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Contrôle judiciaire des décisions de la Commission de dispense des cotisations

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 11 juillet 2016, R.G. 2015/AN/16

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2016


Cour du travail de Liège (div. Namur), 11 juillet 2016, R.G. 2015/AN/16

Terra Laboris

Par arrêt du 11 juillet 2016, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle les pouvoirs du juge dans l’hypothèse d’une compétence discrétionnaire de l’administration, en l’occurrence la Commission de dispense des cotisations instituée au sein du SPF Sécurité sociale, et souligne les exigences en matière de motivation imposées par la loi du 29 juillet 1991.

Les faits

Un gérant d’une société informatique forme une demande de dispense de cotisations au statut social des travailleurs indépendants pour cinq trimestres (1/2009-1/2010), ainsi que de cotisations de régularisation.

La dispense est accordée pour un seul trimestre et refusée pour le reste. Un recours est introduit devant le Conseil d’Etat, qui annule la décision par un arrêt du 14 septembre 2010. Une nouvelle demande de dispense est dès lors introduite, portant sur la même période, allongée, toutefois, au premier trimestre 2012.

Deux décisions sont prises par la Commission de dispense.

La première concerne la période précédente et est négative. La seconde déclare la demande irrecevable pour la période couverte par la première et la refuse pour la suite – sauf pour trois trimestres (2/2010 à 4/2010). Un recours est encore introduit par l’intéressé devant le Conseil d’Etat, qui, par deux arrêts du 9 octobre 2013 (C.E., 9 octobre 2013, n° 225.039 et 225.040), se déclare cette fois sans juridiction, estimant que la question relève de la compétence matérielle des juridictions du travail.

Assez rapidement après cet arrêt, une troisième décision est rendue, sur les points non encore tranchés précédemment.

Trois recours sont dès lors formés par l’intéressé devant le Tribunal du travail de Liège, qui, par jugement du 19 novembre 2014, a annulé les trois décisions et a invité la Commission à statuer à nouveau sur les demandes introduites.

L’Etat belge a interjeté appel de ce jugement.

Position des parties devant la cour

L’Etat belge admet la compétence des juridictions du travail mais considère que celle-ci n’inclut pas un pouvoir de substitution, ne pouvant priver l’administration de son pouvoir d’appréciation. Par ailleurs, celle-ci est « globale », étant que l’octroi partiel et le refus partiel sont liés en une seule décision indissociable.

En ce qui concerne la motivation, s’agissant d’une compétence discrétionnaire, la Commission dispose d’une importante marge d’appréciation, et ce notamment eu égard au caractère peu défini des notions d’état de besoin et de situation voisine de celui-ci.

Le demandeur ayant mis en cause, par ailleurs, sa responsabilité civile, il considère qu’il n’a pas commis de faute, et ce dans la mesure où, au moment où les décisions en cause ont été adoptées, il n’était pas encore acquis avec certitude que les juridictions du travail étaient compétentes pour connaître du litige. Enfin, l’Etat belge conteste un lien causal entre une faute et le dommage de l’intéressé.

L’intimé rappelle pour sa part que les juridictions du travail ont un pouvoir d’annulation des décisions de la Commission en cas d’illégalité et plaide que – n’ayant pas d’intérêt à l’annulation de décisions qui accueillent sa demande – une annulation partielle est autorisée et ne méconnaît pas le pouvoir d’appréciation de la Commission. Il souligne que la position de l’Etat belge n’est pas conforme au texte de l’arrêté royal n° 38.

Il fait encore valoir que la motivation a un caractère lacunaire, vague, stéréotypé et insuffisant.

Quant aux manquements de l’Etat belge, il fait grief à celui-ci de l’avoir induit en erreur sur la juridiction compétente pour connaître de ses recours, ce qui a amené le Conseil d’Etat à conclure à son incompétence.

La décision de la cour

La cour reprend les dispositions de l’arrêté royal n° 38 autorisant les travailleurs indépendants qui estiment se trouver dans le besoin ou dans une situation voisine de celui-ci à solliciter une dispense totale ou partielle des cotisations au statut social.

La Commission de dispense est compétente pour l’examen de telles demandes et elle a une compétence discrétionnaire. La cour du travail souligne qu’en application de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 11 décembre 2006, n° S.06.0016.N), le juge peut, dans ce cas, exercer un examen de légalité, qui ne peut mener qu’à l’annulation des décisions litigieuses, le juge ne pouvant priver la Commission de son pouvoir d’appréciation. Il n’y a dès lors pas de pouvoir de substitution des juridictions du travail.

En ce qui concerne l’obligation de motivation, visée à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, la cour en reprend les contours habituels, soulignant que cette obligation s’impose à la Commission de dispense.

Elle examine dès lors les décisions rendues.

La première décision (qui examine les revenus immobiliers de l’intéressé uniquement) ne mentionne pas ses autres revenus éventuels, non plus que ses charges, et ne donne pas davantage d’indication sur les charges de famille. Après avoir constaté d’autres formulations très générales, la cour relève encore qu’aucune explication n’est donnée quant à la prise en compte de certains trimestres et le rejet d’autres.

Les mêmes critiques sont faites en ce qui concerne la deuxième décision, outre qu’il y a lieu en outre de s’interroger sur les raisons de l’irrecevabilité de la demande pour partie.

Pour ce qui est de la troisième, elle est sommaire et rédigée en des termes très généraux.

Aucune des décisions rendues ne satisfait à l’exigence de motivation formelle et il y a lieu de les annuler et d’inviter la Commission à statuer à nouveau dans cette mesure.

La cour va encore retenir qu’est partiellement fondé un chef de demande relatif à l’indemnisation des frais de défense exposés devant le Conseil d’Etat, rappelant l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2013 (Cass., 8 mars 2013, n° C.12.0408.N), qui a décidé que ce sont les juridictions du travail qui sont compétentes. Avant celui-ci, l’indication de la compétence du Conseil d’Etat dans la décision de la Commission de dispense n’était pas fautive.

Cependant, la cour retient un dommage spécifique suite à la première décision du Conseil d’Etat, vu le non-respect de l’obligation de motivation formelle (arrêt rendu sur une première décision qui n’a pas fait l’objet du recours, mais a abouti à de nouvelles demandes). La cour souligne que l’intention de se soustraire à l’obligation de motivation n’est pas requise pour qu’il y ait faute et que l’Etat belge est tenu de réparer le dommage qui en est résulté et qui consiste dans les frais de défense exposés devant le Conseil d’Etat.

Est également indemnisable le fait que la Commission de dispense a adopté, dans les décisions rendues, une motivation non-conforme à la loi du 29 juillet 1991.

En conséquence, la cour annule les trois décisions et invite la Commission à statuer à nouveau. Elle fixe les dommages et intérêts à 500 € eu égard à la faute qui consiste dans l’absence de motivation et à 700 € pour ce qui est des frais de défense devant le Conseil d’Etat.

Intérêt de la décision

Le contentieux en matière de demande de dispense de cotisations sociales est, depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2013, de la compétence matérielle des juridictions du travail.

Celles-ci peuvent dès lors exercer sur les décisions rendues un contrôle de légalité et décider de l’annulation des décisions en cause, s’il échet. La Commission a en effet un pouvoir discrétionnaire d’appréciation, impliquant que le juge ne peut se substituer à elle pour la reconnaissance ou non d’une dispense. Il y a dès lors lieu, une fois l’annulation prononcée, d’inviter la Commission de dispense à statuer à nouveau.

L’on aura égard, sur la question, à l’appréciation judiciaire de la juste motivation des décisions en cause. Les décisions sont très explicites sur la question et l’on relèvera encore un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 8 janvier 2016 (R.G. 2015/AB/161), qui a rappelé que ne répond pas à l’exigence de motivation une indication selon laquelle les faits invoqués par le demandeur sont anciens et qu’ils auraient déjà été pris en compte dans des décisions antérieures. Une telle formulation ne permet pas de savoir pourquoi les éléments invoqués ne peuvent justifier la dispense de cotisations sollicitée. Par ailleurs, renvoyant à un arrêt du Conseil d’Etat du 24 avril 2012 (C.E., 24 avril 2012, n° 2019.016), le même arrêt de la Cour du travail de Bruxelles a rappelé qu’une décision n’est pas adéquatement motivée lorsqu’elle ne permet pas de s’assurer que la Commission a bien tenu compte des charges du requérant, en ce compris les charges de son ménage, ni a fortiori de comprendre les motifs pour lesquels de telles charges n’ont pas pu être mises dans la balance à effectuer avec les ressources du ménage compte tenu de la composition de celui-ci.


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