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Travailleur protégé et notion de catégorie déterminée de personnel : un rappel de la Cour du travail de Bruxelles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 mars 2016, R.G. 2016/AB/155

Mis en ligne le jeudi 24 novembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 25 mars 2016, R.G. 2016/AB/155

Terra Laboris

Par arrêt du 25 mars 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, dans le cadre de la loi du 19 mars 1991, la notion de catégorie déterminée de personnel n’est pas définie. La jurisprudence a retenu que, pour l’identifier, il faut des critères précis, objectifs et vérifiables permettant de déterminer de quelle catégorie il s’agit. En outre, l’employeur doit établir que le licenciement de tout le personnel de cette catégorie est intervenu, et ce sous peine de discrimination.

Les faits

L’autorisation de licencier un travailleur protégé (loi de 1991) est demandée par une société à la C.P.A.E., pour motifs économiques. La société demande la reconnaissance de ceux-ci, eu égard à une réduction importante de la charge de travail d’un département, touchant essentiellement les chefs comptables et gestionnaires des dossiers. Certains ont été transférés dans d’autres départements. Restent dans le service le travailleur protégé et une collègue ne bénéficiant pas de cette protection contre le licenciement. Celle-ci est licenciée le 1er juillet 2015.

Pour le travailleur protégé, la C.P.A.E. n’a pas pu décider à l’unanimité, ce qui est notifié par son président à la société en novembre 2015. Celle-ci introduit dès lors une procédure devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, demandant la reconnaissance des raisons économiques. Le tribunal fait droit à sa demande par jugement du 2 février 2016. Le travailleur protégé interjette appel.

La décision de la cour

La cour règle en premier lieu un problème de procédure, spécifique à la loi du 19 mars 1991. L’organisation syndicale n’est en effet pas partie à celle-ci (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 1993, n° 9.559). Dès lors, l’appel qu’elle a interjeté est irrecevable. Celui du travailleur ne l’est pas.

En ce qui concerne le fond, la cour rappelle le mécanisme prévu par la loi du 19 mars 1991 en ce qui concerne les licenciements pour des raisons d’ordre économique ou technique. L’employeur qui envisage de procéder à un tel licenciement est tenu de saisir préalablement la commission paritaire compétente par lettre recommandée. Celle-ci doit se prononcer dans un délai de deux mois à partir de la demande qui lui est faite. A défaut de décision, l’employeur ne peut licencier le travailleur protégé qu’en cas de fermeture de l’entreprise ou d’une division de celle-ci, ou encore en cas de licenciement d’une catégorie déterminée du personnel. Sauf en cas de fermeture (de l’entreprise ou d’une division), l’employeur ne peut procéder au licenciement avant que les juridictions du travail n’aient reconnu l’existence des raisons invoquées. Il y a dès lors lieu pour celui-ci de saisir le président du tribunal par citation afin de faire reconnaître les raisons invoquées.

En aucun cas, la qualité du travailleur ne peut avoir d’incidence sur la décision de l’employeur. Enfin, la charge de la preuve de l’existence des motifs invoqués ainsi que du fait que le licenciement ne va pas à l’encontre de la mesure ci-dessus incombe à ce dernier.

Pour la cour, ceci impose une triple preuve dans le chef de l’employeur, étant qu’il doit établir que i) existent au sein de l’entreprise des raisons d’ordre économique qui justifient une réduction du personnel, et ce notamment par le licenciement de personnel d’un groupe bien déterminé auquel l’intéressé appartient, ii) que la décision de licencier n’est pas influencée par la qualité de représentant du personnel de celui-ci et iii) que, indépendamment de cette fonction, il n’est pas discriminé par rapport aux autres travailleurs.

La cour ne peut apprécier l’opportunité de la décision mais en vérifie la légalité.

La question en l’espèce est de déterminer si les chefs comptables du département en cause peuvent être considérés comme une catégorie déterminée de personnel.

Cette notion en tant que telle n’est pas définie dans la loi et la cour relève qu’il est souvent fait, en doctrine, renvoi à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 3 juin 2010, selon lequel la notion de catégorie déterminée de personnel implique des critères précis, objectifs et vérifiables permettant de déterminer la catégorie du personnel à licencier. Ces critères doivent être en rapport avec les raisons d’ordre économique ou technique à établir par l’employeur. En outre, le licenciement de tout le personnel relevant de cette catégorie doit intervenir, faute de quoi l’absence de discrimination ne sera pas établie.

Tel est bien le cas en l’espèce.

Le département en question enregistre de manière régulière des résultats financiers négatifs et la société a pris la décision de ne pas investir dans de nouveaux projets pour celui-ci. Les chefs comptables qui y prestent sont dès lors surnuméraires.

Pour la cour, ils constituent un groupe de personnel déterminé, pouvant être identifié sur la base de critères précis, objectifs et vérifiables. L’organigramme contribue à cette conclusion.

La décision économique prise par l’employeur a été de réaffecter les gestionnaires dans d’autres services, laissant les chefs comptables dans le département où ils prestaient pour, finalement, prendre la décision de les licencier tous deux. Le groupe a dès lors été touché dans sa totalité et l’intéressé n’est pas discriminé par rapport à son mandat.

La cour rejette encore des arguments de fait plus ponctuels et rejoint la conclusion du premier juge, admettant l’existence des raisons d’ordre économique.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend les règles régissant la demande de reconnaissance de motifs économiques ou techniques permettant de licencier le personnel bénéficiant de la protection de la loi du 19 mars 1991. La question posée à la cour, dans la présente espèce, concernait une catégorie déterminée de personnel, avec la particularité que seuls deux travailleurs étaient visés, l’un des deux ayant déjà été licencié et l’employeur entamant la procédure exigée en vue de licencier le second.

Dans l’arrêt du 3 juin 2010 cité (C. trav., 3 juin 2010, R.G. 2008/AB/330 – précédemment commenté), la cour du travail s’était elle-même fondée sur un précédent arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 19 juillet 2002 (J.T.T., 2003, p. 116), qui avait proposé comme définition de la catégorie déterminée de personnel un ensemble de travailleurs d’une entreprise qui se distinguent d’autres travailleurs de celle-ci par référence à ou sur la base d’un ou de plusieurs critères précis, objectifs et vérifiables. La cour du travail a également, dans cet arrêt du 3 juin 2010, insisté sur la condition que le licenciement d’une catégorie déterminée de personnel implique le licenciement de tout le personnel de cette catégorie, sous peine de tomber dans un risque de discrimination.

En l’espèce, dans l’arrêt commenté, la cour du travail a considéré que les résultats économiques du département en cause nécessitaient des mesures, une partie de celles-ci étant de réaffecter des gestionnaires de dossiers vers d’autres secteurs. La question des chefs comptables a suivi un sort différent, étant qu’ils constituaient une catégorie déterminée de personnel, vu leurs conditions d’engagement et d’occupation, et que l’employeur pouvait envisager la suppression de celle-ci.


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