des problèmes de décomptes et demande aux parties de conclure sur quelques questions très concrètes de calculs.

Intérêt de la décision

Cet arrêt bien charpenté de la Cour du travail de Liège (ainsi que le premier rendu le 14 septembre 2015) reprend les principes administratifs applicables à la question de la rétroactivité des lois. La cour du travail reprend fidèlement la position du Conseil d’Etat, selon laquelle la rétroactivité est l’exception au principe de non rétroactivité et que ses conditions d’admissibilité ont été dégagées de manière évolutive notamment par diverses interventions de la Cour constitutionnelle. La non rétroactivité est en effet une garantie ayant pour but de prévenir l’insécurité juridique. Le contenu du droit doit être prévisible et accessible. L’on ne peut dès lors justifier la rétroactivité que si la mesure est indispensable à la réalisation d’un objectif d’intérêt général, tel le bon fonctionnement ou la continuité du service public.

La cour du travail n’a pas vu une telle justification dans la mesure en cause.


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