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Sanctions ONEm : nature civile ou pénale ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 avril 2016, R.G. 2015/AL/20

Mis en ligne le mardi 13 décembre 2016


Cour du travail de Liège, division Liège, 11 avril 2016, R.G. 2015/AL/20

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 avril 2016, la Cour du travail de Liège (Division Liège), rappelle qu’il faut distinguer, dans les sanctions de l’ONEm, entre les sanctions pour l’avenir, qui ont un caractère pénal et les sanctions – récupérations pour le passé, qui sont des sanctions civiles.

Les faits

L’affaire tranchée par la Cour du travail de Liège fait partie d’un contentieux plus large, inscrit dans un contexte de fraude sociale organisée ayant régné au sein d’un consortium d’entreprises. Le système mis sur pied consistait à recourir au chômage économique ou à admettre une incapacité en AMI, alors que les travailleurs continuaient à prester sur chantiers et étaient rémunérés (sans être déclarés pour ces prestations). L’affaire impliquait une collaboration entre les parties.

Dans les suites de ces dossiers, l’ONEm prit des décisions, dont, pour la présente espèce, une décision d’exclusion et de récupération (avec sanction, tenant compte du caractère frauduleux).

Un recours fut introduit devant le Tribunal du travail de Liège.

Pour ceux des travailleurs qui étaient poursuivis devant les juridictions correctionnelles, le Tribunal correctionnel de Liège rendit un jugement en mars 2012, déclarant l’action publique éteinte par prescription. Les prévenus furent ainsi renvoyés des poursuites entamées contre eux.

L’affaire fut examinée par la cour du travail sur plusieurs plans dont celui de la nature des sanctions, eu égard à la procédure pénale.

Décision de la cour

La cour s’interroge sur la nature des sanctions administratives d’exclusion (pour l’avenir) prises sur la base des articles 153 à 155 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage. Celles-ci ont un caractère pénal dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Ce caractère est confirmé par la circonstance qu’elles sont susceptibles de toucher tous les chômeurs et qu’elles poursuivent un but répressif ou préventif qui ressort de leur nature et de leur gravité.

Il n’en va, pour la cour, cependant pas de même des décisions d’exclusion pour le passé, destinées à fonder la récupération sur pied des articles 45, 71, 106 et 169 de l’arrêté royal. Celles-ci sont de simples mesures de nature civile.

Il en découle des conséquences importantes, au niveau du principe « non bis in idem ». Ce principe général de droit est applicable aux sanctions d’exclusion pour le futur et la cour du travail rappelle l’abondante jurisprudence de la Cour de cassation à cet égard. Il trouve également son reflet dans les dispositions de droit international que sont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que l’article 4 du Protocole n° 7 à la CEDH.

Dans un arrêt du 17 février 2015 (Cass., 17 février 2015, P.14.0201.N), la Cour de cassation a jugé que ces règles ont la même portée, quelle que soit la formulation. Il s’agit d’éviter la répétition de sanctions ou de poursuites de même nature pour les mêmes comportements.

La cour fait un examen particulièrement fouillé des conséquences du principe étant que, vu l’interdiction de nouvelles poursuites, celles-ci seraient irrecevables. Il faut cependant qu’il y ait une procédure pénale définitivement clôturée et tant que l’action publique n’est pas éteinte, de nouvelles poursuites restent possibles. Elle passe également en revue d’autres hypothèses voisines soulignant que l’acquittement (ou la relaxe) n’exclut pas l’application de la règle puisqu’elle ne vise pas seulement le cas d’une double condamnation mais aussi celui des poursuites.

Quant à la nature de celles-ci, elle doit être identique et avoir un caractère pénal. Il faut en outre que les poursuites portent sur la même infraction, notion qui doit se comprendre de manière très large.

En l’espèce, le jugement du Tribunal correctionnel de Liège du 5 mars 2012 a constaté que l’action publique était prescrite et il n’a été frappé d’aucun recours. Il est dès lors passé en force de chose jugée. Cette décision est définitive, dans la mesure où il n’est plus possible de relancer l’action publique. L’intéressé a dès lors bel et bien fait l’objet de poursuites pénales définitivement clôturées même si elles l’ont été par le constat de la prescription. La cour conclut à l’impossibilité de poursuivre, c’est-à-dire d’examiner l’exclusion des 2 fois 26 semaines, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres points relatifs à celle-ci.

Par contre, en ce qui concerne l’exclusion pour le passé et la récupération, s’agissant de sanctions civiles, ce principe ne trouve pas à s’appliquer.

L’intéressé soulève ici également l’irrecevabilité des poursuites mais sur une base distincte, étant le non-respect du principe du procès équitable. Cette violation doit, pour lui, entraîner l’annulation ou la non exécution des décisions de récupération.

La cour rappelle que l’article 6, § 1er de la CEDH comporte quatre éléments, étant (i) le droit d’accéder à un tribunal bénéficiant d’une plénitude de juridiction, (ii) le droit à un procès équitable (qui doit être apprécié globalement et concrètement – en ce compris sur le plan des droits de défense et de l’égalité des armes), (iii) le droit à un procès public, incluant le respect du délai raisonnable et (iv) le droit d’accéder à un tribunal impartial et indépendant institué par la loi.

L’intéressé conteste, parmi ces conditions, essentiellement celle relative au délai raisonnable, le début de l’enquête pénale datant de 2004 et les débats en appel intervenant en 2016.

En ce qui concerne le dépassement du délai raisonnable (sur lequel la cour ne se prononce pas), il est admis dans la procédure pénale que les conséquences de celui-ci peuvent être une simple déclaration de culpabilité ou une peine inférieure à la peine minimale. Celles-ci ne concernent cependant pas les questions civiles où les conséquences du dépassement doivent être examinées dans chaque cas. Ainsi, il est souvent admis que ce dépassement justifiera une suspension du cours des intérêts. La sanction ne peut, pour la cour, cependant avoir d’impact sur l’indu contesté en justice, faisant que l’institution de sécurité sociale n’aurait plus le droit de réclamer le remboursement de celuui-ci. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que tel peut être le cas.

Cela reviendrait d’ailleurs à confondre délai raisonnable et prescription. Enfin, il n’y a, en l’espèce pas de constatation de déperdition d’éléments de preuve – circonstances qui pourraient intervenir. Le délai potentiellement excessif (selon les termes de la cour) n’a dès lors pas compromis le droit au procès équitable.

Intérêt de la décision

La problématique abordée a déjà fait l’objet d’un précédent commentaire, consacré à la violation du secret de l’instruction. La décision a en effet dû être scindée, vu les importants développements juridiques qu’elle contient sur les deux questions.

En l’occurrence, elle applique à la matière du chômage – et particulièrement aux décisions d’exclusion – la question du caractère pénal ou civil des sanctions prises.

Celle-ci impose une approche distincte dont relèveront les éléments dégagés par la cour dans l’arrêt. Elle a successivement examiné les conditions du principe général d’interdiction de nouvelles poursuites, étant :

  • Non : la sanction est l’irrecevabilité de ces nouvelles poursuites,
  • Bis : pour être prohibées, ces poursuites doivent être de même nature et avoir un caractère pénal,
  • Idem : les nouvelles poursuites doivent porter sur la même infraction.

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