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Cotisation de compensation et redistribution des charges sociales : une question à la Cour constitutionnelle

Commentaire de C. trav. Mons, 12 mai 2016, R.G. 2015/AM/80

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2016


Cour du travail de Mons, 12 mai 2016, R.G. 2015/AM/80

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 mai 2016, la Cour du travail de Mons, statuant après un arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2014, considère qu’il y a lieu d’interroger la Cour constitutionnelle sur une éventuelle discrimination entre entreprises eu égard au moment où la loi leur a été rendue applicable. Il s’agit d’une affaire ancienne mais qui concerne toute son actualité vu les nouveaux développements que lui donne la cour du travail et les questions qui continuent à se poser sur le mécanisme de cette cotisation.

Les faits

Une grande entreprise (entreprise publique autonome) se voit réclamer en 2003 une cotisation de compensation de l’ordre de 1.000.000€ par l’ONSS. Il s’agit d’une mesure prise dans le cadre de la redistribution d’une partie des charges sociales des petites entreprises vers les grandes entreprises. Cette mesure est issue de l’arrêté royal du 18 juin 1976 pris en exécution de la loi du 30 mars 1976 relative aux mesures de redressement économique.

La société conteste une partie, au motif qu’elle ne devrait être tenue de cotiser qu’à partir du second trimestre de l’année 2002 et non pour l’ensemble de celle-ci. Le montant qu’elle estime correspondant est payé.

Le solde l’est ultérieurement, sous réserve, vu que l’Office maintient sa position. Une procédure est néanmoins introduite devant le tribunal du travail aux fins d’obtenir le remboursement de cette somme complémentaire versée.

Les rétroactes de la procédure

Le tribunal du travail déboute la société par jugement du 22 mars 2006 au motif que le champ d’application de la loi du 28 juin 1966 a été étendue aux entreprises publiques autonomes par une loi du 2 août 2002, entrée en vigueur par son article 48 à la date du 1er juillet 2002.

Appel est interjeté et le jugement est réformé. Pour la cour du travail, la cotisation de compensation nait à l’échéance de chaque trimestre même si elle n’est payée qu’une fois par an et elle n’est exigible que le 30 juin de l’année suivant celle à laquelle elle se rapporte. Les deux premiers trimestres de l’année 2002 ne sont dès lors pas dus.

L’ONSS rembourse, ainsi, à l’entreprise le principal de la cotisation, majoré des intérêts et frais. Parallèlement, il introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour du travail (en réalité deux recours, le premier pourvoi contenant une erreur ayant amené l’Office à s’en désister).

La Cour du travail renvoie à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 novembre 2014 (non publié sur Juridat), par lequel elle casse l’arrêt de la cour du travail de Bruxelles. Elle rappelle le principe de cette cotisation, étant que celle-ci est de 1,55% de la tranche de l’ensemble des cotisations dues trimestriellement qui dépasse 1.050.000 francs, tout employeur étant tenu de payer annuellement celle-ci à l’Office pour chacun des trimestres de l’année civile écoulée. Pour la Cour, la cotisation est une cotisation annuelle, qui doit se calculer sur l’ensemble des cotisations dues pour chacun des trimestres. Dès lors, l’on peut considérer que l’obligation de payer celle-ci nait à l’échéance de chaque trimestre même si elle n’est payée qu’une fois par an.

L’affaire a été renvoyée devant la Cour du travail de Mons.

Position des parties devant la Cour du travail de Mons

La société (appelante) demande que le jugement entrepris (étant le jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 22 mars 2006) soit mis à néant en ce qu’il a déclaré sa demande non fondée, demande portant sur le remboursement de la cotisation. Elle postule en conséquence que celle-ci lui reste acquise entièrement et que l’Office soit condamné aux dépens.

Elle sollicite cependant dans une position subsidiaire qu’une question soit posée à la Cour constitutionnelle, étant de savoir si l’article 48 en cause ainsi que l’article 207 de la même loi-programme du 2 août 2002 lus ensemble avec l’article 46 de la loi du 30 mars 1976 et son arrêté d’exécution sont contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que lors de l’instauration du système (1976), les entreprises visées initialement par la loi n’étaient redevables que d’une cotisation calculée sur les deux derniers trimestres de la première année de l’assujettissement, alors que celles concernées actuellement, suite à l’extension du champ d’application, ont l’obligation de payer cette cotisation sur la base des quatre trimestres de cette première année.

Quant à l’ONSS, il demande la confirmation du jugement entrepris et, dans la foulée, le remboursement de la somme qu’il lui-même reversée à l’entreprise, à majorer des intérêts de retard depuis la date de ce paiement sur le principal.

Décision de la cour du travail

La cour reprend les dispositions pertinentes de la loi du 30 mars 1976 ainsi que les pouvoirs qu’elle a conférés au Roi, relatifs à l’instauration de la cotisation de compensation égale à 1,55% de la tranche de l’ensemble des cotisations dues trimestriellement au-delà de 1.050.000 francs.

Initialement, cette mesure ne concernait que les entreprises soumises aux législations sur les fermetures d’entreprises et elle a été étendue par la loi ci-dessus aux entreprises publiques autonomes, parmi lesquelles se situe l’entreprise appelante.

L’entrée en vigueur de cette disposition a été fixée au 1er juillet 2002 par la loi du 12 août 2002.

Elle retient de l’arrêt de la Cour de cassation que cette cotisation est une cotisation annuelle, qui doit se calculer sur l’ensemble des cotisations ordinaires dues pour chaque trimestre. Il n’y a dès lors pas lieu, en ce qui concerne l’assiette, de faire une distinction pour les deux premiers et ensuite les deux derniers trimestres 2002.

La cour constate cependant qu’il n’y aucune disposition transitoire pour les entreprises publiques autonomes, qui prévoirait que cette mesure ne serait applicable qu’aux cotisations dues à partir de l’assujettissement. Or, comme le constate la cour, une telle disposition transitoire était prévue en 1976, où avaient été retenus pour la première année les deux derniers trimestres uniquement.

Elle examine dès lors la discrimination dont fait état la partie appelante et se pose la question de savoir s’il est conforme aux principes d’égalité et de non-discrimination de traiter moins favorablement certaines entreprises par rapport à d’autres en fonction de la date à laquelle elles sont soumises à ces mesures de redistribution des charges sociales.

Elle fait dès lors droit à la demande formée à titre subsidiaire et interroge la Cour constitutionnelle sur la question.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 16 mars 2011, R.G. n° 2006/AB/48.966 – précédemment commenté) s’était penché sur la question de savoir quand l’obligation de verser la cotisation de compensation était née, soit le 30 juin de l’année suivante (2003), soit à la fin de chacun des trimestres de 2002 même si le paiement ne devait intervenir que l’année suivante. La cour avait relevé le caractère particulièrement ambigu de l’arrêté royal à cet égard.

Sa conclusion - selon laquelle la cotisation est fixée définitivement à l’échéance de chaque trimestre, ce qui dispensait ainsi les entreprises concernées de payer des cotisations pour les deux premiers trimestres 2002 au motif que leur droit était définitivement acquis – a été censurée par la Cour de cassation.

Le débat, comme on le voit, n’est pas clos puisqu’il est actuellement soumis à la Cour constitutionnelle, dans le cadre de l’examen d’une discrimination entre entreprises.


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